Comment les protons influencent le fonctionnement des sols ?
Le niveau d’acidité est une dimension essentielle de la fertilité des sols. Car, il influence le sol dans son fonctionnement biologique, chimique et physique. En France, 2/3 des sols cultivés sont concernés par le risque d’acidification. Le 1/3 restant étant calcaire et pour lequel il n’est guère possible d’abaisser le pH. On parle d’acidification quand le bilan entre les entrées et les sorties de protons est positif. Mais c’est également une question de niveau de pouvoir tampon des sols. Le niveau d’acidité joue un rôle clé dans les fertilités chimique et physique des sols. Concernant les organismes du sol, même si le statut acidobasique n’est pas forcément le premier facteur limitant, il peut impacter à la fois la qualité de leurs habitats et l’accessibilité aux ressources. Et donc toutes les réactions dans lesquels ils sont impliqués.
Le niveau d’acidification des sols, une question de flux de protons et de pouvoir tampon
Dans les sols, les flux de protons sont permanents et le pH que l’on mesure en est la résultante. Les cycles de matières influent ces flux. Concernant le cycle du carbone, le CO2 atmosphérique est une source majeure, naturelle d’entrée de protons dans les sols via les précipitations et les végétaux. La dégradation des matières organiques entraine des flux de protons dans les deux sens mais l’acidification est prépondérante si on a lixiviation ou exportation de cations majeurs des constituants du sol et d’anions associés (HCO3–, anions organiques, Ca2+).
Pour le cycle de l’azote, sans engrais, la minéralisation utilise un proton, la nitrification en donne deux et l’absorption de NO3– par le végétal en utilise un donc le bilan est nul. Mais en cas d’apport d’engrais, selon la forme apportée, le bilan sera positif ou négatif. Si on apporte de l’ammonium NH4+, la plante l’absorbe par exsudation de protons donc le bilan est positif pour le sol qui s’acidifie. A l’inverse, pour absorber la forme nitrate NO3–, la plante absorbe également les H+ du sol.
Le sol grâce à son pouvoir tampon va s’opposer à ces variations de pH (cf graph ci dessous). L’argile et la matière organique constituent le principal pouvoir tampon d’un sol, dans une gamme de pH eau entre 5,5 et 7. Les charges négatives de la CEC (capacité d’échange cationique) Metson sont en grande partie constituées de celles de l’argile et des MO. Cet indicateur est donc un bon estimateur du pouvoir tampon dans cette gamme de pH. En sol calcaire (pH >7), les carbonates jouent également un rôle de pouvoir tampon tout comme en sol acide (pH<5,5), l’aluminium échangeable libéré par l’altération des argiles.
Niveau d’acidité et disponibilité des ETM oligoéléments et contaminants
Les ETM oligoéléments (fer, manganèse, zinc, cuivre, molybdène, bore) ont un rôle physiologique important, notamment dans la chaîne de transport des électrons et dans le fonctionnement des métalloprotéines (exemple : plus de 500 protéines nécessitent du zinc). Les ETM peuvent aussi être des contaminants, comme le cadmium ou le plomb. La plante prélève essentiellement les ETM sous leur forme ionique libre en solution. Alors que la grande majorité des ETM du sol est fixée sur la phase solide (oxydes, argile, MO). Le pH est un facteur majeur du transfert sol-plante des ETM (avec le potentiel redox et la matière organique). Il joue sur la solubilité des ETM dans le sol et sur la spéciation des ETM en solution. Concernant la solubilité, il influe avant tout via son effet sur la sorption/désorption des ETM.
La phytodisponibilité des ETM est inversement liée au pH (sauf pour le molybdène). Cela signifie que plus le pH est acide, plus on retrouve une concentration élevée de ces éléments dans les parties aériennes des plantes ce qui peut poser parfois des problèmes de qualité sanitaire des récoltes.
Niveau d’acidité et structure des sols
Le lien entre pH et structure des sols se situe au niveau de la CEC effective. Quand on apporte un amendement basique, les bases OH– arrachent les H+ du sol et les neutralisent. A la place de ces protons apparaissent des charges négatives sur lesquelles vont s’adsorber des cations. Ces derniers ont des propriétés très différentes : on parle de cations structurants pour Ca2+ et Al3+, de cations intermédiaires pour Mg2+ et de cations dispersants pour K+ et Na+.
La CEC effective mesurant le nombre de charges négatives augmente donc avec le pH. Plus la CEC est élevée, plus la vitesse d’humectation des sols augmente. Cela s’explique par le fait que l’augmentation du nombre de charges négatives rend les surfaces du sol plus hydrophiles. Car l’eau est une molécule polaire. L’affinité du sol pour l’eau augmente donc avec la CEC effective. Parallèlement aux nombres de charges, le nombre de cations bivalents comme le calcium augmente. Ils améliorent ainsi la stabilité structurale des agrégats. Ainsi, en raison de la relation linéaire entre le pH et la CEC effective, plus le pH augmente, plus l’affinité du sol et la stabilité des agrégats augmentent.
La conséquence la plus visible au champ est liée à l’affinité pour l’eau avec pour principaux résultats : une meilleure infiltration, une teneur en eau en surface plus faible et une sensibilité au tassement en surface diminuée.
Une meilleure stabilité des agrégats entraîne une meilleure stabilité des trous. En surface, le risque de battance est diminué et la sensibilité au tassement est plus faible. Cette propriété est renforcée par la teneur en eau plus faible. On note aussi souvent une moindre sensibilité au tassement en profondeur.
La capacité de rétention en eau est augmentée au point de flétrissement. Enfin, la porosité du sol peut être améliorée, mais il faut du temps et de nombreux cycles humectation / dessiccation. On note alors une augmentation de la réserve en eau et un meilleur enracinement des cultures.
Niveau d’acidité des sols et organismes du sol
Les préférences écologiques de la faune du sol
Les préférences écologiques de la faune du sol vis-à-vis du niveau d’acidité sont très diverses. La majorité des espèces de vers de terre des régions tempérées se trouvent dans des sols à pH compris entre 5 et 7,5. Mais ils peuvent tolérer entre 4,5 et 8. Il existe par ailleurs un pH optimal par espèce. Les espèces épigées sont beaucoup plus tolérantes à l’acidité que les espèces anéciques et endogées Ces dernières préfèrent des pH de 6 à 7.
Les nématodes et collemboles sont présents à tous les gammes de pH. Mais ils semblent préférer les pH acides (6), la diversité des collemboles diminuant en pH basique. Les bactéries ont généralement une croissance limitée en dessous d’un pH de 6,5 mais chaque genre a des préférences spécifiques. Par exemple, la bactérie Rhizobium meliloti qui s’associe avec la luzerne a un optimum de croissance entre 7 et 7,5. Les champignons supportent un spectre de pH plus large allant de 4 à 9. Bien que ce ne soit pas des organismes acidophiles. Attention souvent l’optimum pH pour la sporulation et la germination de leurs spores est différent.
L’impact des organismes du sol sur le statut acidobasique
Via leurs activités métaboliques, les organismes du sol ont un impact sur le statut acidobasique des sols. Respiration, nitrification, synthèse d’acides organiques sont autant de réactions qui libèrent ou consomment des protons. De plus, lors de l’élongation racinaire, l’excrétion de protons par les cellules méristématiques peuvent acidifier l’environnement jusqu’à un point de pH.
Le statut acidobasique a également des impacts sur les microorganismes. Les protons perturbent la perméabilité des membranes cellulaires, altèrent la production d’enzymes et limitent la division cellulaire. L’effet inhibiteur est également lié à la plus grande disponibilité des métaux en sol acide. La toxicité des métaux est due à leur affinité avec les groupements –SH des enzymes. Ils s’inactivent après liaison avec le métal. L’effet inhibiteur est fort sur les champignons mycorhiziens ou les rhizobiums. Les bactéries possédant des capsules polysaccharidiques les protègent mieux.
Enfin, le pouvoir pathogène de certains organismes est fonction du pH. Ainsi, pour l’aphanomyces, la hernie du chou ou encore le genre pythium qui entraine des pourritures de racines. Il est favorisé en milieu acide. A l’inverse, le piétin échaudage ou la gale de pomme de terre sont favorisés en milieu neutre ou alcalin.
Sources :
Cornu JY, 2020. pH et phytodisponibilité des ETM dans les sols agricoles. Journée COMIFER pH 28 novembre 2020
FELIX-FAURE Bruno, 2013. Prendre en compte tous les indicateurs de l’acidité des sols pour l’interprétation et le conseil. Journées COMIFER novembre 2013
JULIEN JL, 2020. pH et structure du sol. Journée COMIFER pH 28 novembre 2020
VALE Matthieu., 2020. Fertilité organo-biologique : impacts sur statut acido-basique sur l’abondance, l’activité et la diversité des organismes du sol. Journée COMIFER pH 28 novembre 2020
Retrouvez tous nos articles pour mieux connaître ses sols sur notre site internet.