Enjeux et moyens de pilotage des écosystèmes microbiens en élevage bovin laitier
Découvrez la publication sur les enjeux et les moyens de pilotage des écosystèmes microbiens en élevage bovin laitier. Jonas LECROSNIER, apprenti chez Cerfrance Normandie Maine, termine actuellement son cursus ingénieur à l’ISARA Lyon.
Les pratiques antérieures de gestion de la santé animale ont favorisé l’émergence de bactéries multi-résistantes aux antibiotiques. Pour répondre à cette problématique le plan Ecoantibio 2 a été créé afin de favoriser l’utilisation de traitement alternatifs. Face à l’échec de la stratégie « 0 germe », nous nous dirigeons à présent vers une stratégie visant l’élimination des pathogènes tout en respectant la biodiversité microbienne existante. Les microbiotes présents au sein du bovin sont intimement liés avec ceux de son environnement.
La bonne gestion des microbiotes a un impact sur :
- la santé animal et ses performances,
- les émissions de méthane entérique,
- les pertes d’azote par les fèces et l’urine,
- et surtout la qualité du lait.
Les variables influençant ces microbiotes sont nombreuses : alimentation, qualité de l’eau, génétique de l’hôte, type et gestion du logement et pratiques de traite. De manière complémentaire à la bonne gestion de ces pratiques, il est possible d’ensemencer le milieu intérieur de l’animal ou son environnement extérieur. Pour cela, il existe des produits commerciaux. Par ailleurs, des multiplications de kéfir et EM (microorganismes efficaces) à la ferme sont envisageables et moins coûteuses. Peu de références scientifiques existent à ce sujet, mais des utilisations au sein des exploitations se développent.
Introduction sur les enjeux et les moyens de pilotage des écosystèmes microbiens en élevage bovin laitier
Il est maintenant reconnu que la santé des écosystèmes, la santé animale, la qualité des produits et la santé humaine sont intimement liées. Les liens entre l’élevage et la santé humaine sont nombreux. L’usage excessif d’antibiotiques en médecine vétérinaire a favorisé l’émergence de bactéries multi-résistantes aux antibiotiques (Duru et al., 2021). Depuis 1970, 95 % des nouvelles maladies sont d’origine animale (Parodi, 2021). Pour répondre à ces enjeux, une approche holistique de « santé globale » ou « one health » se développe.
Pour faire face à l’apparition de résistances, un plan national de réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire (2017-2022) a été créé : le plan Ecoantibio 2. Ce plan vise notamment à développer des mesures de prévention des maladies infectieuses et à faciliter le recours aux traitements alternatifs (“Le plan Écoantibio 2 (20172022),” n.d.).
Des intérêts économiques pour les éleveurs
Il existe aussi des intérêts économiques pour les éleveurs à changer les pratiques sanitaires actuelles. En régions Pays de la Loire et Bretagne, le Réseau INOSYS a estimé que les frais vétérinaires représentent environ 9,3 € par 1000 L, soit 62 € par VL entre 2014 et 2020. L’écart est de plus de 30 € par VL entre le groupe des plus économes et le groupe des moins économes. Des fortes marges de progression existent (Follet et al., 2022).
Les critères de qualité du lait
La mise en place de critères de qualité du lait a amené à une stratégie « 0 germe » (Monsallier et al., 2016). Suite à des impasses et des excès, nous nous dirigeons à présent vers une stratégie d’hygiène se basant sur des pratiques garantissant l’élimination des pathogènes tous en essayant de respecter la biodiversité microbienne existante (Monsallier et al., 2016). Longtemps ces deux stratégies ont semblé inconciliables. Il est donc nécessaire de faire un état des lieux des intérêts à mettre en place ce type de raisonnement, tous en préservant une qualité sanitaire du lait pour les consommateurs (Verdier-Metz et al., 2012). Dans un premier temps nous développerons les différents enjeux liés aux microbiotes laitiers en élevages bovins lait. Puis, en lien avec ces enjeux, nous aborderons les différents moyens existants en élevage favorisant le maintien ou le développement de microorganismes favorables.
Définition et principes généraux
Le bovin est constamment en interaction avec les microorganismes de son environnement et les microorganismes qui le colonisent. Les microorganismes au sein du ruminants sont des bactéries, des archées, des eucaryotes et des virus. Chaque ensemble de microorganismes vivant dans un écosystème donné s’appelle microbiote. Au sein d’un bovin nous retrouvons différents microbiotes chacun caractérisé par un habitat. Nous retrouvons des microbiotes dans :
- le tube digestif notamment dans le rumen et l’intestin grêle,
- dans l’appareil respiratoire,
- dans l’appareil génital,
- sur la peau en particulier sur les trayons.
Ces différents microbiotes impactent la santé et les performances de l’animal, ainsi que la qualité de sa production (ZENED et al., 2021).
Les microbiotes du bovin
Les microbiotes présents au sein du bovin sont intimement liés avec ceux présents dans l’environnement. Au sein de l’environnement voici les différents compartiments pouvant influencer les microbiotes de l’animal : le sol (Banerjee and van der Heijden, 2022), les excréments du troupeau et la litière (Doyle et al., 2016), les fourrages et l’eau. Les pratiques de traite et l’environnement de la traite de manière générale est aussi un compartiment microbien rentrant en interaction avec le bovin, avec sa mamelle en particulier. Les trayons de la mamelle rentrent aussi en interaction directe avec le lait (Rowbotham and Ruegg, 2016; Verdier-Metz et al., 2012).
Le microbiote lié aux trayons de la vache laitière est un croisement des différents transferts microbiens entre l’environnement et le lait (ZENED et al., 2021). Il s’agit de la première source de contamination du lait, suivi par les excréments du troupeau (Doyle et al., 2016). Pour enrichir un milieu en choisissant les microorganismes présents, l’utilisation de probiotiques se développe. Les probiotiques sont définit comme des organismes vivants qui consommés en quantités adéquates ont un effet bénéfique sur la santé de l’hôte (Chanteperdrix, 2020). Ce type de pratique peut se justifier en cas de dysbiose. Cette notion est utilisée lorsque les équilibres microbiens sont rompus (ZENED et al., 2021).
De forts enjeux du microbiote en élevage laitier
Un lien étroit entre santé animale et microbiote
Dysbiose et problématiques sanitaires
De nombreuses problématiques sanitaires sont alors liées à la création de dysbiose. C’est le cas des troubles digestifs (acidose et diarrhées) et les boiteries. Les dysbioses intestinales ont souvent pour conséquence de rendre l’animal plus vulnérable et plus sujet aux infections. De manière générale, il est compliqué de savoir si la dysbiose est la cause ou la conséquence de la maladie (ZENED et al., 2021).
Il est reconnu que chez les jeunes ruminants le tube digestif est stérile. Les nouveau-nés sont fréquemment infectés par différents pathogènes entériques provoquant des diarrhées. La colonisation par une flore positive est donc un enjeu fort (ZENED et al., 2021).
Les mammites et microbiome des vaches laitières
Il existe un lien entre le microbiome des vaches laitières et le développement de mammites (Rowbotham and Ruegg, 2016). La mammite est la problématique sanitaire la plus fréquente en élevage laitier. Cette affection a de multiples impacts : perte économique, utilisation d’antibiotiques et conséquence négative sur le bien-être animal (ZENED et al., 2021).
En situation d’acidose ruminale, il y a un développement d’inflammations et de bactéries pathogènes pour la mamelle et indirectement une modification du microbiote de la mamelle (Plaizier et al., 2018; ZENED et al., 2021; Zhang et al., 2015). Dans le cas d’une acidose ruminale, des microorganismes opportunistes peuvent se développer et réduire les fonctionnalités de l’épithélium. De manière générale, la situation d’acidose provoque une diminution de la richesse et la diversité microbienne, et particulièrement des taxons bénéfiques à l’hôte au détriment des pathogènes (Plaizier et al., 2018).
Un moyen de réduire les imptacts négatifs sur l’environnement
Selon le dernier rapport Secten de la Citepa, en 2020, l’agriculture française s’est vu attribuer 20,6 % des émissions de gaz à effet de serre. 46 % de ces émissions sont liées au méthane, principalement entérique (Durand et al., 2022). Il existerait un lien entre certaines communautés microbiennes et le émissions de méthane produites. 86 unités taxonomiques opérationnelles ayant un impact ont été mises en évidence. Il s’agit par exemple des Succinivibrionaceae, Ruminococcaceae, Christensenellaceae, Lachnospiraceae et Rikenellaceae (Ramayo-Caldas et al., 2020). Les pertes d’azote par les fèces et l’urine posent des problématiques environnementales.
Des rations respectant les équilibres microbiens digestifs sont donc primordiales pour viser l’efficience de l’azote. Le phosphore est un élément à l’origine du phénomène d’eutrophisation. Le microbiote ruminal produit des phytases permettant d’améliorer sa disponibilité. Un maintien des équilibres microbiens favorise donc une diminution du phosphore dans les déjections et donc dans l’eau (ZENED et al., 2021).
Mantenir la qualité et sécurité des fromages au lait cru
Les fromages au lait cru présents dans de nombreuses appellations sont dépendants des communautés microbiennes originelles du lait. Il faut savoir que 72 % de la production d’AOP fromagère est au lait cru (Montel et al., 2012). Dans ces filières, une perte de qualité microbiologique est observée et, par conséquent, une baisse de fromageabilité (Monsallier et al., 2016).
La gestion des écosystèmes microbiens est un enjeu capital afin de maintenir les caractéristiques sensorielles et sanitaires des fromages (Verdier-Metz et al., 2012). Il est donc nécessaire d’éliminer les pathogènes : Salmonella, Listeria monocytogenes, Eschericha coli producteurs de shigatoxines (Montel et al., 2012). La vie microbienne créé de multiples barrières capables de limiter le développement de ces pathogènes (ZENED et al., 2021).
Les microorganismes présents dans l’alimentation, les litières, les bouses, l’air et l’eau sont susceptibles d’inoculer le lait. Cela est possible par une colonisation du matériel de traite et/ou des trayons de la vache (Verdier-Metz et al., 2012). Il a pu être mis en évidence que plus des trois quarts des unités taxonomiques opérationnelles présentent sur les trayons se retrouvent dans le lait et un quart dans le fromage (Frétin et al., 2018). Le but à atteindre est donc de pouvoir piloter les flux microbiens provenant de la ferme vers le lait en approfondissant les connaissances liées aux communautés microbiennes du lait (>200 espèces). Dans le cas de ces AOP l’objectif sera de pouvoir maintenir le lien au terroir en conservant les microorganismes spécifiques du territoire (Montel et al., 2012).
Des leviers émergents pour piloter le microbiote en élevage laitier
Piloter la ration et la qualité de l’eau
L’alimentation du bovin en élevage laitier
L’alimentation est le facteur qui a le plus d’impact sur le microbiote ruminal. La variable qui a le plus de répercussion est la part des concentrés. Les rations a forte part de concentré ayant une flore plutôt amylolytique et celles riches en fourrages une flore plutôt cellulolytique (ZENED et al., 2021). Les rations riches en concentré diminuent la diversité en bactéries, et les populations de protozoaires et champignons (Ishaq et al., 2017). Ces rations provoquent dans certaines situations des inflammations, voire favoriseraient certaines bactéries pathogènes pour la mamelle (Zhang et al., 2015). Les rations avec du concentré au pâturage en comparaison a des rations sans concentré, favoriseraient le pathogène du genre Clostridium sur les trayons des animaux. Le microorganisme pourrait venir des fèces, directement liées à l’alimentation (Frétin et al., 2018).
La charge en bactéries des pâtures
La charge en bactéries des pâtures n’a pas pu être corrélée à celle du lait des animaux. Aussi, la mise à l’herbe pourrait entrainer l’enrichissement du lait en staphylocoques à coagulase négative. De manière contradictoire, il est estimé que le pâturage pourrait être une source de biodiversité microbienne. Le nombre d’espèces microbiennes sur les trayons des vaches au pâturage étant supérieur à celui des animaux maintenus à l’intérieur (Verdier-Metz et al., 2012). L’utilisation de fourrages bioactifs contenant des métabolites secondaires ont un effet sur les microbiotes du système digestif de l’animal. En effet, les tanins condensés, l’aucubine et les sesquiterpène lactones sont reconnus pour diminuer le nombre de nématodes gastro intestinaux (Mueller-Harvey et al., 2019; Waghorn and McNabb, 2003).
La qualité bactériologique de l’eau
L’eau est le premier aliment en quantité ingéré par les animaux. La qualité bactériologique de l’eau doit être mesurée, notamment en vérifiant que certains éléments (E.Coli, entérocoques intestinaux, bactéries coliformes totales…) ne dépassent pas les valeurs seuils. Les conséquences d’une mauvaise qualité microbiologique de l’eau peuvent être multiples : mammites, métrites, diarrhées, boiteries, etc. Pour assurer une bonne qualité microbiologique de l’eau différentes méthodologies existent. La plus efficace et la moins couteuse est l’électrolyse, suivie du traitement au dioxyde de chlore. Afin de connaître la qualité de l’eau une analyse préalable une fois par an est conseillée (GDS 61, 2017).
Choisir les lieux et mode de couchage
Il existe un effet du mode de couchage sur les populations microbiennes (Rowbotham and Ruegg, 2016). Les populations microbiennes à la surface des trayons seraient plus importantes sur les litières à base de paille que les litières à base de sciure (Verdier-Metz et al., 2012). Il a été mis en évidence que la composition microbiologique du lait était différente en fonction de si les vaches étaient dans un environnement intérieur ou extérieur. Au sein des microorganismes totaux au sein du lait, la part des microorganismes provenant du milieu de couchage est plus importante lorsque les animaux sont en bâtiments (Doyle et al., 2016).
Le sol est un réservoir de microorganismes pour la vache. Le bovin consomme de la terre via les fourrages. Le sol est considéré comme le réservoir le plus diversifié et le plus complexe. Son impact potentiel sur l’animal est donc important. Un sol en bonne santé permettrait de faciliter la santé des plantes et la santé animale (Banerjee and van der Heijden, 2022).
Redéfinir des pratiques de traite moins systématiques
Pratiques de traite
Les pratiques de traite sont souvent réalisées dans un objectif d’éliminer les pathogènes sans tenir compte des potentiels réservoirs positifs (Rowbotham and Ruegg, 2016). Les pratiques d’hygiène de traite systématiques sont :
- prélavage, essuyage et post-trempage des trayons (Verdier-Metz et al., 2012),
- nettoyage et décontamination de la machine à traire, peuvent diminuer de 2,6 logarithmes d’unités microbiennes faisant colonie (Ufc) par millilitres sur la peau des trayons (Rowbotham and Ruegg, 2016; VerdierMetz et al., 2012).
L’hygiène de traite
Les produits appliqués sont souvent des antiseptiques à large spectre. Une hygiène de traite intensive engendrerait une diminution des populations de bactéries Gram-positive catalase-positive (Staphylococcus, Listeria, Conrynebacterium, Micorcoccus) et des levures (ZENED et al., 2021). Un simple nettoyage du trayon avant la traite et l’absence de désinfection systématique permettent de réduire les agents pathogènes. De plus, il préservent les populations microbiennes d’intérêt technologique (Monsallier et al., 2012). Des méthodes alternatives, telle que l’utilisation de laine de bois serait plus respectueuse de la flore du trayon que l’utilisation de pré-trempage (Montel et al., 2012).
Des biofilms se forment à la surface des équipements de traite. Ils sont composés majoritairement de microorganismes technologiquement intéressants : bactéries acidifiantes, microcoques et corynébactéries (Verdier-Metz et al., 2012). Dans ce contexte, l’utilisation systématique de lessives désinfectantes à base de chlore est questionnée. Des résidus de rinçage sont retrouvés dans le lait. Ils sont suspectés de nuire aux flores microbiennes du lait (Montel et al., 2012).
Adapter l’utilisation des antibiotiques
Certains antibiotiques administrés par voie générale peuvent provoquer de l’antibiorésistance. Cette dernière a un impact sur les bactéries du foyers infectieux et sur la flore commensale de la vache. Les traitements intra-mammaire pendant ou hors lactation peuvent aussi modifier la flore intestinale et les bactéries du foyer infectieux par l’intermédiaire de l’antibiorésistance. Les modifications des flores intestinales et commensales ont pour conséquence une modification qualitative et quantitative aiguë de la flore fécale. Ces modifications s’étendent à flore intestinale et nasale des veaux. Cela représente un risque de transmission indirecte d’antibiorésistances aux veaux. Les préconisations pour éviter des situations sont : passer en traitement sélectif au tarissement, éviter les périodes de tarissements courtes augmentant le risque de transmission aux veaux et éviter l’utilisation d’antibiotiques à large spectre (Bergonier, 2020).
Une sélection génétique en faveur de la réduction des GES
L’identification des biomarqueurs de familles bactériennes ruminales pouvant diminuer les émissions de méthane pourraient à terme intégrer des programmes de sélection génétiques bovines. Avant cela, il faudrait pouvoir s’assurer qu’ils soient héréditaires (Ramayo-Caldas et al., 2020). La société Gènes diffusion a basé une nouvelle offre (GHP) sur une analyse du microbiote de l’intestin du bovin par génotypage, pour prédire l’impact de l’environnement sur le développement du phénotype dans un élevage donné. Cela permet d’ajuster les index génétiques standards avec des données spécifiques à chaque élevage issu du génotypage, de l’analyse du microbiote et du contrôle de performances. Ce programme est pour le moment uniquement pour les troupeaux de races Holstein ayant 100 % de leur troupeau génotypé (Gènes diffusion, n.d.).
De nombreux moyens d’ensemement du milieu : kéfir de lait, EM, produits commerciaux
Lors d’une dysbiose, déséquilibre d’un écosystème, intervenir pour le rééquilibrer peut-être nécessaire pour éviter les infections par les pathogènes. Pour favoriser une flore bactérienne favorable deux possibilités semblent apparaître :
- installer une flore favorable, appelée probiotique, pour éviter que la flore défavorable ne se développe
- utiliser des prébiotiques nourrissant les microorganismes bénéfiques. L’utilisation de probiotiques semble être la plus répandue.
Les probiotiques peuvent intervenir de manière directe en inhibant leur développement ou de manière indirecte en rentrant en compétition avec le pathogène pour les nutriments et la colonisation de l’espace (Even et al., 2013).
Le kéfir : probiotique de ferme peu coûteux
Présentation du kéfir
Le kéfir de lait est composé des bactéries lactiques, bactéries acétiques et levures à du lait. Le principe général vise à coloniser le milieu avec ces microorganismes non pathogènes. Les bactéries lactiques par leur activité acidifient le milieu (pH : 2,5-3). Il a été démontré in vitro et in vivo que les bactéries et levures du kéfir ont une activité antimicrobienne contre les bactéries entéropathogènes et les champignons de détérioration (González-Orozco et al., 2022). Les mécanismes présumés du kéfir sont :
- une forte capacité d’adhésion à la paroi intestinale permettant une compétition avec les pathogènes,
- une compétition pour les nutriments,
- la production d’acides organiques, bactériocines et exopolysacharides (González-Orozco et al., 2022).
Utilisation du kéfir
Dans l’environnement, il peut être appliqué sur la litière et dans le bâtiment pour assainir le milieu via une acidification et un assèchement de la litière. L’application sur la litière doit être répétée dans le temps afin de maintenir son effet (Bourgeois, 2020). Des éleveurs mettent en avant son intérêt pour concurrencer les bactéries responsables de la dermatite digitée et les mammites environnementales (Cuminet et al., 2019). Des témoignages d’éleveurs révèlent un intérêt à réaliser des pulvérisations sur le fourrage (Bourgeois, 2020). La pratique du kéfir est peu coûteuse. L’achat initial est d’environ 20 € pour 20 g en pharmacie. Il suffit ensuite de le multiplier (Maupertuis and Bodet, 2017). La fermentation doit être réalisée à environ 20°C pendant 24 à 72 h (GonzálezOrozco et al., 2022).
Simultanément des recherches ont été réalisées sur l’intérêt des bactéries lactiques. Il a été montré in vitro une inhibition in vitro de Staphylococcus aureus par Lactobacillus casei.
Cette dernière affecte l’adhésion et l’internalisation de Staphylococcus aureus. L’utilisation de bactéries lactiques dans la lutte contre les mammites est donc une piste prometteuse. Ce travail n’a pas abouti à l’élaboration d’un mode d’administration qui reste à déterminer (Bouchard, 2012). Une autre étude a mis en évidence l’effet de Lactobacillus brevis, Lactobacillus plantarum et Lactobacillus lactis V7 dans la lutte contre les mammites à Eschericha coli et Staphylococcus aureus (Assis, 2016).
Les EM : un moyen peu connu
Les EM (microorganismes efficaces) est un mélange de microorganismes aérobies et anaérobies avec un pH entre 3,5 et 3,8. Il s’agit principalement de bactéries lactiques, bactéries photosynthétiques, levures et actinomycètes. Ce mélange a l’avantage de pouvoir être multiplié à la ferme. Leur utilisation vise à contenir le développement des pathogènes nocifs. Par conséquent, ils ont l’avantage de ne pas favoriser l’apparition de souches résistantes. A notre connaissance, peu de références existe concernant leur utilisation en élevage. Les seules références existantes proviennent de Cuba. Ce mélange a été conçu pour coloniser positivement le milieu. L’apport journalier est préconisé à 200-300 ml par jour par bovin. Les bénéfices mis en avant en élevage laitier sont : limitation des diarrhées des jeunes bovins, limitation de la météorisation, limitation des émissions de méthane, accélération du compostage des litières (Félix, 2015). Les modes d’action sur l’animal sont mal connus.
De nombreux produits commerciaux
Dans un objectif de gestion optimisée des litières, de nombreux produits commerciaux se développent en plus des asséchants litières classiques. Le principe reste le même que celui développé précédemment. Un complexe bactérien (bactéries lactiques et sporulées) assure la compétition spatiale et nutritive. Nous retrouvons par exemple les préparations suivantes : Cobiotex 410, Flori’Nat (Littoral Normand, n.d.), Cleanoflor. Pour lutter contre la dermatite, des produits existent aussi, tel que le Certiflore (Ropars, 2022). Il n’existe pas d’effet des probiotiques sur les entérites néo natales. Mais, des réductions d’incidence sont rapportées (Le Loir and Even, 2016).
Des possibilités d’ensemencer les microbiotes au sein d l’animal
Chez la vache : lutte contre l’acidose
L’ensemencement de microorganismes positifs
L’ensemencement de microorganismes positifs peut se réaliser au sein même de l’animal pour orienter le microbiote ruminale. Par exemple, l’ajout de levures, tel que Saccharomyces cerevisiae augmente la richesse fongique et la richesse et la diversité en protozoaires du rumen (Ishaq et al., 2017). L’ajout de Lactobacillus et Enterococcus dans un objectif de gérer les situations d’acidose ont alors fait l’objet de tests de nombreuses fois. Il semblerait que les études se contredisent sur l’efficacité des traitements pour relever le pH ruminal (Chiquette, 2010).
L’ajout de levures dans les rations favorisent la multiplication des bactéries plutôt que la production d’acides gras volatils. On peut justifier cela par l’apport de facteurs de croissance (vitamine B et acides aminés) que les levures apportent aux bactéries. Ces levures permettent aussi de retarder la fermentation des grains d’amidon, ce qui facilite l’augmentation du pH ruminal pour lutter contre l’acidose (Chiquette, 2010).
Une méta-analyse
Une méta-analyse basée sur 157 expériences a étudié l’apport de levures chez les ruminants. Il en résulte en moyenne un gain de 0,03 points du pH ruminal, une augmentation de la concentration en acides gras volatils et pas d’influence sur le ratio acétate propionate. Cette supplémentation a permis une augmentation de la production de lait (+ 1,2 g/kg de poids corporel). Et, elle a eu tendance à augmenter la teneur en matières grasses du lait (+ 0,05 %). Cela n’a pas influencé la teneur en protéines. L’apport de levures permet une augmentation de la dégradation de la matière organique. Cette augmentation augmente simultanément à l’augmentation de concentré et de NDF dans la ration. Il en résulte une augmentation de la matière sèche ingérée (+ 0,44 g/kg de poids corporel).
Ces résultats suggèrent une amélioration de la fermentation ruminale grâce à l’apport de levures. Cette méta-analyse a mis en exergue un effet positif mais modéré des levures sur la fermentation ruminale, l’ingestion de matière sèche (+ 1,5%) et la production laitière (2,5 –3 %) (Desnoyers et al., 2009).
Chez le veau : gestion de diarhées
Chez le jeune veau, l’apport de Lactobacillus et Streptococcus peut réduire l’incidence des diarrhées (Chiquette, 2010). Galvao et al. ont notamment montré que l’ajout de Saccahromyces cerevisiae et Streptococques boulardii permettent de diminuer les jours de diarrhées avant sevrage. Cet ensemencement permet de limiter le coût des traitements curatifs de moitié (Galvão et al., 2005).
De manière plus naturelle, le contact prolongé entre la vache et son veau suite au vêlage favoriserait le développement de la flore microbienne (Chiquette, 2010). En effet, suite au vêlage l’intestin du veau est stérile, sa bonne colonisation est donc primordiale (Chanteperdrix, 2020). Cette colonisation peut aussi être réalisée avec des produits commerciaux (Cleanoflor) ou des ferments issus de la ferme comme les kéfirs (Bourgeois, 2020).
Facteurs de variation de l’efficacité des probiotiques
Il existe de nombreux probiotiques sur le marché. Il semblerait que leur efficacité varie selon les études. De plus, leurs mécanismes d’action sont encore mal connus (Plaizier et al., 2018). L’effet du probiotique dépend de la souche utilisée et sa viabilité. Il existe aussi un effet dose (Chanteperdrix, 2020), un effet de la période de supplémentation, un effet de la composition de la ration et du statut de l’animal (Chiquette, 2010).
De manière général, le choix du probiotique doit alors se faire en fonction d’une situation particulière et d’un objectif attendu.
Discussion sur les enjeux et les moyens de pilotage des écosystèmes microbiens en élevage bovin laitier
Les microorganismes les plus étudiés et le rumen est le microbiote le plus travaillé
Nous avons pu constater que les bactéries sont les microorganismes les plus étudiés et le rumen est le microbiote le plus travaillé. Concernant le domaine d’étude, les publications concernent principalement le lien entre le microbiote et la santé des animaux. L’impact du microbiote sur la qualité des produits a lui aussi été fortement travaillé, en particulier dans les filières au lait cru. En ce qui concerne les pratiques à développer, l’impact des pratiques de traite et des antibiotiques semblent bien connu. L’effet du pâturage sur le microbiote du lait est contradictoire selon les études. Les animaux consomment de la terre mais l’impact sur les microbiotes semble mal connu. Les effets du logement sont connus mais les recommandations techniques sont peu claires.
L’introduction de probiotique
Au sujet de l’introduction de probiotiques, l’utilisation de bactéries lactiques et de levures sont les deux probiotiques les plus connus. Le kéfir a été fortement étudié in vitro. A contrario ces mises en place en exploitations relèvent plus de retours du terrain que de préconisations scientifiques. A notre connaissance les expériences in vivo se font principalement sur porcins (Maupertuis and Bodet, 2017). De manière générale, nous avons donc pu constater que l’efficacité des probiotiques est variable.
La diversité des microorganismes
Il existe beaucoup d’études sur l’impact des pratiques sur la diversité des microorganismes ou sur leurs moyens de transmission. Ces études sous entendent que la diversité est bénéfique pour éviter le développement des pathogènes. Toutefois, il serait intéressant d’approfondir la nécessité ou non de cette diversité. En effet, on peut se demander si la présence de peu d’espèces bénéfiques pourraient être aussi intéressante. De manière générale, des connaissances sont donc produites. Néanmoins, les mises en place opérationnelles pour orienter les microbiotes ne sont pas forcément claires. Il n’existe pas à notre connaissance de document technique centralisant des préconisations techniques.
Des recherches complémentaires pourraient être pertinentes
Les perspectives de travail sont nombreuses. Dans le domaine de la génétique et l’environnement, la sélection des animaux en choisissant les communautés microbiennes les moins émettrices de méthane semble alors prometteuse. Aussi, les bactéries pathogènes sont bien connues. A contrario, seules quelques souches de microorganismes positifs sont connues. Des recherches complémentaires pourraient donc être pertinentes. Par ailleurs, l’utilisation des probiotiques est mise en avant. Mieux comprendre leurs modes d’action est nécessaire afin de mieux appréhender les déterminants de leur efficacité. Enfin, l’utilisation de bactéries lactiques pour lutter contre les mammites semble prometteuse. Le développement de protocoles de mises en place en élevage serait alors porteur d’intérêt.
Conclusion sur les njeux et moyens de pilotage des écosystèmes microbiens en élevage bovin laitier
Nous avons alors constaté qu’ils existent une multitude de pratiques permettant d’orienter positivement les différents microbiotes en contact avec les bovins. Si nécessaire, un ensemencement peut être réalisé. Il peut s’agir d’un ensemencent de l’écosystème microbien externe ou interne à l’animal. Les probiotiques ont le gros avantage de ne pas créer de résistances contrairement aux antibiotiques. Dans tous les cas, les facteurs cités précédemment interagissent entre eux. Par conséquent, une approche globale est à développer pour que les leviers soient efficaces. Cette approche doit aussi être multi-acteurs à l’échelle de l’exploitation et de la filière.
Nous remercions M. Koczura pour son soutien méthodologique dans la réalisation de ce travail.
Retrouvez également toutes les publications sur la gestion de la santé de l’animal, sur le site de l’ARAD2.