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Stockage et déstockage du carbone dans les sols

Temps de lecture : 8 minutes

Mécanismes de stockage et déstockage du carbone dans les sols

Découvrez quels sont les mécanismes de stockage et de déstockage du carbone dans les sols

Le rapport spécial du GIEC de 2018 établit que, pour contenir la hausse de la température en deçà de + 1,5 °C par rapport à la période préindustrielle, il serait nécessaire d’atteindre la neutralité carbone à l’échelle du globe en 2050. Atteindre cette neutralité implique de réduire drastiquement les émissions de GES. Mais il s’agit également d’accroître les puits de carbone que constitue la biosphère continentale. À l’échelle planétaire, le stock de carbone organique des sols représente de l’ordre de 2 400 Gt de C. Cela correspond au triple de la quantité de carbone contenue sous forme de CO2 dans l’atmosphère (800 GtC). Et en France, le stock total de carbone organique dans l’horizon 0-30 cm des sols (hors surfaces artificialisées) est de l’ordre de 3,58 Gt de C. cela équivaut à 13,4 Gt de CO2e.

Deux facteurs majeurs déterminent le « rendement » de production de carbone organique des sols à partir des substrats initiaux : le rendement d’utilisation du carbone par les microorganismes et l’association avec les minéraux, en particulier mal cristallisés. Le temps de résidence du C dans les sols est contrôlé conjointement par la nature chimique du C entrant, l’activité des microorganismes, les interactions organo-minérales et la protection physique. Ainsi, les stocks à l’équilibre dépendent non seulement des entrées de carbone, mais aussi d’un ensemble de facteurs pédoclimatiques qui conditionnent ces processus : température, teneur en eau, teneur en oxygène, teneur en argiles, présence de certains minéraux, pH du sol… Les interactions entre plantes et microorganismes et entre communautés microbiennes affectent, voire régulent, les temps de résidence et donc les stocks de carbone.

Principaux processus contrôlant le stockage du carbone dans les sols

Le stock de carbone d’un sol est la somme de ce qui reste de chacun des apports annuels passés. Il dépend donc des flux de carbone entrant, des biotransformations de ce carbone et de ses durées de stabilisation, avant que le carbone ne quitte le sol essentiellement sous forme de CO2, produit de la respiration des organismes décomposeurs.

processus stockage carbone

Entrées de carbone dans le sol : flux et nature

Flux des entrées aériennes de carbone dans le sol

Les apports aériens correspondent aux litières, restitutions de parties aériennes non récoltées, fèces et apports exogènes. Les estimations des flux de restitution au sol sont souvent fondées sur des équations d’allocation du carbone végétal aux différents organes de la plante. L’indice de récolte (HI) est la proportion récoltée de la production primaire nette aérienne, le reste étant restitué au sol. Le HI atteint des valeurs de 45 à 55 % pour les céréales très productives. L’optimisation génétique et agronomique des rendements a en général augmenté le HI. Ainsi, pour une production donnée, les restitutions au sol augmentent avec la production primaire. Mais le rapport restitution/rendement diminue quand le rendement s’accroît.

Flux des entrées souterraines de carbone dans le sol

Le flux d’apports souterrains comprennent :

(1) la biomasse racinaire

(2) la rhizodéposition qui désigne les apports de MO au sol par les racines de plantes vivantes. Le flux de rhizodéposition peut être de l’ordre de 0,2 à0,5 fois la production racinaire nette.

La figure 2-2 donne un ordre de grandeur des apports de carbone au sol en grandes cultures.

apports carbone en GC

Dans les prairies et les cultures fourragères, une plus grande proportion des parties aériennes est exportée ou pâturée. Les entrées souterraines forment la majorité des apports au sol.

Ainsi, à apport équivalent, le carbone d’origine racinaire contribue donc davantage au stockage de C que le C d’origine aérienne.

Nature chimique des apports au sol

Les composés végétaux majoritaires arrivant au sol sont :

-les constituants structuraux des plantes (celluloses, lignines, pectines, protéines, lipides des cires…)

-des molécules libérées par les racines, enzymes et métabolites secondaires (composés polyphénoliques, tannins, petites molécules des exsudats racinaires).

Les composés microbiens sont globalement constitués des mêmes molécules, à l’exclusion des celluloses et lignines. Ils sont comparativement enrichis en autres polysaccharides, lipides, protéines…

Les produits résiduaires organiques non industriels sont eux composés de mélanges de molécules végétales ou microbiennes. Les composts et boues d’épuration sont par exemple enrichis en composés microbiens par rapport aux matières végétales.

Transformations des matières organiques dans le sol

Acteurs des biotransformations physiques et chimiques

On a souvent séparé l’action de la faune du sol, essentiellement mécanique, de l’action prépondérante des microorganismes, de nature biochimique. En réalité, les travaux récents montrent l’étroite complémentarité de tous les organismes vivants pour effectuer les transformations des MO dans les sols.

La macrofaune (vers de terre, fourmis…) exerce une action mécanique, de fragmentation des MO et d’incorporation au sol de la litière. Elle exerce également une action de nature biochimique. Ingérant à la fois des MO et des minéraux, les vers de terre soumettent les MO à une digestion sélective qui :

  • modifie leurs propriétés,
  • remanie les particules minérales,
  • favorise la mise en contact entre microbes et MO,
  •  excrète des mélanges organo-minéraux enrichis en mucus contribuant à la stabilité des agrégats organo-minéraux.

La présence de vers de terre peut augmenter de 30% le stock de carbone dans un sol. Les réactions biochimiques qui se produisent lors de la décomposition des MO sont réalisées principalement par les microorganismes (champignons et bactéries). Ils peuvent être libres dans le sol ou associés à la faune.

Réactions de biotransformation

Les réactions de biotransformation dans les sols sont très majoritairement des réactions chimiques catalysées par des enzymes produites par des organismes vivants du sol, et en particulier des microorganismes.

La première réaction de dégradation est la dépolymérisation oxydative, qui a lieu hors des cellules microbiennes. Elle aboutit systématiquement à une réduction de la taille des molécules, mais aussi à une augmentation de leur solubilité aqueuse et de leur réactivité chimique, propriétés clés pour leur comportement, en particulier leur capacité à s’adsorber.

L’action des enzymes extracellulaires se poursuit jusqu’à la production de composés de petite masse moléculaire (sucres, acides organiques, acides aminés). Ces composés peuvent être absorbés dans le milieu intracellulaire des microorganismes. Ils subissent alors de nouvelles biotransformations : poursuite de la dégradation oxydative jusqu’à la minéralisation ou utilisation pour la synthèse de nouvelles molécules organiques.

Les microorganismes dégradant un substrat ont besoin d’azote pour former leur propre biomasse. S’ils consomment des composés déjà biotransformés (C/N < 8-15), le système libère l’azote minéral en excès. À l’inverse, s’ils biotransforment des débris végétaux (C/N > 8-15), les microorganismes doivent prélever dans l’azote biodisponible (et donc minéral) du sol, et sont alors en compétition avec la plante (d’où la « faim d’azote » induite par l’enfouissement de pailles).

Transfert des matières organiques au sein du profil de sol

Les matières organiques sont transférées dans le profil de sol sous formes particulaire, colloïdale ou dissoute.

Bioturbation

Dans les sols non travaillés, le mélange des couches de terre est principalement lié à une action biologique appelé bioturbation. Les vers de terre en sont des acteurs essentiels. Le processus de mélange décroît rapidement avec la profondeur, pour devenir négligeable en dessous de 50 cm à l’échelle des décennies. La bioturbation est notoirement plus importante et plus profonde en prairies permanentes ou en agriculture de conservation que sous les cultures conventionnelles.

Transfert par l’eau

L’eau qui circule dans l’espace poral du sol est aussi un vecteur du transport vertical des MO dans le sol. On parle de « lessivage » pour les particules solides et de «lixiviation » pour les éléments solubles. Ces derniers peuvent alors être entraînés au-delà du profil de sol par les eaux d’infiltration.

Sorties de carbone

La minéralisation désigne les processus de transformation, dans le sol, de différentes molécules organiques en composés minéraux. La minéralisation résulte de la respiration et de l’excrétion des organismes du sol. C’est le processus de la destruction des matières organiques, et le processus majeur de sortie du carbone du sol.

Les autres processus sont la perte de carbone organique dissous (COD), et les transferts liés à l’érosion des sols. Ainsi, les exportations de C par flux de COD mesurées varient selon les sites de 2 à 50 kgC/ha/an, avec une tendance à l’augmentation. Et à l’échelle globale, on estime que la quantité de C des sols exportée par érosion est entre 0,3 et 1 GtC/an.

Stabilisation et déstabilisation des matières organiques des sols

Stabilisation des matières organiques des sol

La stabilisation des MO résulte des processus qui s’opposent à la biodégradation des composés, et finalement à leur minéralisation. La rencontre ou la réaction entre le composé organique (le substrat) et les enzymes responsables de sa dégradation peuvent être empêchées. Notamment en raison du piégeage de l’un ou de l’autre :

  • dans une association avec des minéraux principalement d’argile (formation de complexes organo-minéraux) ou avec d’autres composés organiques (formation d’assemblages supramoléculaires).
  • au sein d’agrégats minéraux.

Composition des MO et rendement de production de carbone organique des sols

Les MOS sont donc constituées d’un continuum de composés organiques à différentes étapes des réactions de biotransformations. Cela va depuis les matières organiques particulaires (MOP) jusqu’aux briques élémentaires du vivant (sucres simples, acides aminés, acides gras, acides organiques…). Finalement, les composés les plus aptes à être protégés des dégradations ultérieures sont les molécules les plus simples et dont le contenu en énergie est faible. Cette protection des MO dépend également des caractéristiques du sol : quantité et nature des argiles, structure et taille des agrégats.

On sait aujourd’hui que le rendement de formation de MOS n’est pas corrélé à la stabilité chimique ou à la résistance aux attaques chimiques des molécules arrivant au sol. Les composés d’origine microbienne (polysaccharides, protéines…) ont une durée de vie plus longue dans le sol que les composés structuraux des végétaux (celluloses, lignines…). In fine, les microorganismes sont donc la principale source des composés organiques stabilisés à long terme (par rapport aux végétaux).

Ainsi, deux facteurs majeurs déterminent le « rendement » de production de carbone organique des sols à partir des substrats initiaux : le rendement d’utilisation du carbone par les microorganismes et l’association avec les minéraux, en particulier mal cristallisés. L’efficacité d’utilisation du C par les microorganismes (CUE, pour carbon use efficency) estime, pour un substrat donné, la quantité de C microbien formé par rapport au C consommé pendant une unité de temps. On estime que le flux de production de matière microbienne à 0,3-0,4 fois le flux d’apport de matière végétale au sol.

Déstabilisation par priming effect

Le priming effect (littéralement « effet d’amorçage) est la stimulation de la minéralisation des MOS consécutive à un ajout de carbone, conduisant à un flux de minéralisation supérieur à la somme de la minéralisation du sol sans ajout et de la minéralisation du carbone provenant de l’ajout. L’apport de substrats décomposables complexes fournit aux microorganismes compétents la ressource énergétique qui leur permet de biodégrader les MO stabilisées. Le temps de résidence des MOS est ainsi plus court dans les parties du sol qui reçoivent beaucoup d’apports, comme en surface. Les mécanismes de priming effect sont majeurs pour la dynamique des éléments C, N et P. Théoriquement, le priming effect entraine donc un stockage de C non proportionnel aux apports, et un risque de déstabilisation de MO préexistantes par apport de carbone, notamment en profondeur.

Facteurs de contrôle des temps de résidence du carbone dans les sols

Une dizaine de facteurs principaux contrôlent l’intensité des mécanismes décrits précédemment :

  • La nature du C entrant, en particulier sa biodégradabilité.
  • La température. C’est un facteur majeur avec des vitesses de minéralisation multipliées par 2 à 3 pour une augmentation de 10 °C. Mais son effet est dépendant des sols.
  • La teneur en eau du sol. Quand elle augmente, les vitesses de minéralisation s’accroissent linéairement avec l’humidité jusqu’à un maximum.
  • La pression partielle d’oxygène
  • La granulométrie. Elle est bien corrélée aux stocks de carbone aux échelles nationales en pays tempérés.
  • La minéralogie
  • Le pH du sol et le cortège ionique. Le pH a plus d’effet sur la physico-chimie que sur la physiologie microbienne. La présence d’ions calcium ou magnésium en solution (dominants à pH > 5) et la présence de calcaire actif tendent à insolubiliser les MO et à les adsorber. Cela réduit leur biodégradation.
  • La disponibilité et l’abondance des éléments NPS (azote, phosphore, soufre).
  • La biodiversité et les interactions biotiques/abiotiques qui contrôlent le devenir du C dans les sols.

Source

Sylvain Pellerin et Laure Bamière (pilotes scientifiques) et al, 2021. Stocker du carbone dans les sols français. Quel potentiel au regard de l’objectif 4 pour 1 000 et à quel coût ? Éditions Quæ, Versailles, 232 p.

Retrouvez toutes nos publications sur le stockage du carbone dans le contexte du changement climatique sur notre site internet.

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