Etat des lieux des connaissances sur les taupins et des stratégies alternatives aux phytos pour la gestion du risque taupin
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Alors que de nombreuses cultures subissent chaque année des attaques de larves de taupins, les connaissances sur leur biologie restent encore fragmentaires et limitées à quelques espèces. L’acquisition de connaissances sur la biologie et les dynamiques de populations de taupins, l’amélioration des méthodes d’évaluation du risque de dégâts et le développement de stratégies de protection durables constituent des défis scientifiques, techniques et économiques urgents à relever.
Les dégâts dus aux larves de taupins résultent souvent de l’interaction entre l’abondance des larves et la sensibilité de la plante hôte. Et ce sous certaines contraintes abiotiques (température et humidité du sol au semis ou à la récolte). La relation entre la densité larvaire et les dégâts est encore inconnue pour la plupart des espèces de taupins présentes en France. Cela empêche l’établissement de seuils de nuisibilité fiables.
Par ailleurs, il reste nécessaire de préciser les facteurs abiotiques et biotiques du sol qui défavorisent la survie et le développement des larves. Cela doit permettre d’identifier d’éventuels sols suppressifs (c’est-à-dire qui maintiennent les populations de taupins à de faibles niveaux par des processus naturels de régulation biologique). Cela nécessiterait principalement d’évaluer les principales causes naturelles de la mortalité larvaire, y compris le parasitisme et la prédation.
Quelques résultats préliminaires posent également la question de la tolérance variétale dont les travaux de recherches sont initiés depuis peu de temps (sur maïs et pomme de terre). Enfin, le recours aux appâts apparait comme un nouveau levier pour protéger le maïs contre les larves de taupins. Il reste néanmoins nécessaire de préciser l’itinéraire technique permettant d’optimiser l’efficacité de la protection de la culture vis-à-vis des attaques de taupins. Et également de décliner la stratégie sur d’autres cultures particulièrement sensibles comme la pomme de terre.
Etat des lieux des connaissances sur les taupins
Les entomologistes du début du 20e siècle ont considéré les larves de taupins (Coléoptères : Elatéridés) comme faisant partie des ravageurs les plus nuisibles aux grandes cultures. Plusieurs décennies d’applications d’insecticides à large spectre ont par la suite permis de maîtriser ces ravageurs. Mais cette situation a conduit à une perte de conscience générale du potentiel de nuisibilité des larves de taupins du genre Agriotes et à un ralentissement des recherches consacrées à l’étude de leur biologie et de leur écologie pendant près de 40 ans.
Biologie des taupins
Les taupins sont des insectes coléoptères de la famille des élatéridés. Cette famille, remarquable par son homogénéité, compte plus de de 9000 espèces dans le monde. Ainsi, en France, on compte environ 200 espèces réparties dans 15 sous-familles. Le cycle de développement des taupins est principalement endogé. Alors que la durée de vie des adultes n’est que de quelques mois, les larves passent plusieurs années dans le sol pour les espèces terricoles. En termes d’alimentation, les adultes ne sont pas considérés comme ravageurs . En effet, ils se nourrissent essentiellement de nectar et de pollen.
Quatre espèces de taupins en France
En France, quatre espèces du genre Agriotes provoquent l’essentiel des dégâts : A. sordidus, A. lineatus, A. obscurus et A. sputator. Agriotes lineatus est l’espèce la plus fréquemment observée en France (42,5 % des larves prélevées). Suivie d’Agriotes sordidus (29,5 %) puis Agriotes sputator (20,4 %). Par contre, Agriotes obscurus a été identifiée plus rarement (6,7 %).
Répartition géographique des espèces de taupins en France
Concernant leur répartition géographique, les espèces Agriotes lineatus et Agriotes sputator sont présentes sur l’ensemble du territoire. Ils sont majoritaires au nord d’une ligne Lyon – Nantes. L’espèce Agriotes sordidus est présente au sud d’une ligne allant du sud de la Bretagne jusqu’à l’Alsace. Et souvent majoritaire au sud d’une ligne allant de la Vendée à la Drôme. Agriotes obscurus est présente au nord d’une ligne reliant la Bretagne à la Champagne-Ardenne.
Régime alimentaire des larves de taupins
Les larves de taupins sont le plus souvent des herbivores généralistes. Elles se nourrissent des espèces végétales les plus abondantes dans leur habitat. Mais, elles peuvent aussi se nourrir de proies animales. En particulier, elles peuvent aussi devenir cannibales lorsque les ressources alimentaires disponibles ne sont pas suffisantes par rapport à la densité larvaire. Les larves de taupins du genre Agriotes n’en restent pas moins phytophages. Et peuvent infliger d’importants dégâts à de nombreuses cultures.
Ainsi, on observe une plus grande nuisibilité des taupins pour les cultures dites « sarclées » (maïs, sorgho, betteraves) et certaines productions légumières comme la laitue. Ces cultures n’ont pas comme les céréales la possibilité de compenser les pertes de peuplement par le tallage. Sur maïs, les taupins sont les ravageurs causant le plus de dommages en France. Une attaque précoce de taupins entraine la mort des pieds attaqués. Et elle peut conduire à l’abandon de la culture si celle-ci est intense et généralisée sur la parcelle. Sur pomme de terre, les larves de taupins dégradent les récoltes par leurs piqûres ou galeries creusées dans les tubercules.
Identifier les facteurs de risques de dégâts de taupins sur culture de maïs
INRAE et Arvalis ont entrepris un travail original depuis 2010. Il vise à établir et hiérarchiser les principaux facteurs de risques d’attaques de taupins sur maïs. Ce travail s’est appuyé sur l’analyse d’enquêtes. Elles ont analysé les niveaux d’infestation dans les parcelles considérées en fonction :
- des conditions climatiques,
- des caractéristiques du sol,
- des pratiques culturales,
- de l’historique et l’environnement de la parcelle.
Influence des conditions climatiques sur le risque taupins
La variable influençant le plus le niveau d’attaques est la présence de larves de taupins observées dans le sol lors de la quantification des dégâts sur plantes. Toutefois, les conditions climatiques influencent également significativement le risque de dégâts causés par les taupins. Ce sont principalement les températures du sol mais aussi les précipitations avant et pendant la période de semis. Ainsi, sur une période de 10 jours avant et après le semis, des températures du sol supérieures à 12°C conduisent à une diminution remarquable des dégâts de 36 % à 20 %.
Influence du sol et des cultures sur le risque taupins
Le pH du sol est un facteur explicatif prépondérant. En effet, le niveau de dégâts décroît très substantiellement lorsque le pH évolue de 5,4 à 6,4. La richesse en matière organique du sol, sa texture et sa capacité de rétention en eau présentent un impact plus modeste. Concernant l’historique de la parcelle, la nature de l’interculture et le type de rotation présentent les influences relatives prépondérantes (respectivement 6,9 % et 2,4 %). En particulier, la présence d’une prairie, habitat favorable aux populations de taupins, dans l’historique de la parcelle mais aussi dans son contexte paysager, s’accompagne d’un niveau accru d’attaques.
À noter que parmi les trente-sept variables explicatives étudiées, la protection des semis – présente dans près de 60 % des parcelles – ne figure pas dans l’ensemble des variables cumulant 95 % de l’influence totale sur le niveau de dégâts.
Abaisser les populations larvaires de taupins
Impact des rotations sur le risque taupins
Dans la littérature, les prairies sont considérées comme des sources pour les populations de taupins. Toutefois, des travaux montrent que des cas d’infestations importantes par les taupins dans des champs cultivés sont observables aussi bien dans des paysages comportant des prairies que dans des paysages composés uniquement de terres arables. Et que dans certains cas, la parcelle la plus infestée n’a jamais été cultivée en prairie. Ainsi, les populations de taupins n’ont pas forcément besoin de prairies, que ce soit dans le paysage ou l’historique parcellaire, pour se développer.
Impact du travail du sol sur le risque taupins
Des publications récentes ont mis en évidence un impact du travail du sol sur les niveaux de population larvaire. Le cycle de vie des espèces du genre Agriotes durant plusieurs années et se déroulant en grande partie dans le sol, le travail du sol peut avoir un impact sur plusieurs de leurs traits d’histoire de vie. Le labour peut notamment avoir des effets directs, comme la destruction mécanique des stades les plus fragiles (œufs, juvéniles, nymphes). Ou des effets indirects, en remontant les larves à la surface. Cela les rend vulnérables à la dessiccation ou à la prédation par les oiseaux notamment.
Régulation biologique des taupins
Même si les larves de taupins peuvent être la proie de prédateurs généralistes comme les carabes, ces organismes ne représentent pas, pour l’instant, un levier d’action. Actuellement, les agents de régulation biologique ayant obtenu les résultats les plus prometteurs sont les nématodes et les champignons entomopathogènes.
Eviter ou limiter les dégâts de taupins
Optimiser les dates de semis et de récolte
Sur maïs, on recommande parfois de retarder la date de semis en cas de risque de forte infestation par des larves de taupins. Car des températures du sol plus élevées permettent aux plantules de se développer plus rapidement. Cela diminue ainsi la période de sensibilité de la culture aux attaques (du semis au stade 8-10 feuilles).
En production de pommes de terre, des études récentes ont montré qu’une récolte précoce peut réduire les dommages aux tubercules.
Utiliser des plantes « appâts »
Des travaux menés par ARVALIS au cours des années ont permis de quantifier le gain obtenu avec ces stratégies sur culture de maïs. L’utilisation de semences de blé et de maïs appliquées sur la totalité de la parcelle à protéger permet une réduction des dégâts de l’ordre de 50 %. Ces plantes appâts sont incorporées dans les 10-15 premiers centimètres au moment du semis de la culture de vente. Un désherbant sélectif au stade 4 feuilles du maïs permet de les détruire pour éviter la concurrence. Des résultats du même ordre ont été obtenus sur culture de maïs en associant blé, haricot, lupin, moutarde blanche, ray-grass anglais et sarrasin. Cette technique nécessite toutefois encore quelques adaptations pour tendre vers une efficacité supérieure et un développement en parcelles d’agriculteurs.
Pour approfondir la question sur les techniques alternatives aux phytos, vous pouvez consulter nos autres publications sur le sujet ici.
Source :
Ronan Le Cointe, Philippe Larroudé, Jean-Baptiste Thibord, Jörn Lehmus, Jean Claude Ogier, et al. Etat des lieux des connaissances sur les taupins (Coléoptères : Elatéridés) et des stratégies alternatives aux pesticides pour la gestion des dégâts. Innovations Agronomiques, 2023, 89, pp.78-90.