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Agriculture régénératrice, agroécologie ou greenwashing

Temps de lecture : 5 minutes

Agriculture régénératrice, summum de l’agroécologie ou greenwashing ?

Découvrez si l’agriculture régénératrice est le summum de l’agroécologie ou du greenwashing pour le secteur agricole

Le système alimentaire actuel ne répond pas aux enjeux alimentaires mondiaux. De plus, il entraîne à une pression accrue sur les ressources (air, eau, sol, biodiversité) et les services écosystémiques (SE) associés. Face aux nombreux défis sociétaux à relever (environnement, sécurité alimentaire, santé), différentes formes d’agriculture sont envisagées. Agriculture biologique, agriculture de conservation des sols et maintenant agriculture régénératrice (AR) sont trois modèles se référant à l’agroécologie.

Toutefois, l’agriculture régénératrice, nouvelle arrivée en France, reste ambiguë. En effet, aucune définition légale ou réglementaire n’existe et aucune définition largement acceptée n’a émergé. L’AR est un concept avec une base scientifique peu fournie. De plus, les développements sont majoritairement extra-académiques aboutissant à différentes visions.

L’AR, de par la spécificité de son récit axé sur un principe, la régénération, et de par sa capacité à fédérer un grand nombre d’acteurs économiques, pourrait permettre de mieux concilier les approches environnementales et sociales de la durabilité du système alimentaire. Mais elle gagnerait à s’appuyer davantage sur les fondements scientifiques de l’agroécologie. Cela lui éviterait d’être considérée comme du greenwashing.

Agroécologie, agriculture biologique et agriculture de conservation des sols

Fondements de l’agroécologie

On peut aujourd’hui distinguer deux grandes voies de progrès de l’agriculture. L’une, basée sur les innovations (génétique, numérique, robotique) pour optimiser l’usage des intrants de synthèse, ne remet pas en cause les caractéristiques des systèmes dominants dans les pays occidentaux : systèmes de cultures et paysages simplifiés, séparation entre culture et élevage. Elle vise l’amélioration de l’efficience des intrants, de manière à en réduire l’utilisation et donc les impacts sur l’environnement. Elle laisse peu de place aux spécificités biotiques et abiotiques des situations de production.

L’autre, l’agroécologie, met en avant le rôle pivot de la biodiversité dans les façons de produire. Il s’agit de substituer des processus écologiques (naturels) aux intrants chimiques et aux énergies fossiles. La clé de voûte de cette stratégie est le développement de la diversité des cultures (dite diversité planifiée) et des habitats semi-naturels qui déterminent la biodiversité associée, support des services écosystémiques. La couverture du sol et la réduction du travail du sol sont deux leviers clés pour favoriser l’activité biologique. La réduction de la taille des parcelles permet aussi aux organismes supports des services de circuler dans le paysage. Comme la plupart des propriétés et fonctions du sol sont déterminées par la teneur en matière organique des sols, l’augmentation de celle-ci représente un objectif clé de l’agroécologie. Elle suppose également une intégration forte entre culture et élevage.

Evaluation de trois systèmes agricoles agroécologiques

Présentation des trois systèmes étudiés

Trois formes d’agriculture ont été évaluées en termes d’impacts environnementaux : l’agriculture conventionnelle (AC), l’agriculture biologique (AB) et l’agriculture de conservation des sols (ACS). La référence utilisée est l’AC, qui recourt au travail du sol et aux pesticides. L’ACS met l’accent sur la santé/fertilité endogène du sol et le non travail du sol. Elle revendique une meilleure séquestration du carbone pour la régulation du climat, sans exclure l’utilisation de pesticides. L’AB, qui exclut tout biocide de synthèse mais recourt au travail du sol, met aussi en avant la santé du sol.

Des spécificités par système

L’AB apparaît plus performante pour la santé du vivant (écotoxicité et toxicité pour l’homme). Mais elle l’est moins pour les rendements qui déterminent les besoins en terres pour se nourrir (à régimes alimentaires comparables) et pour les émissions de GES par kilogramme de produit . On observe l’inverse pour l’ACS. Pour tous les services rendus à la société, ces deux formes d’agriculture sont plus performantes que l’AC. L’ACS serait aussi plus résiliente que l’AC face au changement climatique

comparaison AC, AB et ACS

Les nombreux travaux montrent qu’il apparaît difficile de réduire tous les impacts et de maximiser tous les services écosystémiques tout en atteignant un haut niveau de production. Cela s’explique notamment parce que la biodiversité du sol est sensible aux intrants mobilisés dans les systèmes les plus productifs (fertilisants, pesticides, travail du sol…).

Concernant la séquestration du carbone, l’ACS permet de séquestrer environ 20% de carbone en plus que l’AC. Par exemple, les cultures intermédiaires (un des trois piliers de l’ACS) permettaient un stockage additionnel moyen de 126 kg de C/ha/an en France. Des controverses existent par contre sur l’effet du non travail du sol en climat tempéré. Mais en aucun cas la généralisation de ces pratiques ne pourrait compenser les émissions d’autres secteurs économiques comme parfois affiché en agriculture régénératrice.

Un idéal, l’agriculture biologique de conservation

Des expériences d’hybridation entre l’ACS et l’AB permettraient de réduire les faiblesses de chacune d’elles. Par exemple en utilisant des espèces ou variétés à levée rapide ou en augmentant le potentiel de contrôle biologique par les auxiliaires des cultures. Ce peut être aussi en gérant les modalités de réduction du travail du sol dont les effets sont longs à s’exprimer, de l’ordre de 5 à 15 ans.

La transition d’une agriculture conventionnelle vers l’agroécologie est complexe. D’une part, les défis à relever sont interdépendants (atténuation, adaptation, réduction des impacts, développement des services…). D’autre part, les différents maillons du système alimentaire constituent un système sociotechnique verrouillé.

Agroécologie et agriculture régénératrice

Atouts de l’agriculture régénératrice

L’atout principal de l’AR est, au moins en ce qui concerne le récit, de mettre en avant, mieux que l’agroécologie, le fait qu’elle contribue à l’entretien ou à la « réparation » des biens communs : sols et air, mais aussi biodiversité et eau. Ce récit est susceptible d’avoir un effet d’entraînement d’un grand nombre d’acteurs, ce à quoi peine l’agroécologie. L’AR s’affiche ainsi résolument en rupture par rapport à une AC qui « dégraderait » les biens communs.

Faiblesses de l’agriculture régénératrice

Les changements à opérer sont nombreux et complexes à mettre en œuvre. Ils concernent aussi bien l’amont (les machines, les intrants dont les semences…) que le système de production lui-même et l’aval (la collecte des récoltes). Ces évolutions sont à l’origine de trois grands types de verrouillage :

  • matériel (intrants, espèces, bâtiments, machines),
  • réglementaire (normes et régulations)
  • culturel (ex. récit qui met très en avant la productivité surfacique ou par animal comme image de la modernité).

Ces verrouillages, bien documentés pour l’agroécologie, le sont peu pour l’AR.

Par ailleurs, une autre limite de l’AR est d’être souvent essentiellement centrée sur le seul carbone. Cela peut orienter le choix des pratiques mis en œuvre vers ce seul enjeu.

Opportunités de l’agriculture régénératrice

Des acteurs de l’aval de l’agriculture se sont déjà saisis du concept d’AR. Ils ont été attirés par le bénéfice qu’ils pouvaient tirer d’une image liée à la conservation des biens communs. Cette stratégie permet de rendre visibles les efforts faits, donne de la notoriété aux entreprises de l’agroalimentaire et peut permettre de mieux rémunérer les agriculteurs. De plus, le développement des marchés carbone, financés par le privé mais validés et certifiés par des démarches labellisées par l’État peut contribuer à son fort développement.

Menaces de l’agriculture régénératrice

A ce jour, l’AR souffre d’un manque de définition stabilisée et de réflexion globale, tant dans les médias que dans le monde économique. Son impact sur l’utilisation des terres et la régulation du climat à l’échelle globale et sur la transformation des matières premières n’est pas ou peu considéré. L’accent est souvent mis sur la santé du sol et la séquestration du carbone en mettant en avant des promesses d’atténuation du changement climatique. Mais c’est souvent sans prendre en compte ni les prérequis agronomiques ni les impacts exportés ou situés en amont ou en aval dans la filière. Cela peut notamment contribuer à donner à l’AR une image de greenwashing.

Face à l’engouement d’un nombre croissant d’acteurs pour l’AR du fait de promesses « salvatrices » en matière de séquestration du carbone, se pose la question de la crédibilité de ses objectifs et de son adéquation aux grands défis que doivent relever l’agriculture et l’alimentation aujourd’hui. Pour éviter d’être assimilée à du greenwashing, l’agriculture régénératrice doit :

  • prendre à bras le corps l’ensemble des grands défis auxquels l’agriculture et l’alimentation sont confrontées. Et ne pas se limiter à un sous-ensemble choisi pour des raisons de marketing ou d’objectifs de court terme.
  • se doter d’indicateurs de résultats mesurables ou de moyens fiables. Cela permettra de se situer sur des trajectoires de progrès, dépendantes des contextes de production.

Pour consulter nos autres publications sur l’agroécologie et l’agriculture régénératrice : https://normandiemaine.cerfrance.fr/arad2/category/agroecologie/

Source

Duru M, Sarthou J-P, Therond O. 2022. L’agriculture régénératrice : summum de l’agroécologie ou greenwashing? Cah. Agric. 31: 17. https://doi.org/10.1051/cagri/2022014

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