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Carbone des sols : racines ou biomasse aérienne

Temps de lecture : 7 minutes

Le carbone des sols vient-il plutôt des racines ou de la biomasse aérienne ?

La contribution des racines des plantes à l’accumulation de MO dans les sols doit être mieux évaluée. L’objectif est alors de faire la promotion de pratiques agricoles qui maximisent le stockage du carbone dans tout le profil du sol exploré par les racines. Mais le carbone des sols vient-il plutôt des racines ou de la biomasse aérienne ?

Les sols représentent le plus large puits de carbone organique des écosystèmes terrestres, contenant trois fois plus de carbone que dans la végétation qu’il porte. Si de nombreux travaux étudient les pratiques agricoles pouvant augmenter la séquestration de carbone dans les sols, les connaissances des facteurs clés déterminant le stockage de carbone à long terme dans les sols restent limitées. La relative contribution au pool de carbone des sols issue des racines versus issue de la biomasse aérienne est un aspect qui a été la plupart du temps négligé. Bien qu’il apparaisse comme un élément clé. Il oriente donc le carbone des tissus des plantes :

  • soit en carbone minéralisé,
  • soit dans les MOS stabilisés.

Cet article résume les recherches sur les effets des parties racinaires et aériennes sur le stockage de carbone des sols.

La contribution relative des racines au stockage de carbone est bien plus importante que celle de la biomasse aérienne

Historiquement, la question du niveau de carbone dans un sol à un niveau durable a été abordée en termes de quantité et de qualité des résidus de cultures retournant au sol chaque année. Cette approche s’est faite au détriment de l’étude de la contribution des racines. Pourtant, de récentes études suggèrent que la contribution relative des racines au stockage de carbone est bien plus importante que celle issue des parties aériennes.

Campbell et al (1991) montre que 30 années de restitution de pailles de blé ne modifient pas la concentration en C des sols. Des résultats d’un essai maïs de 30 ans ne montrent aucune différence de concentration de SOC entre une restitution des résidus et une pratique d’ensilage. Clapp et al (2000) observe que 13 années de restitution de résidus de maïs dans un système conventionnel labour non fertilisé réduit la contribution du maïs au stock de carbone organique des sols de 9,1 Mg/ha pour les racines seules à 8,7 Mg/ha pour racines + tiges.

La contribution des résidus de culture est comparativement plus faible que celle des racines

Ces trois études montrent que la contribution des résidus de culture est comparativement plus faible que celle des racines. Une simulation montre notamment que le système racinaire du maïs contribue au stockage du carbone 1,8 fois plus que sa biomasse aérienne. Ces résultats pose la question du niveau de résistance du carbone issu des racines par rapport à celui issu des parties aériennes. Une autre question est quels sont les mécanismes impliqués dans cette protection vis à vis de la minéralisation ?

La protection spécifique du carbone des racines dans les sols : études quantitatives

Des études disponibles avec des données complètes, a été construit un ratio de la contribution relative des racines versus des tiges au SOC = (Carbone du sol issu des racines / stock total de carbone dans les racines) / (Carbone du sol issu des tiges / stock total de carbone dans les tiges)

L’analyses se réalise sur des essais in situ et en incubation. Les essais in situ indiquent que la contribution au stock de carbone des racines est en moyenne 2,4 [1,5 à 3,7] fois plus élevée que celle des tiges. Cela semble confirmer le rôle dominant du carbone issu des racines dans les sols. Les essais en incubation mettent en évidence un chiffre un peu plus faible de 1,3. Mais ces essais ne reproduisent pas certains mécanismes de stabilisation de la MO qui favorise la préservation du carbone issu des racines.

Les essais et la biblio montrent également que le temps de résidence du carbone issu des racines est plus long que celui du carbone des tiges. Cela pose la question des mécanismes spécifiques qui protègent ce carbone racinaire de la minéralisation dans les sols.

Les mécanismes spécifiques de protection du carbone racinaire

Différence de niveau de “Priming effect” issu de la rhizodéposition et issu de l’incorporation de résidus de cultures

La rhizodéposition des exsudats racinaires peut mener à une accumulation ou à une consommation de carbone. Les exsudats racinaires solubles sont des composants labiles. Ils sont donc préférentiellement décomposés. La vie microbienne les utilise comme source de carbone par la vie microbienne. La libération de ces substances peut changer le taux de décomposition des MO du sol et entraîner un priming effect.

Une étude suggère que le priming effect dû à la rhizodéposition est moins important que celui dû à à l’incorporation des résidus. Ce qui expliquerait la moindre présence de carbone issu des tiges dans le sol. Mais cela n’explique pas la majorité des résultats obtenus dans les essais ci dessus.

Récalcitrance chimique

La récalcitrance chimique est généralement attribué à la présence de lignine. La décomposition de la lignine par les microorganismes nécessite des agents oxydants puissants. Or, seulement un nombre limité de microorganismes des sols sont capables de le faire.

Les racines et les tiges contiennent des molécules similaires de lignine mais en quantité différente. L’étude du ratio lignine/azote montre que le ratio des tissus racinaires est en moyenne 3 fois celui des tissus aériens. En plus de la lignine et de l’azote, d’autres éléments peuvent augmenter la récalcitrance chimique : phosphore, tannins. Les tannins sont les constituants les plus abondants après la cellulose, l’hémicellulose et la lignine. Ils sont également résistants à la dégradation biologique et très abondants dans les racines. Idem pour la subérine. Elle est un bon indicateur de l’activité des racines. Car, elle se trouve principalement dans les racines quand la cutine se trouve uniquement dans les tiges. Récemment dans les prairies comme dans forêts, un des contributeurs majeurs aux MO de ces sols identifié est la subérine.

Les essais en incubation montre que le taux de minéralisation des tissus racinaires est intrinsèquement plus faible que celui des tissus aériens. La résistance chimique spécifique des tissus racinaires explique ce taux. De plus, les tissus racinaires peuvent se décomposer aussi vite que les tissus aériens dans les sols. Mais les produits de leur transformation restent plus longtemps dans les sols. A cela, s’ajoute également une récalcitrance chimique plus élevée des tissus racinaires.

Protection physicochimique par les interactions avec des minéraux

Les interactions entre tissus racinaires et les minéraux du sol seraient le principal mode de protection du carbone racinaire. Au delà de leur simple localisation dans le sols, les racines ont des activités spécifiques qui stimulent les interactions entre les composants des racines et les minéraux du sol.

Cela se passe notamment au niveau de la coiffe racinaire. Cette dernière joue alors un rôle importante pour la libération de composés à l’interface sol/racine. Les racines décomposent deux types de matériaux :

  • des exsudats solubles dans l’eau comme les sucres, les acides aminées et les acides organiques,
  • des composés insolubles comme les parois des cellules, le mucilage et autres débris racinaires.

Ainsi, l’exsudation racinaire représente 7 à 8 % du carbone produit par la photosynthèse.

Les acides organiques sont labiles et minéralisés en quelques heures après leur sécrétion. Mais ces acides, du fait de leur charge négative, peuvent aussi être rapidement adsorbés sur des minéraux par des ponts cationiques. L’adsorption est d’autant plus importante dans les sols pauvres en MO. Car, la surface des minéraux n’est pas encore saturée.

Les polysaccharides extracellulaires issus du mucilage racinaire sont labiles et joue un rôle majeur dans l’agrégation des sols. Ils sont très réactifs et peuvent former de solides complexes avec les minéraux et autres molécules organiques.

Protection physique vis à vis des décomposeurs microbiens grâce à l’agrégation

Les substances organiques exsudées par les racines jouent un rôle majeur dans les interactions entre les racines, les microorganismes et les minéraux du sol. Les racines augmentent l’agrégation en enchevêtrant les particules de sol ensemble et en favorisant la biomasse microbienne. Cette biomasse produit des polymères servant d’agents de liaison.
Le carbone racinaire joue un rôle plus important que le carbone des tiges dans la formation des agrégats stables. La stabilité accrue des agrégats peut être attribuée à la production de polysaccharides rhizosphérique et/ou à l’association des hyphes de champignons avec les racines. En plus de la composition chimique du mucilage, le régime hydrique du sol joue un rôle dans la formation et la stabilité des sols adhérant aux racines.

La taille de certaines composantes des racines (notamment les poils racinaires) et l’intensité de l’activité racinaire jouent un rôle important dans la protection physique spécifique des matériaux dérivant des racines. Les propriétés des champignons mycorhiziens jouent aussi un rôle important dans la stabilisation de carbone racinaire dans les sols. La taille des microagrégats de de 1 à 10μm est également un facteur clé. La protection physique des MO résulte de deux mécanismes principaux :

  • l’inaccessibilité de ces micropores aux décomposeurs microbiens,
  • les conditions anaérobies qui prévalent dans ces micropores.

Protection par les ions métalliques dans les sols acides

Les MO des racines sont préférentiellement incorporées aux ions métalliques des matériaux issus de la litière racinaire. C’est le cas d’Al et de Fe particulièrement dans les sols acides de forêts (conifères). Al est un inhibiteur potentiel de la dégradation microbienne. En particulier, s’il est directement lié à de la MO. Dans les sols acides, il y a aussi un haut potentiel pour du relargage de Fe dans la solution du sol. Les MO dans la rhizosphère peuvent former des oxydes de fer, idem Pb, Cu et Ni. Cela vient en complément au rôle important des cation comme Mn, Ca et Mg. Ces derniers ont un rôle important dans la stabilisation des MOS, quelle que soit leur origine aérienne ou racinaire.

Implications pour le stockage du carbone tout le long du profil de sol

La contribution dominante des matériaux issus des racines aux MO stables s’explique par :

  • un temps de résidence dans les sols plus long du carbone racinaire par rapport à celui du carbone des tiges,
  • le fait que les quantités de carbone racinaire incorporées dans le profil du sol représentent une proportion importante du carbone total stocké dans les sols, du fait d’un turnover important des racines

C’est particulièrement vrai dans les agroécosystèmes en particulier dans les prairies. La contribution prédominante des racines au pool de carbone des sols augmente avec la profondeur de sol est largement issue de la subérine. Dans les horizons superficiels, la proportion entre carbone issu des racines et issu des tiges dépend pour beaucoup des pratiques de travail du sol et du temps de résidence des résidus.

Source : Daniel P. RASSE, Cornelia RUMPEL et Marie-France DIGNAC, Is soil carbon mostly root carbon ? Mechanismes for specific stabilisation Plant and Soil (2005) 269 : 341-356

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