L’Agriculture Biologique de Conservation en Belgique et en Suisse : principaux enseignements
L’Agriculture de Conservation Biologique (ABC) est souvent décrite comme le graal de l’agroécologie. Il s’agit d’appliquer les principes de l’agriculture de conservation (forte réduction du travail du sol, couverture des sols) pour gagner en fertilité des sols, tout en se passant de produits phytosanitaires néfastes pour la biodiversité des sols. Toutefois, se passer à la fois de labour et d’herbicide pour gérer les adventices est un vrai challenge pour ces systèmes.
Son déploiement sur notre territoire est très faible et souvent avec très peu de recul. Une traque en Belgique et en Suisse a donc été réalisée en 2021 et 2022 afin d’identifier et d’analyser des pratiques et/ou des systèmes innovants en Agriculture Biologique de Conservation présents dans ces pays. Il en ressort que :
- la maîtrise des adventices nécessite encore un travail du sol important,
- le semis direct reste finalement plutôt une pratique opportuniste.
L’implantation de prairies temporaires est alors le levier principalement utilisé pour gérer les adventices. Enfin, les agriculteurs gèrent leur succession culturale de façon opportuniste. N’hésitant pas à exploiter des cultures en couvert si le salissement est trop important et la proportion de cultures de printemps est souvent plus élevée dans ces systèmes.
Une traque en Belgique et en Suisse sur l’Agriculture Biologique de Conservation
En Belgique, les agriculteurs rencontrés sont en Agriculture Biologique en moyenne depuis 4 ans et en Suisse depuis 7 ans. Des exploitations utilisant du labour occasionnel ont été visitées. Car, elles développent les autres piliers de l’AC (couverture du sol et diversification) et pratiquent majoritairement des travaux superficiels. De même, des SDistes (semis direct) en conventionnel ont été rencontrés. Car, ils développent ponctuellement des itinéraires sans herbicide, potentiellement transposables en AB.
A noter que deux français, à proximité de la Suisse ont également été visités.
Système AB sans labour | Système AB labour occasionnel | Système Semis Direct conventionnel Intérêt pour AB | |
Belgique | 9 | 3 | 7 |
Suisse | 5 | 9 (3 = charrue déchaumeuse) | 2 |
La bonne gestion des adventices, prérequis pour envisager une réduction du travail du sol
Repenser sa succession et le choix des cultures
La PT/luzerne
La PT/luzerne est envisagée dans la quasi-totalité des exploitations et semble être le levier numéro 1 de gestion des adventices. Elle est souvent implantée de manière opportuniste lorsque le salissement devient trop fort. La prairie faciliterait particulièrement la lutte contre les adventices pérennes, la luzerne gérant particulièrement bien le chardon. Dans la même logique, certains agriculteurs introduisent du sorgho fourrager (pâturé ou restitué), culture qu’ils estiment alors nettoyante.
L’aternance des cultures
Le second levier le plus utilisé est l’alternance des cultures de printemps et d’automne (1/1 ou 2/2). On remarque aussi chez certains agriculteurs l’augmentation de la proportion des cultures de printemps. Le binage permet de gérer efficacement les adventices.
A plusieurs reprises, l’utilisation de céréales anciennes a été rencontrée, leur capacité à taller et à étouffer la végétation semblant être un levier pour gérer le salissement.
L’association de céréales et protéagineux est une pratique fortement répandue en Belgique permettant de gérer en partie les adventices.
De manière générale, les exploitants n’ont donc plus une succession figée. Et, ils mettent en avant l’importance d’une gestion opportuniste en fonction du salissement nécessitant observation et adaptabilité. Nombreux sont les agriculteurs qui n’hésitent alors pas à détruire une culture sale pour implanter une culture de printemps. En considérant que la culture d’automne a joué le rôle du couvert.
Introduction du colza dans les couverts
Une autre stratégie opportuniste observée consiste à introduire du colza dans les couverts et en fonction de sa réussite, continuer de le conduire au printemps comme un colza ou un couvert.
Enfin, le passage en AB s’est accompagné d’une augmentation du nombre d’espèces cultivées, l’allongement de la rotation étant considéré comme le levier dans la lutte contre les adventices.
Repenser sa fertilisation et son semis
En terme de fertilisation, deux stratégies bien distinctes ont alors été observées :
- Un arrêt de la fertilisation (hors engrais de ferme) pour limiter la quantité d’azote disponible et le développement des adventices. Cette stratégie est souvent accompagnée de la réduction du nombre de passages, voire la suppression du désherbage mécanique (céréales principalement).
- Une forte fertilisation (fientes et engrais organiques du commerce) associée avec de nombreux passages de désherbage mécanique, avec des objectifs de rendements plus élevés. Cette stratégie est souvent accompagnée d’une augmentation de l’écartement des rangs des céréales ou un semis en bandes (semoir type Claydon Hybrid M) pour pouvoir les biner.
Selon le contexte pédoclimatique et la pression, certains agriculteurs favorisent le semis tardif des céréales pour gérer les graminées ou le semis précoce pour une bonne implantation et une meilleure valorisation potentielle de l’azote. Au printemps, les praticiens sont plus unanimes : un semis tardif en terre chaude avec des variétés précoces facilite le départ de la culture et la gestion des adventices.
La réduction du travail du sol
Certaines exploitations visitées en AB maintiennent le labour de manière occasionnelle, principalement pour :
- détruire les prairies,
- gérer les graminées,
- mais aussi dans d’autres situations :
- sécurisation d’implantation coûteuse (betteraves) ou sous contrat semences ou avec une industrie,
- gestion des résidus (maïs grain),
- pour faciliter l’implantation tardive de céréales.
Les principaux freins identifiés : destruction de la prairie et des adventices
La gestion des adventices et la destruction d’espèces végétales pérennes (prairies temporaires (PT), luzerne ou trèfles en sous semis) semblent être les plus gros freins à la réduction du travail du sol en AB. La quasi-totalité des exploitations visitées détruisent les prairies à la fin de l’été (suivie d’une céréale) pour bénéficier des conditions séchantes et donc pouvoir se limiter à un travail superficiel.
Une autre situation identifiée lors de laquelle un travail du sol avec de nombreux passages est réalisé. Il s’agit de la destruction des couverts végétaux avant les cultures de printemps principalement. Dans cette situation, le travail du sol permet de gérer les résidus afin de pouvoir biner la culture suivante.
La volonté de booster la minéralisation peutaussi pousser certains agriculteurs à :
- passer des outils de désherbage mécanique au printemps,
- déchaumer post moisson pour « booster » leurs couverts.
En Belgique, d’autres freins ont aussi pu être constatés :
- une limite matérielle (absence de semoir SD) nécessitant une préparation du terrain pour détruire les pailles et les couverts,
- l’absence de couvert adapté pour semer les céréales en SD.
Les pratiques innovantes observées : travail de surface et SD opportuniste
Les deux outils les plus rencontrés pour travailler de manière superficielle (+/- 5 cm) sont : le scalpeur et la fraise. Des conseils d’utilisations et de modifications ont pu être identifiés pour ces deux outils. Ils permettent aussi dans certains cas de semer simultanément.
Le SD total a été rencontré dans une seule situation (couverture permanente) en Belgique. Il était couplé à l’utilisation de céréales anciennes, la récolte se faisant de manière opportuniste (1/3 de la surface).
Du SD opportuniste, occasionnellement placé dans la succession a pu être observé chez cinq agriculteurs. Notamment des agriculteurs qui utilisent aussi le labour ponctuellement.
La condition préalable à sa mise en œuvre est l’absence d’adventices avant le semis. La structure du sol et la gestion des résidus en vue de désherber la culture suivante doivent aussi être appréhendées. Ce SD opportuniste est principalement réalisé pour semer des couverts post-récolte ou semer des céréales dans des résidus de culture (maïs, soja). Ces deux situations semblent les plus envisageables. Car il est vu comme moins risqué qu’un semis dans un couvert végétal (pas de gestion de la destruction du couvert).
De plus, le désherbage mécanique dans des céréales avec des résidus peut être facilité par le choix de machines adaptées (roto-étrille et houe). Ce type de semis a aussi pu être observé chez des SDistes en conventionnel. Ils arrivent ponctuellement dans leur succession à se passer totalement d’herbicides. Certains agriculteurs tentent de développer des semis sous couvert (soja dans seigle et céréales dans sorgho). Mais la pratique n’est pas encore maitrisée.
Augmenter la couverture du sol : sous semis, semis précoce, couvert et repousses de céréales
Les sous semis pour augmenter la couverture du sol
En Suisse, nombreux sont les agriculteurs qui utilisent la pratique du sous-semis de trèfles dans les céréales, voire dans certaines cultures de printemps (tournesol). Cette pratique permet d’avoir un couvert implanté post moisson, limite le travail du sol et permet de gérer les adventices. La destruction du sous-semis nécessite alors souvent un travail du sol plus agressif qu’un couvert classique.
Les semis précoces pour augmenter la couverture du sol
Pour maximiser la couverture du sol, depuis deux ans, un exploitant essaie aussi d’implanter précocement (août) ses céréales avec leur couvert, puis de les pâturer à l’automne. Cette pratique permet donc de supprimer un travail du sol et de maximiser la couverture végétale. Le choix d’espèces et variétés non sensibles à la jaunisse sont les principales clefs à la réussite de la technique.
Le couvert et la repousse de céréales pour augmenter la couverture du sol
L’utilisation des couverts diversifiés avant les cultures de printemps semble systématique. La plupart des praticiens conseillent de le renforcer en légumineuses et de choisir des espèces gélives pour le détruire facilement. Toutefois, certains agriculteurs développent les couverts relais permettant de faire un maximum de biomasse. Leur destruction en AB reste toutefois ensuite plus laborieuse. En Belgique, la fertilisation organique des couverts est assez répandue, dans l’objectif d’avoir un couvert poussant et étouffant les adventices.
Un agriculteur utilise de manière opportuniste les repousses de la culture précédente (céréales de printemps dans colza) qui couvrent le sol à bas coût. Il convient ensuite de gérer leur destruction (ici permise par le gel).
Enfin, un agriculteur a testé le relay-cropping et d’autres agriculteurs aimeraient développer la pratique, toutefois elle n’est pas au point pour le moment.
Gestion des ravageurs et maladies : peu de problématiques
Ces problématiques n’ont pas semblé être les plus préoccupantes pour les agriculteurs en AB. La rotation, les associations d’espèces et de variétés et l’introduction d’infrastructures agroécologiques semblent contenir ces problématiques (hors dégâts d’oiseaux). Les problématiques du campagnol et de la limace présentent en SD n’ont pas été rencontrées, le travail superficiel étant probablement suffisant. Le colza est la principale culture qui a été arrêtée dans la majorité des situations à cause d’une gestion laborieuse des ravageurs.
Impacts sur les systèmes
Recherche de débouchés à haute valeur ajoutée
Pour gérer la prise de risques et la potentielle diminution des rendements, nombreux sont les systèmes qui ont revu leur mode de commercialisation, développant des débouchés à haute valeur ajoutée (céréales meunières, vente directe, cultures de niches…).
Pour les agriculteurs initialement en SD, le passage en Bio s’est accompagné d’une augmentation du nombre de passages, de la consommation de fioul et souvent du temps de travail.
Impacts sur le sol : de multiples situations
Au vu de la diversité des situations (système précédent, topographie, outils utilisés, statut organique du sol(MO/Argile) …), il est impossible de conclure sur l’impact des pratiques de travail superficiel en AB en comparaison à un système classique AB ou un système SD conventionnel.
Le retour des agriculteurs en Suisse
Introduction de la prairie et des gros couverts avant culture de printemps
Les agriculteurs trouvent un fort intérêt à introduire de la prairie et des gros couverts avant culture de printemps pour régénérer la structure et la vie de leur sol. De plus, l’obligation en Suisse de maintenir 20 % des terres cultivées biologiques en prairie (et retour tous les 10 ans) aurait un impact réel dans le maintien des taux de MO et de micro-organismes. Certains agriculteurs estiment que l’absence de rémanence de matières actives permettrait le développement de végétaux en continu (adventices comprises), facilitant un maintien de la structure du sol. Une des autres explications serait que l’appauvrissement de la surface du sol en azote oblige les végétaux à pousser en profondeur ce qui améliorerait la structure du sol (R.Charles-FIBL).
La production de terre fine
Certains agriculteurs, travaillant uniquement en surface, s’aperçoivent d’une légère reprise en masse de la couche superficielle du fait, selon eux, de la production de terre fine et d’un travail systématiquement à la même profondeur. D’autres estiment que les outils de désherbage mécanique créent aussi une compaction à 4-5 cm. De manière générale, il semblerait que dans les situations où des dégradations superficielles de la structure aient été observées, la production de terre fine en soit la principale raison. Dans le cas d’observations de compactions plus profondes, beaucoup d’agriculteurs utilisent le fissurateur. Il faut noter que certains agriculteurs ayant travaillé plusieurs années superficiellement en AB, ont alors racheté une charrue estimant qu’un labour occasionnel aurait potentiellement moins d’impact en permettant une réduction du nombre de passages.
Le rapport MO/Argile
Le rapport MO/Argile (objectif > 17 %) est bien connu des agriculteurs suisses et symbolise un seuil permettant une bonne qualité structurale. Ainsi, Nicolas Courtois (AgriVulg) considère que la transition vers l’ABC dans des sols légers où le taux de MO/Argile est vite remonté, est beaucoup plus facilement envisageable que dans des sols lourds où le ratio est encore proche de 10. Certains témoignages vont dans ce sens, avec notamment comme constat que sur une même exploitation les sols les plus argileux sont plus durs à travailler superficiellement. Ce raisonnement nous amène donc à penser qu’au-delà des pratiques mise en place, un bon diagnostic de sol peut être un bon prérequis avant le passage en Agriculture Biologique de Conservation.
Le retour des agriculteurs en Belgique
En Belgique, le retour de l’érosion a pu être observée, notamment pour les cultures légumières (travail du sol fin).
Pour ce qui est de la composante biologique, les observations sont divergentes. Certains anciens SDistes estiment voir moins de vers de terre. D’autres agriculteurs trouvent que l’absence d’herbicide racinaire à un impact positif sur la vie du sol.
L’enfouissement superficiel des résidus de culture n’a pas semblé créer de faim d’azote dans la majorité des situations.
Du matériel spécifique : un système hybride nécessitant doubles investissements
Un des gros freins à l’atteinte d’un système en Agriculture Biologique de Conservation abouti est la nécessité d’investir à la fois dans du matériel spécifique à l’AB (désherbage mécanique et travail superficiel) et dans du matériel spécifique à l’AC (semoir SD, rouleau faca…). L’investissement collectif et l’auto construction ont été les 2 leviers observés. Aussi, certains agriculteurs se sentent contraints de créer leurs machines, du fait de l’absence de matériel adapté.
Dans de nombreux cas, du matériel de triage est utilisé (tri des céréales et protéagineux). Du matériel de récolte spécifique (faucheuse andaineuse) peut également être utile, pour faire coïncider les stades de récolte des associations ou faciliter la récolte des céréales dans un couvert vivant.
Conclusions sur l’Agriculture Biologique de Conservation
Les enseignements de cette traque
Les différents enseignements
Différents enseignements ressortent alors de cette traque :
- La gestion des adventices est le frein principal à la réduction du travail du sol et la prairie temporaire apparait comme le levier le plus utilisé.
- La forte proportion de cultures de printemps permet : de lutter contre les adventices (alternance et binage) et d’introduire des gros couverts dans la rotation. Toutefois, les désherbages successifs sont destructeurs du sol selon certains praticiens.
- Certains systèmes en TCS superficiel arrivent à maîtriser le salissement mais le travail du sol reste important (fréquence et/ou profondeur).
- La diversification des espèces et des rotations ainsi que la couverture maximale du sol sont globalement des points acquis.
- Le SD total semble laborieux en AB, mais le SD opportuniste est parfois envisageable. Toutefois, il reste difficile à mettre en œuvre.
- Les systèmes mis en place nécessitent d’être opportuniste et adaptable. Pour cela, l’agriculteur doit être observateur et technique.
- La réintroduction quasi systématique des prairies et la dépendance aux effluents organiques questionne la nécessité de réintroduire de l’élevage dans les systèmes céréaliers en Agriculture Biologique de Conservation. L’élevage a aussi comme intérêt de pouvoir détruire des couverts ou valoriser des cultures sales. Mais dans ce type de perspective, il faut veiller à avoir un bilan fourrager excédentaire pour ne pas que l’élevage devienne une contrainte pour le système de cultures.
Les contextes belge et suisse
Le contexte belge, avec de forts potentiels de rendement et la présence de cultures industrielles (PDT, betteraves, chicorée…) ne semble pas faciliter le développement de pratiques réduisant le travail du sol. A contrario, la politique agricole suisse (aides incitatives à la réduction du travail du sol et à l’utilisation des produits phytosanitaires), ainsi que des prix de vente rémunérateurs, semblent créer un contexte économique favorable à la prise de risques et au développement de nouvelles pratiques. En Suisse, la proximité des organismes de recherche et de conseil avec les agriculteurs semble aussi être un élément qui facilite l’évolution des pratiques.
Les freins potentiels à l’adoption de l’Agriculture Biologique de Conservation
Les freins potentiels à l’adoption sur le territoire Normandie Maine des pratiques observées sont :
- Une somme de température inférieure à la Suisse ne permettant pas d’introduire certaines cultures de printemps (tournesol et soja).
- Des températures hivernales supérieureset des altitudes inférieures à la Suisse ne permettant pas une destruction aussi efficace des couverts gélifs.
- Un contexte économique et une politique agricole ne favorisant pas autant la prise de risques.
- Une pluviométrie estivale globalement moins bien repartie qu’en Suisse ne facilitant pas toujours l’implantation des couverts estivaux.
Il semblerait donc que le contexte de Normandie-Maine soit plus proche du contexte Belge.
Il est important de rappeler que les systèmes observés évoluent rapidement. De plus, il sera important de les observer sur un temps long. Car les pratiques innovantes sont souvent encore récentes. De plus, il apparait que c’est bien une combinaison de techniques qui permet de tendre vers des systèmes en Agriculture Biologique de Conservation.
Pour conclure, force est de constater que l’Agriculture Biologique de Conservation peut prendre de multiples formes. Elles varient donc en fonction du contexte et des objectifs de chaque agriculteur.
Source : Traque Agriculture Biologique de Conservation réalisée par Jonas LECROSNIER, apprenti ARAD²
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