Des évolutions de fertilité chimique des sols français mises en évidence par les analyses de terre entre 2003 et 2020
Découvrez comment les indicateurs de fertilité chimique des sols (pH, P, K et Mg) ont évolué entre 2003 et 2020.
Les statistiques départementales des ventes, produites par l’UNIFA (Union des Industries de la Fertilisation), mettent en évidence une réduction importante de la fertilisation phospho-potassique des parcelles agricoles au niveau national depuis 2010. Cette tendance peut s’expliquer en partie par l’amélioration du conseil agronomique. Mais aussi par les contraintes économiques et notamment l’augmentation des prix de l’énergie qui affectent durablement ceux des fertilisants. Parallèlement, on constate un fort recul des systèmes de polyculture-élevage dans plusieurs régions françaises. Ces évolutions marquées pourraient a priori avoir des répercussions sur la disponibilité des éléments nutritifs dans le sol, et affecter la fertilité des sols.
L’analyse de la Base de Données des Analyses de Terre montre une tendance pour les sols français à :
- une augmentation du pH et des teneurs en magnésium (Mg)
- une diminution des teneurs en potassium (K), mais surtout en phosphore (P).
Les teneurs en P équivalent Olsen, K et Mg échangeables dans les sols semblent dépendre principalement des caractéristiques des sols : texture, nature minéralogique des matériaux parentaux. Les évolutions temporelles observées pour le P équivalent Olsen et le K échangeable semblent, quant à elles, dépendre :
- de facteurs économiques (prix de l’énergie et des engrais en augmentation),
- de la présence plus ou moins importante d’élevage
- et de recommandations à la baisse pour les calculs de dose dans une démarche de fertilisation raisonnée.
Les diagnostics agronomiques mettent en évidence une variation des effectifs des trois classes de fertilité mais qui reste limitée. Autrement dit, les évolutions constatées en éléments n’impactent pas fortement les préconisations de fertilisation. Cependant, les évolutions de la fertilité chimique mises en évidence sur les trente dernières années vont dans le même sens que les tendances observées sur les teneurs en éléments : diminution pour le P et le K, augmentation pour le Mg. Elles incitent donc à la vigilance pour P et K. Et elles justifient le suivi des bilans minéraux à la parcelle agricole et une politique de suivi analytique régulier et raisonné des terres.
Une analyse de l’évolution de la fertilité chimique des sols grâce à la Base de Données des Analyses de Terre
Des données de fertilité chimique des sols accessibles depuis 1990
En France, la Base de Données des Analyses de Terre (BDAT Info&Sols, INRAE Orléans) regroupe depuis 1990 les résultats d’analyses agronomiques d’horizons de surface de sols cultivés. Ces analyses sont effectuées à la demande d’agriculteurs par des laboratoires agréés par le Ministère en charge de l’agriculture. Cette base de données rassemble sur la période 1990–2020 :
- plus de 3,6 millions de déterminations de pH (eau),
- 3,5 millions de déterminations de phosphore (P) extractible issues des trois méthodes d’analyses pratiquées en France (Joret-Hébert, Dyer et Olsen)
- et un nombre équivalent de déterminations de potassium (K) et magnésium (Mg) échangeables.
Un diagnostic spatio-temporel des indicateurs de fertilité chimique des sols
Le diagnostic spatio-temporel s’appuie sur l’analyse des valeurs brutes du pH et des teneurs en P, K et Mg. Il évalue également la disponibilité des éléments pour les cultures. Le logiciel RegiFert® permet de réaliser ce diagnostic agronomique de la fertilité chimique des sols en P, K et Mg. Pour cela, il affecte une classe de fertilité à chaque analyse en fonction de la position de sa valeur par rapport à deux seuils de référence nommés L1 et L2.
Ces 2 seuils permettent de définir 3 classes de diagnostic :
- « fertilité faible » pour les valeurs d’analyse du sol inférieures à L1,
- « fertilité moyenne » pour les valeurs d’analyse du sol comprises entre L1 et L2
- « fertilité forte » pour les valeurs d’analyse du sol supérieures à L2.
Les données de la BDAT ont été agrégées en deux périodes d’une durée de 9 ans : de 2003 à 2011 et de 2012 à 2020. Au niveau spatial, les traitements ont été menés à l’échelle des 714 Petites Régions Agricoles (PRA) de France hexagonale.
Des évolutions différentes en fonction des indicateurs de fertilité chimique des sols
Des pH qui augmentent dans quasiment tous les sols français
Les valeurs des médianes du pH eau des sols non calcaires sont les plus élevées entre 2003 et 2020 dans le centre nord de la France (Figures 2a et 2b). Par opposition, les plus faibles se trouvent au niveau des massifs cristallins et des Landes.
Enfin, les médianes du pH eau ont augmenté entre les périodes de 2003–2011 et 2012–2020 pour la quasi-totalité de la France (Figure 2c).
Ces évolutions du pH eau des sols non calcaires sont significatives pour 54 % de la SAU. Elles mettent ainsi en évidence quasiment exclusivement des augmentations (Figure 3).
Une teneur en phosphore qui diminue pour 68 % des sols français
Les médianes des teneurs en P équivalent Olsen sont plus élevées en Bretagne et dans les Hauts-de-France. On observe les valeurs les plus faibles principalement sur la côte méditerranéenne. Par ailleurs, entre les périodes 2003–2011 et 2012–2020, ces teneurs ont eu tendance à diminuer dans la majorité des PRA. La baisse des médianes des teneurs en P équivalent Olsen est significative pour 68 % de la SAU. Et l’augmentation est significative pour 3 % de la SAU. Enfin, l’évolution est non significative pour 21 % de la SAU (Figure 5).
Les évolutions constatées des teneurs en P ont une conséquence sur la répartition des classes dominantes de fertilité pour 28 % de la SAU (Figure 6b). Ainsi, près d’un quart (24 %) de la SAU se trouve en classe faible sur la dernière période 2012–2020. Ce chiffre s’élevait à 13 % sur la période 2003–2011. À l’inverse, le pourcentage de la SAU avec une classe de fertilité forte est de 22 % sur la période la plus récente. Alors qu’il était de 36% sur la première période (Figure 6c). Ces changements de classe correspondent à une baisse significative de classe de fertilité dans une grande partie de la France.
Une teneur en potassium qui diminue pour 46 % de la SAU française mais des sols qui restent fertiles
Les médianes des teneurs en K2O observées en France sur la période 2012–2020 varient majoritairement de 150 à 300 mg/kg (Figure 8a). Les valeurs les plus faibles sont observées dans les sols sableux des Landes de Gascogne (Figure 8a). Et on observe les valeurs les plus élevées dans les sols argileux développés sur l’arc des calcaires du Jurassique de la Lorraine à la Bourgogne et des Charentes et en Limagne dans le Massif Central (Figure 8a). Des évolutions significatives des teneurs en K concernent 52 % de la SAU. Ce sont essentiellement des diminutions pour 46 % de la SAU.
Presque toutes les PRA ont une classe dominante forte ou moyenne pour K sur la période 2012–2020. En comparaison avec celles de la période précédente 2003–2011, on observe une diminution de la classe forte au profit de la classe moyenne, sans impact visible sur la classe faible (Figure 9 a et b).
Une teneur en magnésium qui augmente pour la quasi totalité des sols français
Les médianes des teneurs en MgO par PRA sur la période 2012–2020 varient majoritairement entre 100 et 300 mg/kg avec des valeurs plus fortes dans les sols développés dans les matériaux issus d’alluvions marines ou fluvio-marines (Camargue, marais Poitevin), le long de la Garonne, dans les sols issus de roches dolomitiques (Moselle, causses du Massif Central, sud-est) et de matériaux volcaniques (Figure 10a). Ces teneurs sont très faibles pour les sols sableux et acides des Landes de Gascogne et de la Sologne. Par rapport à la période 2003–2011, on observe une augmentation significative des teneurs dans la quasi-totalité de la France. Les diminutions significatives des teneurs en MgO sont toutefois observées dans des PRA où les teneurs sont les plus faibles de France comme dans les Landes de Gascogne (Figure 10).
La grande majorité des PRA a la classe de fertilité moyenne ou forte comme dominante (Figure 11a).
On observe principalement une augmentation de classe de fertilité. Cela correspond à un transfert de 3 % de la SAU d’une classe dominante moyenne à une classe forte (Figure 11b).
Il ne semble donc pas y avoir d’enjeu particulier sur le magnésium en termes de fertilité.
Ces premiers résultats nécessiteraient d’être complétés par une étude des équilibres entre les éléments. Cela permettrait ainsi de fournir un état complet de la fertilité des sols agricoles en France hexagonale. En effet, au-delà des teneurs, l’absorption des éléments minéraux par les plantes dépend largement des équilibres cationiques. Ainsi, le fait que les teneurs en K et en Mg évoluent en sens inverse peut avoir des implications sur la stœchiométrie de ces éléments.
Si vous êtes intéressés par d’autres publications sur la fertilité des sols, n’hésitez pas à consulter notre rubrique Gestion des sols.
Source
Blandine Lemercier, Manon Caubet, Nolwenn Le Pioufle, Eva Rabot, Catherine Pasquier, et al. 2023. Évolutions du pH et des teneurs en P K Mg dans les sols de France hexagonale entre 2003 et 2020 à partir de la Base de Données des Analyses de Terre. 16e Rencontres Comifer-Gemas, Nov 2023, Tours, France. ⟨hal-04320423⟩