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Références techniques agronomiques et transition agroécologique

Temps de lecture : 8 minutes

Renouveler les références techniques agronomiques pour accompagner la transition agroécologique

Découvrez comment le conseil agricole s’appuie sur des références techniques agronomiques qu’il faut renouveler pour accompagner les transitions agricoles en particulier la transition agroécologique.

La modernisation de l’agriculture, et les multiples transitions qui en ont pris la suite, se sont accompagnées d’un considérable élargissement des sources d’information à partir desquelles l’agriculteur fait ses choix et prépare ses interventions techniques. L’élaboration des références techniques, l’établissement et l’actualisation des référentiels et leur valorisation constituent depuis longtemps une activité majeure du système de recherche-développement agronomique.

Aujourd’hui, la transition agroécologique fait apparaître des enjeux qui dépassent de loin l’actualisation et l’extension des références techniques et référentiels existants. Il faut ainsi les adapter à de nouveaux contextes climatiques, écologiques et socio-économiques. Le défi est à la fois quantitatif et qualitatif avec l’élaboration de nouveaux types de références, portant sur des sujets et niveaux d’organisation inédits, et utilisables de façon beaucoup plus flexible.

Les références techniques agronomiques à la base du conseil agricole

Définition des références techniques agronomiques

Une référence technique agronomique (RTA) est une information qui permet de prendre une décision technique dans un contexte donné, en choisissant une modalité opérationnelle adaptée à la situation et aux objectifs de l’agriculteur (et plus largement du ou des acteurs concernés), ou de formuler un diagnostic sur une action passée.

Le référentiel est la base de données qui résulte de la collecte et du regroupement de RTA relatives à un ou plusieurs domaines techniques. L’objectif est alors de les rendre accessibles à, et utilisables par, différents types d’acteurs, au premier rang desquels les agriculteurs.

Caractéristiques des références techniques agronomiques

Une RTA n’est pas une donnée naturellement préexistante et qu’il suffit de « collecter » ou « acquérir ». C’est l’expression de la relation établie entre trois éléments constitutifs :

  • aux modalités de l’action engagée,
  • au contexte dans lequel elle a lieu,
  • aux performances escomptées suite à sa mise en œuvre.

Cette relation tripartite repose elle même sur une représentation plus ou moins détaillée du fonctionnement de l’agroécosystème et de sa réponse aux actions techniques concernées.

Les modalités d’élaboration des référentiels dépendent du caractère plus ou moins explicatif et formalisé des modèles de connaissance sous-jacents. La dimension et la complexité apparentes du référentiel mis à disposition des utilisateurs ne reflètent pas l’importance de l’investissement requis. Des référentiels en apparence simples et succincts peuvent résulter de combinaisons de démarches très sophistiquées, et d’un effort considérable d’acquisition de données.

Exemples de références techniques agronomiques actuellement utilisées

Des conseils de densité de semis pour le tournesol

Le tableau 1 présente un référentiel récent, particulièrement concis. En effet, il ne contient que huit références élémentaires, qui sont les valeurs de densité de semis recommandées en fonction de la situation où a lieu le semis en fonction :

  • du degré de contrainte hydrique prévisible (colonne 1)
  • de l’objectif de densité de levée correspondant (colonne 2)
  • des conditions de germination-levée plus ou moins favorables (colonnes 3 & 4).

D’une apparence simple, ce tableau est en fait l’expression d’une relation complexe entre rendement et densité de semis, modulée par les conditions d’implantation de la culture ainsi que par l’intensité et la durée du déficit hydrique subi au cours du cycle cultural. Il a été obtenu à l’issue d’une démarche de grande ampleur. Elle a combiné l’analyse de données réelles issues de 38 expérimentations menées par l’institut technique Terres Inovia, et l’analyse de données virtuelles issues de simulations avec le modèle de culture SUNFLO.

Références techniques agronomique pour le chaulage en Bresse

Dans cette région caractérisée par une prédominance de limons battants hydromorphes, la valorisation de l’investissement très coûteux que constitue le drainage est apparue variable selon le degré d’acidification des sols. Ce constat a conduit la chambre d’agriculture de Saône et Loire à entreprendre une démarche de diagnostic sur les interactions entre chaulage, drainage et travail du sol. Cette démarche a débouché sur un schéma de préconisation du chaulage qui met en œuvre une grappe de référentiels (figure 2).

Renouveler les références techniques agronomiques pour accompagner la transition agroécologique

L’absence de références techniques agronomiques comme frein à l’extension d’innovations

La transition débute par une phase initiale d’exploration, ce qui veut dire en l’absence de références. Inversement, les références ne peuvent émerger qu’à partir d’un certain degré de stabilisation des pratiques, autrement dit, à la limite, à partir du moment où la transition n’a plus cours. En fait, dès le début des transitions, émergent des formes embryonnaires de références, et dès lors que certaines transitions sont engagées à grande échelle, le travail de référencement se met en route.

Même si les innovations de rupture se font en l’absence, au moins partielle, de références préalables puisqu’elles correspondent à des leviers techniques non ou peu utilisés en situation conventionnelle, s’il persiste, ce déficit peut à terme compromettre la consolidation des innovations et ralentir leur extension. Par ailleurs, l’adoption d’une innovation non référencée implique pour l’agriculteur une prise de risque, qui peut être dissuasive même si l’innovation est pertinente dans son cas.

Un élargissement des enjeux à assumer qui complexifie les besoins en références techniques agronomiques

Les transitions entraînent un considérable élargissement des enjeux à assumer, et donc des thématiques à référencer. De plus, elles entraînent une modification plus ou moins forte de chacun des trois éléments constitutifs de la RTA : contexte (notamment climatique, et plus globalement écologique) dans lequel sont prises les décisions techniques ; critères et échelles d’évaluation des objectifs ou résultats ; modalités techniques à mettre en œuvre.

La transition agroécologique, qui implique un moindre recours aux intrants industriels, a pour corollaire une montée en complexité des leviers et procédures de raisonnement technique, et par suite des références et référentiels associés. Un des aspects les plus notables de cette montée en complexité est le fait que les actions à référencer s’appliquent à des niveaux d’organisation et/ou à des échelles spatiales de plus en plus englobants.

Cette complexité va de pair avec un degré de sophistication des référentiels qui peut alors les rendre très difficilement appréhendables par les non-spécialistes. Cela va à l’encontre de l’autonomisation des agriculteurs, en les rendant dépendants d’« accompagnateurs » seuls capables de « faire tourner » les modèles et de les alimenter en références adéquates.

Différents niveaux pour renouveler les références techniques agronomiques

On peut schématiquement distinguer plusieurs cas de figure, correspondant à des niveaux d’investissement plus ou moins importants, et surtout à des démarches d’élaboration différentes :

  • Adaptation modérée ou re-paramétrage : la structure du référentiel n’a pas à être modifiée mais il faut réactualiser les valeurs fournies dans le référentiel.
  • Révision structurelle : un nouveau modèle de connaissance est, à terme plus ou moins proche, substituable à l’ancien. À la suite de cette substitution, le référentiel est à reconstruire plus ou moins complètement, avec là encore un investissement nécessaire qui peut être important. Ce cas de figure pourrait correspondre à la remise en cause du bilan prévisionnel comme fondement prescriptif de la fertilisation azotée des cultures, au profit d’un suivi de la nutrition azotée
  • Invention d’un référentiel sur un sujet inédit : ce pourrait être le cas d’une gestion de la fertilité biologique du sol reposant sur les récentes avancées de l’écologie du sol.

Renouvellement des références techniques agronomiques : ex avec l’agriculture régénératrice

Rappel sur l’agriculture régénératrice

L’agriculture régénératrice (AR), née elle aussi aux Etats Unis, met tout particulièrement en avant la protection du sol (sols toujours couverts par des plantes vivantes ou leurs résidus) pour « réparer ou agrader la terre ». L’argument central porte sur la santé biologique des sols considérée comme menacée et se voyant attribuer des propriétés parfois mythiques. Elle repose beaucoup sur les principes de l’agriculture de conservation des sols (ACS), en mettant en avant la protection agroécologique des cultures, la gestion intégrée des nutriments, ainsi que l’agroforesterie, l’utilisation de biochar, l’association d’espèces et l’intégration culture élevage. L’AR met plus en avant que l’ACS des promesses en termes de quantité de carbone séquestrable, d’amélioration des communs (eau et biodiversité), voire en termes de densité nutritionnelle des produits.

Des références techniques agronomiques centrées sur la santé des sols

La santé d’un sol est définie comme « sa capacité à fonctionner comme un système vivant clef pour soutenir la productivité biologique, promouvoir la qualité de l’environnement et maintenir la santé des plantes et des animaux ».

La variabilité dans les relations entre les diverses dimensions de la biodiversité et les services écosystémiques recherchés en AR, n’autorise pas de recommandations normalisées, mais simplement l’édition de principes. Ainsi, des systèmes de culture ou des itinéraires techniques à mettre en œuvre vont dépendre très largement de l’état de santé des sols et des conditions climatiques locales. C’est pourquoi, il importe de pouvoir situer l’état de fertilité endogène des sols sur des trajectoires, et pour cela, de savoir comment maintenir ou le plus souvent restaurer cette fertilité suite à une agriculture minière ayant conduit à une perte de carbone et d’activité biologique.

L’indicateur VESS et le rapport MO/argile comme références techniques agronomiques pour piloter la transition vers l’agriculture régénératrice

L’état de santé des sols peut être évalué par divers indicateurs liés à leur activité biologique ou à leurs caractéristiques physico-chimiques, et aussi plus simplement par des indicateurs intégratifs issus d’une évaluation visuelle de leur structure notamment l’indicateur VESS ou correspondant au ratio MO%/argiles%, deux proxys qui fonctionnent bien pour les sols contenant de 10 à 40% d’argiles.

Indicateur VESS

Le test VESS (Evaluation Visuelle de la qualité de la Structure du Sol) est une méthode de test bêche servant à déterminer la qualité des sols (SQ) en se basant sur les agrégats et la porosité observables le plus longtemps possible après tout travail du sol. En attribuant une note de 1 (SQ1 : friable) à 5 (SQ5 : très compact), ce test permet de comparer la structure des sols de différentes parcelles et exploitations. Un VESS SQ1, correspondant à un ratio MO%/argiles% supérieur à 24 %, caractérise un sol régénéré, très bien structuré, à l’activité biologique riche et diversifiée, capable d’assurer un grand nombre de services écosystémiques. Ce ratio de 24% correspond à un premier seuil dans une dynamique de dégradation, et inversement à un seuil « ultime » de régénération des sols grâce à un gain de porosité biologique via un gain de MO.

A l’opposé, un VESS SQ5 (ratio MO%/argiles% inférieur à 12% – fig. 4) caractérise un sol très compact suite à un effondrement de la structure, et siège de très peu de services écosystémiques. La valeur de 12% correspondant à un seuil ultime dans une dynamique de dégradation du fait d’une perte continue de MO entrainant celle de la porosité biologique.

Ratio % matières organiques / % argile

Le ratio MO%/argiles% de 17 % correspond à un seuil critique intermédiaire, point d’inflexion de la courbe (fig. 4). Au-delà, divers processus écologiques se mettent progressivement en place (régénération), en-deçà, ils sont au contraire progressivement désactivés (dégradation). Dans une dynamique de régénération des sols (progression de 17 % vers 24 %), les notes décroissantes traduisent une restauration de la structure via un gain de MO, ce qui permet de remobiliser des services écosystémiques pour la production et l’entretien de l’écosystème, et ainsi de limiter les besoins en intrants exogènes grâce à une fertilité endogène restaurée.

Des trajectoires de restauration non linéaires pilotable par les indicateurs

Cette capacité à se positionner sur ces trajectoires devrait permettre de donner de la généricité aux résultats de recherche et aux recommandations techniques.

Si vous êtes intéressés par d’autres publications sur la transition agroécologique, n’hésitez pas à consulter notre rubrique Agroécologie.

Sources

BOIFFIN J. et al, 2023. Références et référentiels techniques en agronomie : de quoi s’agit-il, que faut-il faire ? Revue AE&S 13-2. https://doi.org/10.54800/jbf589

HUSSON O. et al, 2023. Référentiels et nouveaux indicateurs pour fonder une agriculture régénératrice. Revue AE&S 13-2. https://doi.org/10.54800/ohj587

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