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Élevages ruminants et enjeux

Temps de lecture : 9 minutes

Valoriser une diversité de sources de fourrages pour répondre aux enjeux des élevages de ruminants

Comment valoriser une diversité de sources de fourrages pour répondre aux enjeux des élevages de ruminants ?

En France, les ruminants valorisent la moitié de la SAU (Surface Agricole Utile) via les cultures fourragères et les prairies qui fournissent environ 70 Mt de matière sèche et 9 Mt de protéines. Le choix et l’utilisation des ressources alimentaires sont fortement questionnés par les multiples enjeux auxquels les élevages de ruminants font face :

  • adaptation au changement climatique
  • recherche d’autonomie alimentaire et protéique
  • réduction de l’empreinte environnementale
  • compétition « food/feed/fuel », etc.

Face à ces enjeux, de nombreux leviers existent pour adapter les ressources existantes ou pour développer de nouvelles ressources. Ils reposent notamment sur :

  • l’adaptation des prairies (introduction d’espèces résilientes au changement climatique) et de leur gestion
  • l’utilisation des mélanges céréales-protéagineux, des dérobées estivales, des plantes à photosynthèse en C4
  • le développement de l’agroforesterie.

La diversification des systèmes de cultures rendue nécessaire par la réduction des engrais et pesticides de synthèse devrait fournir de nouvelles ressources à l’élevage (légumineuses fourragères et à graines, intercultures). De nouveaux procédés technologiques, comme le bio-raffinage offrent également des perspectives comme une meilleure valorisation des coproduits des industries agroalimentaires. L’utilisation des insectes comme source protéique n’est pas encore autorisée en élevage de ruminants dans l’UE (Union Européenne). Celle des algues pose la question des volumes nécessaires pour alimenter des ruminants. Mais elles offrent des perspectives en tant qu’additifs alimentaires pour réduire les émissions de méthane entérique.

Les questions posées à l’alimentation des élevages de ruminants : les enjeux

La fonction première de l’alimentation des ruminants est de satisfaire les besoins nutritionnels des animaux selon les objectifs de production tout en minimisant son coût. En effet, l’alimentation demeure le principal coût de production. Mais elle doit aujourd’hui satisfaire, dans un contexte de changement climatique, un jeu de contraintes multiples combinant à l’échelle :

  • de l’animal :
    • la valeur nutritive et les effets sur la santé ;
    • le bien-être animal et la qualité des produits.
  • du système d’élevage :
    • la performance économique ;
    • les effets sur l’environnement.

Changement climatique et autonomie alimentaire

L’autonomie alimentaire des ateliers de ruminants est élevée, supérieure à 85 % pour les bovins et ovins viande et de l’ordre de 80 % pour les bovins et ovins lait. En effet, la grande majorité des exploitations d’élevage sont autonomes en fourrage. L’élevage français étant dans son ensemble autonome à 100 % en fourrage.

Le changement climatique se traduit par des épisodes de sécheresse plus sévères et plus fréquents. Ils remettent en cause l’autonomie alimentaire des élevages. Certaines cultures fourragères (maïs en particulier) nécessitent plus fréquemment l’irrigation. Les modifications de la pousse de l’herbe (maturation plus précoce des plantes, déficits de croissance lors de périodes de sécheresse) complexifient la gestion des compromis entre qualité et quantité des fourrages récoltés ou pâturés.

Compétition « feed/food/fuel »

Les ruminants utilisent de larges surfaces agricoles. Toutefois, une grande partie de celles-ci (prairies permanentes, parcours, zones humides et pentues) ne sont pas ou difficilement exploitables pour la production végétale ou d’énergie. Selon les rations, seulement 5 à 25 % des aliments et des protéines consommés par les ruminants (les céréales sous forme de grains principalement) pourraient être directement utilisés en alimentation humaine.

La compétition « feed-food » peut être fortement réduite par la maximisation de l’utilisation des herbages et de coproduits. Dans un contexte de renchérissement du prix de l’énergie et des céréales, cette réduction devient aussi un enjeu économique.

Autonomie protéique et surfaces « importées »

L’élevage de ruminants mobilise des surfaces en dehors du territoire national pour assurer l’approvisionnement en protéines. En tenant compte des fourrages, l’autonomie protéique de l’élevage français atteint 84 %. Mais elle n’atteint que de 59 % pour l’ensemble des aliments concentrés. Ce taux atteint 43 % pour les aliments riches en matières protéiques (MAT > 150 g/kg).

Réduire la dépendance des élevages aux importations de soja est une priorité. La crise ukrainienne de 2022 a également mis en évidence notre dépendance à l’importation de tourteau de tournesol HiPro, riche en matières azotées (MAT = 350 g/kg). Pour cela, l’utilisation de légumineuses fourragères (dans les prairies, sous forme de méteils) et à graines doit être développée. L’utilisation de sources alternatives de protéines (algues, microalgues, insectes) doit être considérée. Même si les volumes nécessaires pour alimenter des ruminants en limitent aujourd’hui le potentiel.

Gaz à effet de serre, stockage de carbone et énergie

Le système d’alimentation des ruminants joue un rôle important sur les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), et de méthane en particulier, ainsi que sur le bilan C des élevages. Les ruminants sont au cœur d’un paradoxe. L’utilisation des prairies, avec des conduites plutôt « extensives », est souhaitable vis-à-vis des nombreux services qu’elles rendent (stockage de C, biodiversité, paysage…). Mais une alimentation basée sur l’herbe est en défaveur de la réduction des émissions de méthane par les ruminants.

L’utilisation des légumineuses, en réduisant les besoins en fertilisation azotée, permet de réduire les consommations d’énergie et les GES. Les leviers alimentaires pour réduire les émissions de méthane entérique peuvent aussi reposer sur l’utilisation des légumineuses. En particulier pour celles qui contiennent des tanins condensés (sainfoin, lotier). Enfin l’utilisation de ressources fourragères « pérennes » (prairies permanentes, arbres fourragers), contribuera positivement au stockage de C. En complément de ces leviers, l’utilisation d’additifs alimentaires permettant de réduire les émissions de méthane est à considérer.

Santé et bien être des animaux

L’alimentation peut contribuer positivement ou négativement à la santé et au bien-être des animaux. La fibrosité de la ration s’apprécie par la teneur en parois végétales. De plus, la ration doit contenir une part suffisante de fourrages. Il est bien établi que la fibrosité de la ration est nécessaire à :

  • la santé digestive (réduit le risque d’acidose)
  • l’expression d’un comportement alimentaire « normal » (rumination).

L’accès au pâturage permet aux animaux de mieux exprimer leur comportement « naturel ». De plus, son rôle dans leur bien-être est un sujet actuellement à l’étude. Cela répond également à une demande sociétale.

Qualité intrinsèque et extrinsèque des produits

Les liens entre l’alimentation et les qualités « intrinsèques » des produits (lait, viande) sont bien établis. En particulier en ce qui concerne la composition en acides gras des produits et certaines qualités sensorielles (couleur, flaveur, goût).

Le système d’alimentation contribue aussi aux qualités « extrinsèques » des produits à travers l’image que s’en fait le consommateur.

Mieux utiliser les ressources fourragères existantes et rechercher des fourrages alternatifs un enjeux pour les élevages de ruminants

Différents leviers sont à mobiliser pour concevoir des systèmes fourrager plus résilients au réchauffement climatique et aux aléas en découlant :

  • la diversité intra et interspécifique dans les écosystèmes prairiaux,
  • les espèces végétales et les variétés mieux adaptées (sorgho, légumineuses des régions méditerranéennes),
  • les cultures dérodées, et les intercultures,
  • les mélanges fourragers,
  • l’agroforesterie,
  • le pâturage d’automne et d’hiver…

Adapter les prairies et leur gestion au changement climatique

Il s’agit alors d’intégrer dans les prairies temporaires des espèces plus résistantes à la sécheresse comme

  • la fétuque élevée,
  • le dactyle,
  • la luzerne,
  • les légumineuses annuelles méditerranéennes.

Il est également possible de jouer sur la complémentarité des espèces afin d’assurer une production plus continue sur la saison. Toutefois il existe un compromis à faire entre adaptation à la sécheresse et qualité du fourrage. En effet, les individus ou espèces les plus adaptées aux conditions difficiles sont généralement de rendement et de valeur alimentaire plus faible. Il s’agit de la conséquence d’une stratégie de conservation des ressources, en particulier de l’eau.

La gestion des prairies doit quant à elle s’adapter aux effets du changement climatique, en exploitant l’herbe plus tôt en fin d’hiver et plus tard à l’automne, sous réserve que la portance des sols le permette.

Produire du fourrage d’appoint

Les cultures dérobées fourragères cultivées seules ou en mélange (trèfle incarnat, vesce, phacélie, sarrasin, colza fourrager…) sont une solution pour produire du fourrage supplémentaire en intersaison. Le fourrage peut alors être récolté et conservé ou pâturé. Leur exploitation peut avoir lieu :

  • à la fin de l’été :
  • à l’automne ;
  • au printemps ;
  • à la fois en été-automne et au printemps.

Le pâturage des intercultures, notamment via des partenariats agriculteurs-éleveurs (projet H2020 DIVERIMPACT) est une façon de valoriser ce type de fourrage. Le partenariat est gagnant-gagnant. Les intercultures fournissent alors des fourrages de bonne qualité aux animaux, les animaux désherbent et fertilisent les sols par leurs déjections.

Par ailleurs, les méteils ou mélanges de céréales à paille et de légumineuses sont également une solution pour constituer des stocks. Car les périodes d’implantation, de récolte et les modes de valorisation (pâturage, ensilage ou enrubannage) sont multiples. La valeur alimentaire des méteils varie principalement avec la proportion de légumineuses et le stade de récolte. En effet, plus un méteil est récolté précocement ou contient de légumineuses, meilleure sera sa valeur nutritive

Enfin, un autre levier est l’utilisation en dérobées estivales de graminées à photosynthèse en C4 (moha, millet perlé, teff grass, sorgho multicoupe) associées ou non avec une ou des légumineuses (par exemple, le trèfle d’Alexandrie). Ces graminées en C4 sont plus résistantes aux conditions de chaleur et d’aridité. Elles sont généralement semées après des céréales à paille ou un méteil et sont pâturées par les animaux pendant la période estivale. Toutefois, la qualité nutritionnelle de ces espèces cultivées sous nos conditions reste encore peu connue.

Intégrer l’agroforesterie dans les systèmes d’élevage

Pour améliorer le niveau d’autonomie alimentaire, l’utilisation des ressources ligneuses peut apporter une contribution intéressante. Les espèces ligneuses (arbres, arbustes et lianes) valorisables par le bétail sont nombreuses et leur valeur nutritive intéressante malgré une variabilité importante au sein de ces ressources. Ainsi la teneur moyenne en protéines des fourrages ligneux à 178 g/kg MS au printemps et 133 g/kg MS en fin d’été, pour des valeurs de digestibilité supérieure à 85 % au printemps, cette digestibilité diminuant tout au long de la saison de pâturage.

Les fourrages ligneux sont également intéressants de par leur teneur en macro et micro nutriments. Ils peuvent alors bien complémenter les rations des vaches laitières. Il existe une diversité d’aménagements ligneux à vocation fourragère :

  • arbres hautes tiges dont la taille (émondage) est distribuée aux animaux ;
  • tables fourragères ponctuellement exploitées soit
    • par pâturage,
    • par coupe mise à disposition des animaux ;
  • arbres têtards (trognes) pâturables ;
  • haies fourragères diverses…

Trouver de nouvelles matières premières concentrées un enjeux pour les élevages de ruminants

Bioraffinage des fourrages

Le « bioraffinage » des fourrages est une technique qui se développe, en particulier dans les pays du nord de l’Europe. Le fractionnement des légumineuses fourragères ou de prairies permet d’extraire environ 40 % des protéines du fourrage dans un concentré, contenant environ 50 % de protéines pouvant être utilisée en substitution du soja pour alimenter des porcs ou des volailles.

Le résidu fibreux contenant 150-180 g/kg de protéines peut être valorisé :

  • par des ruminants ;
  • pour la production d’énergie ou encore pour l’extraction d’autres molécules d’intérêts.

Le développement de ces nouvelles technologies pose toutefois de nombreuses questions, en premier lieu celles de l’organisation des filières et de l’efficience énergétique des procédés.

De nouveax gisements de coproduits issus des industries agroalimentaires

Les coproduits végétaux issus des industries de première transformation agro-alimentaire sont aujourd’hui bien connus et valorisés en élevage. Il s’agit par exemple :

  • sons,
  • rémoulage et farines basses issus des céréales,
  • tourteaux issus du pressage des huiles,
  • pulpes issues de l’extraction du sucre des betteraves,
  • drèches de brasseries, etc.

En France, une enquête nationale réalisée en 2017 estime le gisement actuellement valorisé à 12,1 millions de tonnes de Matière Sèche (MS) de coproduits générés par les industries agroalimentaires. Ceux-ci sont valorisés à 76 % en alimentation animale (animaux de rente et de compagnie).

Mais de nouveaux gisements et de nouveaux usages pour les gisements déjà valorisés peuvent être identifiés. En particulier, en Europe, environ 50 % des fruits et légumes sont perdus au cours de la chaîne de production et de consommation. La valorisation de biomasses pour la production de biomatériaux pourrait aussi conduire à de nouveaux coproduits valorisables en élevage.

Un critère primordial reste l’intérêt économique des filières pour valoriser des coproduits en alimentation animale. La formulation multicritère des aliments pour animaux (nutrition, environnement…), couplée à une optimisation économique, doit permettre d’assurer un choix pertinent pour valoriser au mieux les coproduits en alimentation animale en fonction du type d’animal, de la ration proposée et des objectifs de performances

Insectes : une nouvelle source de protéines ?

Au cours des cinq dernières années, les insectes (larves, adultes ou vers) ont été identifiés comme des aliments alternatifs pour les animaux d’élevage. La teneur en protéines des insectes est généralement supérieure ou égale à celle du tourteau de soja. De plus, ils sont riches en acides aminés essentiels comparés aux protéines végétales. Ils peuvent donc être utilisés comme source de protéines ou d’énergie dans les rations.

Comparé au tourteau de soja, plusieurs auteurs ont observé une diminution de la digestibilité in vitro de la matière organique et de la production de méthane avec les tourteaux d’insectes. Ces réductions s’expliqueraient par la composition des insectes. Ils sont riches protéines et en lipides, pauvres en glucides ce qui limite les fermentations ruminales. Ils contiennent également de la chitine, composé partiellement indigestible. La dégradation ruminale des protéines serait également plus faible que celle du tourteau de soja.

L’utilisation des insectes dans l’alimentation avicole et porcine est autorisée dans l’UE depuis 2021. Même si leur utilisation chez les ruminants reste interdite, l’intérêt nutritionnel de leur utilisation chez les ruminants s’accroît.

Des algues comme source d’additifs

Le potentiel d’utilisation des algues et microalgues en tant que matière première pour l’alimentation animale paraît modeste du fait de leur faible teneur en matière sèche qui nécessiterait de l’énergie pour concentrer les nutriments. En revanche, les algues peuvent fournir des composés d’intérêt utilisables comme additifs pour l’alimentation animale. Elles présentent notamment un potentiel en tant que supplément lipidique pour accroître la teneur en lipides d’intérêt nutritionnel (AG poly-insaturés à chaîne longue type EPA/DHA) dans les produits animaux.

De nouvelles technologies pourraient rendre les microalgues compétitives en tant que ressources alimentaires à l’avenir. Des systèmes de production de microalgues couplés à l’alimentation en eau des animaux sont à l’étude. La production de biocarburants dérivés de microalgues pourrait générer des résidus délipidés d’intérêt pour l’alimentation animale.

Teneurs moyennes en matières azotées totales et en parois végétales des principaux groupes de matières premières actuellement utilisées ou potentiellement utilisables en alimentation des ruminants
Teneurs moyennes en matières azotées totales et en parois végétales des principaux groupes de matières premières actuellement utilisées ou potentiellement utilisables en alimentation des ruminants

De nombreux enjeux climatiques, environnementaux, économiques et sociétaux questionnent les ressources alimentaires pour les ruminants. Face à ces enjeux, de nombreux leviers existent soit pour adapter les ressources existantes soit pour développer de nouvelles ressources. Ils mettent en évidence le rôle accru que devront jouer les légumineuses fourragères et à graines, les plantes adaptées à des climats plus chauds et secs, les ressources ligneuses et les coproduits végétaux dans l’alimentation des ruminants. Caractériser ces nouvelles ressources alimentaires nécessite d’obtenir de nouvelles données par les méthodes de référence d’évaluation des aliments pour pouvoir conforter les bases de données et les outils de prévision existants dans une démarche d’évaluation multicritère. Enfin, ces perspectives sur l’alimentation des ruminants questionnent aussi les caractéristiques des animaux, leur conduite, et plus largement l’organisation des filières de ruminants.

Source utilisée pour rédiger l’article valoriser une diversité de sources de fourrages pour répondre aux enjeux des élevages de ruminants

BAUMONT, R., DECRUYENAERE, V. ., MAXIN, G., ROUILLÉ, B. ., HEUZÉ, V., & TRAN, G. (2023). Valoriser une diversité de biomasses pour répondre aux enjeux techniques, environnementaux et sociétaux des élevages de ruminants. INRAE Productions Animales, 36(1), 15 p. https://doi.org/10.20870/productions-animales.2023.36.1.7478

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