Limiter le stress thermique en élevage laitier
Découvrez l’impact du stress thermique sur les vaches laitières et comment le réduire dans notre article
La sensibilité des vaches à la chaleur dépend de leurs caractéristiques individuelles : stade de développement, leur niveau de production, leur race, leur état de santé … La température seule ne suffit pas à identifier une période de stress thermique. L’humidité de l’air, les mouvements d’air dans l’espace dans lequel les animaux évoluent, leur possibilité ou non de s’abriter… sont autant de paramètres à prendre en compte.
Les conséquences du stress thermique sont multiples : modification du comportement, baisse de production ou encore altération de la composition du lait. Il existe trois grands leviers d’action permettant de lutter contre le stress thermique des vaches laitières. A court terme, adapter les pratiques pendant les périodes sensibles. A moyen terme, modifier l’environnement dans lequel les animaux évoluent. Et à plus long terme sélectionner des animaux plus résistants à la chaleur.
Conséquences du stress thermique sur les vaches laitières
3 indicateurs pour détecter le stress thermique
L’indicateur le plus largement utilisé est le THI, l’index température-humidité. Il présente l’avantage de pouvoir être calculé facilement grâce à l’équation suivante :
THI = 0,8* T + HR * (T – 14,4) + 46,4
Avec T pour la température ambiante en °Celsius et HR pour l’humidité relative en %
Quatre degrés de gravité sont à considérer : léger (THI de 68 à 71), modéré (de 72 à 79), grave (de 80 à 89) et sévère (supérieur à 90).
Des études récentes mettent en évidence des signes de stress thermique dès que le THI atteint 68 (soit dès une température de 23°C avec 40% d’humidité par exemple). C’est particulièrement le cas pour des femelles hautes productives (plus de 35 kg/jour).
Le HLI (indicateur de la charge thermique) est utilisé pour estimer le confort thermique des animaux en bâtiment. Il intègre la vitesse de l’air qui peut abaisser la température ressentie, ainsi que le rayonnement solaire. Mais il nécessite un matériel spécifique pour pouvoir le calculer.
Enfin, le AHL permet de prendre en compte l’accumulation de chaleur. Il distingue les périodes avec des journées chaudes et des nuits fraîches, avec des animaux qui peuvent récupérer, et les périodes avec des jours et des nuits chauds.
Modification du métabolisme
Aux alentours de 20°C, environ 1/3 de l’énergie ingérée par une vache est alloué à la production de chaleur métabolique. Ces besoins d’entretien augmentent de 20 % lorsque la température passe à 35°C. Les vaches vont présenter deux phases d’acclimatation :
- une phase de stress aïgue de quelques minutes à quelques jours après l’évènement. Elle vise à réguler la température interne (homéostasie) et qui va se traduire par une dégradation des performances des animaux
- une phase de stress chronique en cas de stress prolongé avec une régulation des flux du métabolisme. Elle vise à maintenir cette régulation (homéorhèse) et un rétablissement des performances par acclimatation aux conditions persistantes
Modification du comportement
Les vaches manifestent leur inconfort en cas de stress thermique par des changements visibles dans leur comportement.
Elles réduisent le temps passé allongées d’environ 30 %. Cela leur permet d’augmenter la surface disponible pour dissiper la chaleur et recherchent activement les points d’ombre et d’abreuvement.
Les vaches modifient également leur comportement alimentaire. Elles boivent plus et se nourrissent moins. Elles ruminent moins afin de limiter la production de chaleur liée à la fermentation ruminale. Une vache accroît sa consommation d’eau d’en moyenne 20 % en condition de stress thermique (THI de 72). La baisse de motilité du rumen couplée à l’augmentation de d’eau participe à la baisse d’ingestion. L’ingestion peut ainsi être diminuée de 10 à 35 %. Cette baisse d’ingestion s’accompagne d’une diminution de la durée de rumination. La rumination stimulant la production de salive, celle-ci est également moins abondante et moins concentrée en substances tampon. Cela entraîne une baisse de pH perturbant ainsi le bon fonctionnement du rumen
Enfin, des comportements de compétition entre vaches sont observées lorsque l’ombre disponible au pâturage est limitée ou encore au niveau des points d’eau.
Réduction de la production laitière
L’augmentation des besoins d’entretien, la baisse d’absorption des nutriments et l’altération du fonctionnement du rumen, les changements métaboliques et hormonaux … sont autant d’éléments qui limitent l’énergie allouée à la production laitière en cas de stress thermique. Les vaches se retrouvent alors en bilan énergétique négatif. Or leur capacité à mobiliser leurs réserves est également compromise par le stress thermique. De plus, les altérations du métabolisme entraînant une baisse de fourniture de glucose à la glande mammaire, la synthèse de lactose et donc la production laitière sont perturbées.
La baisse de production laitière résultant d’un stress thermique dépend de
(1) l’intensité et la durée du stress,
(2) du niveau de production initial de l’animal
(3) de son stade de lactation (plus d’impact pour les vaches en milieu de lactation).
Des références évoquent des pertes journalières de production par point croissant de THI allant de 270 g à 590 g. Cela représente une perte allant de 2 kg à plus de 4 kg par jour de lait non produit lorsque la température passe de 26°C à 33°C.
Altération du composition du lait
La teneur en lactose du lait ne semble pas impactée. Les observations concernant les quantités de matière grasse sont nuancées. Elles sont tantôt non impactées, tantôt plus faibles en cas de stress thermique. Le suivi des concentrations de différents acides gras du lait peut également révéler un stress thermique. Ainsi, une teneur élevée en acide oléique est le signe d’un déficit énergétique tandis que des variations de teneur en acide palmitique reflètent un dysfonctionnement du rumen.
La teneur en matière protéique a tendance à baisser en cas de stress thermique. Cette baisse s’accompagne d’un changement de ratio des différentes caséines du lait, pouvant perturber les processus de transformation du lait.
Enfin, de nombreuses études mettent en évidence une corrélation positive entre THI et numération cellulaire.
Dégradation de la reproduction
La sécrétion des hormones qui régissent le fonctionnement du système reproducteur est fortement impactée. Chez les femelles, cela entraîne une baisse de la qualité des follicules et des ovules, une baisse de l’intensité et de la durée des chaleurs ou encore une mortalité embryonnaire accrue.
Des chutes de 10 à 30 points des taux de conception et des taux de non retours à 90 jours sont constatées suite à une période de stress thermique (un ou plusieurs jours avec un THI > 72) entraînant des allongements de l’intervalle vêlage-vêlage.
Adaptations possibles des pratiques pour limiter rapidement le stress thermique sur les vaches laitières
Adapter la gestion quotidienne du troupeau
Si les animaux sortent au pâturage, il est préférable de les garder en bâtiment pendant les heures les plus chaudes de la journée (à condition que celui-ci ait une conception adaptée) et de les sortir la nuit pour qu’ils bénéficient des températures plus basses.
Il faut veiller à ce que les animaux puissent accéder à de l’eau fraîche et propre tout au long de la journée sans être limités. Pour cela, il est conseillé d’avoir suffisamemnt de points d’eau pour que chaque vache puisse disposer d’au moins 10 cm de longueur d’abreuvoir.
Enfin, l’idéal est de multiplier les distributions afin de proposer des quantités réduites à chaque prise alimentaire. Sinon à minima il faut distribuer la majorité de la ration le soir afin d’éviter qu’elle s’échauffe. Il peut être intéressant d’ajouter de l’eau à la ration à hauteur de 3 à 5 litres par vache.
Adapter l’alimentation
L’ingestion diminuant et la digestion de la cellulose des fourrages mobilisant beaucoup d’énergie tout en produisant de la chaleur, il est recommandé de réduire la teneur en cellulose de la ration (sans descendre en dessous de 18%) et de la concentrer en énergie et en protéine.
La taille de fibres doit être suffisamment courte pour faciliter la digestion. Les sources d’énergie à dégradation lente sont à favoriser (maïs grain humide, sorgho, matières grasses saturée…) en limitant au maximum la distribution d’amidon rapidement digestible (blé, orge).
Il convient également d’ajuster les apports en minéraux et en vitamines afin de compenser les pertes liées à la transpiration, la respiration et les urines. Elles peuvent être compensées par des apports de sels (NaCl 100 à 120 g par vache et par jour) et d’oxyde de magnésium. On peut aussi relever la balance alimentaire anion cation à 300 à 350 milliéquivalents de matière sèche.
Adaptations possibles des bâtiments pour limiter durablement le stress thermique sur les vaches laitières
Limiter le rayonnement des parois, de la toiture et de l’environnement du bâtiment
Pour contenir l’augmentation de la température ambiante dans un bâtiment, le rayonnement des murs et de la toiture est à limiter. L’ensoleillement direct sur les aires de vie doit être évité. En effet, en cas de rayonnement trop important, la température ressentie est augmentée de 5 à 6°C.
Les recommandations suivantes sont à intégrer dans les réflexions de modification ou de conception de bâtiments :
- Limiter au maximum les hauteurs de maçonnerie sur les murs exposés au soleil car les murs emmagasinent la chaleur la journée pour la restituer en début de nuit, ce qui retarde le rafraîchissement nocturne à l’intérieur des bâtiments.
- Priviligier la pose de translucides sur les rampants nord et nord-est en façade ou en pignon plutôt qu’en toiture. Cela permet un bon éclairage l’hiver quand le soleil est bas et limiter le rayonnement. Pour les translucides déjà posés sur la toiture, l’application d’une peinture d’ombrage à base de chaux (comme utilisée dans les serres) permet d’augmenter l’effet albédo. Il est également possible de placer des rideaux sur une partie des translucides et/ou remplacer les translucides par des tôles opaques.
- Isoler la toiture quand elle est proche des animaux. L’isolation permettrait de réduire la température ressentie de l’ordre de 1,5°C. Elle peut se faire avec des panneaux isolants de 4 cm.
- Choisir des couleurs claires en toiture pour favoriser l’effet albédo et réduire ainsi la chaleur emmagasinée.
Favoriser la ventilation naturelle
Les vitesses d’air au niveau des animaux sont déterminantes pour le confort et pour abaisser la température ressentie. Pour bénéficier de l’apport bénéfique du vent en période estivale, plusieurs conditions sont à respecter lors des constructions de bâtiment. Pour les bâtiments existants, des aménagements sont souvent possibles pour améliorer la circulation de l’air.
- Surélever la toiture :
Ex d’une auto-construction. L’éleveur a surélevé une partie de son toit d’un mètre de haut sur 140 m² avec des ouvertures orientées est-ouest. Le bâtiment est plus frais et plus lumineux, l’air circule mieux et l’eau ne rentre pas. Cette installation lui a couté 2 100 € (coût 2021) pour 5 jours de travail.
- Modifier le faîtage pour favoriser l’effet cheminée. En effet, l’air chaud produit par les animeux est plus léger, il s’élève en direction du faîtage du toit et s’échappe.
- Démonter du bardage
Différentes options sont possibles : démontage partiel de la partie haute du bardage à privilégier côté nord et est, coupe de la partie supérieure (50 cm).
- Créer des panneaux articulés : cela permet d’avoir une installation modulable au cours de l’année. Deux options sont possibles : repliement des panneaux vers le haut grâce à des charnières ou pivotement des panneaux dans leur milieu.
- Créer des bardages ajourés coulissants : cela permet une modulation des entrées d’air en toute saison selon le degré d’ouverture.
Ventiler mécaniquement en complément
Quand les solutions présentées précédemment ne suffisent pas, la ventilation mécanique peut être un recours et peut répondre à deux objectifs :
- Aider à renouveler l’air ambiant en toute saison par une ventilation raisonnée
- Apporter des vitesses d’air importantes au niveau de l’animal pour favoriser la dissipation de la chaleur. En créant une circulation d’air à haute vitesse (de l’ordre de 1 à 3 m/sec), on évapore l’eau en surface de la peau et les animaux perçoivent une sensation de fraîcheur.
Plusieurs solutions sont aujourd’hui proposées sur le marché : les ventilateurs à flux horizontal, à flux vertical ou incliné ainsi que les gaines à pression positive avec air pulsé, avec aussi des nouveautés et du matériel qui gagne en performance. Attention toutefois si les vitesses d’air sont importantes uniquement dans certaines zones, les animaux vont avoir tendance à s’y agglutiner, en pénalisant la circulation et l’évacuation de la chaleur.
Brumisation, uniquement en complément de la ventilation mécanique
En appoint des ventilateurs, la brumisation permet de rafraîchir les animaux, avec aussi un effet répulsif pour les insectes. Ces techniques permettent de reproduire le phénomène de transpiration chez les animaux. L’évaporation de l’eau dans le bâtiment entraîne une diminution de la température ambiante si l’air est sec. Attention, l’apport d’eau ne doit surtout pas s’ajouter à des conditions ambiantes déjà très humides, auquel cas on obtiendrait l’inverse de l’effet escompté, avec une augmentation importante du halètement et du niveau de stress des animaux.
Il existe deux types de brumisation, en basse pression et en haute pression. Pour que la brumisation soit efficace, la taille des gouttes doit être limitée. La brumisation en basse pression ne peut être utilisée que si elle est projetée vers les ventilateurs afin d’éclater les gouttes. Dans toutes les autres situations, la haute pression est préférable même si elle est plus onéreuse et génère un entretien régulier.
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter ce témoignage sur la rénovation des bâtiments pour améliorer le bien être animal.
Sources :
LECROSNIER Jonas, 2021. Limiter le stress thermique en bâtiment d’élevage laitier (interne ARAD², non publié)
VALLEE Roxane, 2021. Impact du stress thermique sur les vaches laitières. Revue de littérature CNIEL.