Composés organiques volatils chez les plantes : fonctions et place dans la protection intégrée des cultures
Découvrez quels sont les fonctions des composés organiques volatils et comment ils pourraient être intégrés dans une stratégie de protection intégrée des cultures.
80% des composés organiques volatils (COV) émis dans l’atmosphère sont d’origine naturelle dont les plantes sont les principaux émetteurs. Toutes les parties d’un végétal, essentiellement les feuilles, fleurs et racines, peuvent émettre des COV. Le type et la quantité de COV libérés par les plantes dépendent fortement de l’état de santé et de stress de l’individu. Mais ils contribuent à sa survie. Les parties aériennes des végétaux émettent majoritairement de l’isoprène, des monoterpènes ou encore du méthanol. L’un des rôles connus est de maintenir le processus de photosynthèse, même en cas de conditions climatiques défavorables. Lors des périodes de floraison, les organes floraux émettent des COV (dont les monoterpènes) afin d’attirer les pollinisateurs. Enfin, les racines émettent également des COV, dont certains semblent faciliter les interactions avec les champignons mycorhiziens arbusculaires.
Par ailleurs, en conditions stressantes, les plantes synthétisent un plus grand nombre et une plus grande variété de COV. Concernant les stress abiotiques, températures élevées, sécheresse et stress oxydatif peuvent amener à une plus grande production de COV. Les conditions stressantes correspondent également à des stress biotiques : attaques d’organismes pathogènes et notamment d’insectes phytophages. Par exemple, à l’apparition d’une blessure, les plantes libèrent typiquement des GLV (green leaf volatiles) que la plante n’émet pas ou très peu en conditions normales. Les blessures provoquent également la libération de COV mis en réserve dans les organes de stockages.
D’autre part, les COV, qu’ils soient produits par les parties aériennes ou par les racines, tiennent un rôle dans les relations avec les organismes pathogènes. C’est aussi le cas avec les organismes auxiliaires : attraction de prédateurs des ravageurs ou de leurs parasitoïdes. Enfin, les COV, de par leur nature volatile, peuvent également être captés par les plantes environnantes. Ces dernières perçoivent ainsi un message émis par une plante stressée ce qui pourra leur permettre d’anticiper le même stress.
Ces molécules représentent donc un champ de recherche primordial dans un contexte de transition agroécologique et de réduction de l’usage de produits phytosanitaires de synthèse. Recherche d’éliciteurs pour augmenter l’émission des COV par les plantes, intégration de plantes compagnes, développement de spécialités à base de COV… sont autant de pistes à explorer. Toutefois, certaines caractéristiques intrinsèques des COV laissent entrevoir des difficultés pour mettre en place des solutions de biocontrôle efficaces.
Les végétaux, principale source émettrice de composés organiques volatils dans l’atmosphère
Définition des composés organiques volatils
Les composés organiques volatils (COV) comprennent une variété de molécules organiques, c’est à dire carbonées, d’origine naturelle ou artificielle. Les COV représentent un groupe de molécules rassemblées selon leur comportement physique (volatilité) plutôt que sur une base structurale. En effet, plus la pression de vapeur d’un composé est élevée, plus il est volatil. Et plus la température du point d’ébullition est faible, plus il est également volatil.
Différentes sources de composés organiques volatils
10 % des COV présents dans l’atmosphère ont une origine anthropique. La combustion de matières comme le charbon ou le bois en produit certains. D’autres sont utilisés comme solvant, dégraissant, dissolvant… 90 % des COV sont en revanche d’origine naturelle. Il existe différentes sources : végétaux, océans, lacs et rivières, sols, matière organique décomposée par les microorganismes. Parmi ces sources, les végétaux sont les principaux émetteurs.
Les composés organiques volatils produits par les plantes
1 % de l’ensemble des métabolites secondaires produits par les plantes sont considérés comme volatils. On retrouve trois principales catégories de COV :
- Les composés terpéniques. L’isoprène synthétisé dans les chloroplastes est le COV le plus émis par les plantes qui en produisent en permanence.
- Les dérivés d’acides gras. Ces molécules sont produites par la voie de la biosynthèse de la lipoxygénase. Et ce à partir d’acides gras polyinsaturés provenant des membranes cellulaires.
- Les phénylpropanoïdes et benzénoïdes. Ce sont principalement des dérivés de la phénylalanine et des dérivés du tryptophane.
D’autres molécules appartiennent également aux COV comme l’éthylène ou des molécules dérivés des acides aminés. Ces molécules participent notamment à l’odeur des fleurs et des fruits.
Mise en réserve des composés organiques volatils dans les plantes
Les plantes relarguent certains COV directement dans l’air une fois synthétisés par les parties aériennes ou par les parties souterraines. Ces COV sont synthétisés dans des cellules épidermiques, facilitant leur émission dans l’atmosphère.
Cependant, certaines familles de plantes ont développé des tissus spécialisés, dans lesquels les COV, en particulier monoterpènes, sesquiterpènes et phénylpropanoïdes, peuvent être mis en réserve de manière permanente. On parle de tissus sécréteurs. Il s’agit par exemple de trichomes glandulaires ou de canaux résinifères.
Enfin, les fleurs et racines peuvent aussi contenir des cellules sécrétrices qui accumulent des COV dans leurs vacuoles.
Fonctions des composés organiques volatils
Aide à la reproduction par les composés organiques volatils
Les COV émis par les fleurs et les fruits servent le plus souvent à attirer les pollinisateurs ou encore les insectes et autres animaux intervenant dans la dispersion des graines. Les pétales émettent ces composés attractifs quand la fleur est prête à être pollinisée ou fécondée. En effet, les pétales des plantes odorantes sont recouverts d’un épiderme produisant et émettant des signaux olfactifs. Le nectar, le pollen ou d’autres pièces florales peuvent aussi avoir une odeur. Certaines fleurs émettent cependant des COV qui imitent l’odeur du partenaire sexuel d’un insecte pour le leurrer. c’est notamment le cas chez certaines orchidées.
Les fruits émettent des COV qui servent également de signal de localisation pour les animaux intervenant dans la dissémination des graines. Les COV leur permettent aussi parfois d’évaluer le niveau de maturité des fruits.
Enfin, les monoterpènes, qui ont un rôle important dans la défense contre les herbivores, éloignent particulièrement ceux-ci des fleurs, cruciales pour la reproduction.
Stimulation des mécanismes de défense par les composés organiques volatils face aux stress abiotiques
Les plantes émettent des COV en réponse à des changements de température, de lumière ou encore en cas de sécheresse ou d’inondation. Cela permet aux mécanismes de la photosynthèse de fonctionner correctement même en cas de stress. Par exemple, l’isoprène agit sur les membranes cellulaires, ce qui protège celles-ci en cas de stress liés à la température. Il possède également une action antioxydante qui serait due à son interaction avec l’ozone présent dans l’atmosphère.
Stimulation des mécanismes de défense par les composés organiques volatils en cas de stress biotiques
Les parties aériennes ou les racines émettent des COV selon que le stress biotique a lieu sur les parties aériennes (feuilles mais aussi fleurs) ou racinaires de la plante. Ils peuvent par exemple s’échapper des cellules qui les contenaient quand celles-ci se trouvent cassées lors de l’attaque. Les plantes peuvent libérer des COV quand une molécule hydrolysable en un composé volatil se trouve soudain en contact avec l’enzyme capable de la couper. C’est le cas des isothiocyanates, composés de défense caractéristiques de la famille des brassicacées. Ces molécules sont produites au moment d’une attaque de phytophage à partir de glucosinolates, sous l’action de la myrosinase.
Lors de l’attaque d’insectes phytophages ou d’insectes venant pondre, les COV émis ont un ou plusieurs rôles :
- Effet répulsif voire toxique pour les insectes
- Effet perturbateur sur la ponte à la surface du végétal
- Effet attractif pour les auxiliaires
- Transmission du message d’alerte aux autres parties du végétal voire aux plantes voisines
Lors de l’attaque de champignons pathogènes, les COV peuvent inhiber la croissance et la sporulation de ceux-ci. Enfin, certains COV semblent également avoir un effet sur la prolifération bactérienne.
Transmission de messages entre plantes via les composés organiques volatils
Les COV représentent les indications les plus rapides et les plus fiables pour détecter les plantes voisines. Car certains sont constamment présents en comparaison aux autres indices qui ne sont que périodiques. Les COV captés par les plantes « à l’écoute » de leurs voisines, qu’elles soient ou non de la même espèce, leur servent à élaborer leur propre réponse à un événement
Camouflage de plantes réceptrices par dépôt passif de composés organiques volatils sur leurs feuilles
Parfois les COV se déposent tout simplement de manière passive à la surface des feuilles des plantes réceptrices. Les feuilles les retiennent à leur surface sans déclencher d’autre réaction. Puis ces COV sont relargués en fonction des caractéristiques de la surface de la feuille et de la température ambiante offrant potentiellement à la plante un camouflage chimique, qui diminue son attractivité.
Réponses de défense induites par les composés organiques volatils
Une fois que les membranes cellulaires des plantes réceptrices reconnaissent les COV extérieurs, se déclenche une cascade d’évènements menant à la synthèse de phytohormones. Comme par exemple, les GLV, de même que certains terpènes, favorisent la production d’acide jasmonique chez les plantes réceptrices. Cette phytohormone module l’expression des gènes de défense et permet la production de métabolites primaires et secondaires, dont de nouveaux COV.
Réponses de défense amorcées par les composés organiques volatils
Dans ce cas, les plantes réceptrices se préparent à se défendre : c’est-à-dire qu’elles ne finaliseront la synthèse de composés de défenses qu’en cas de réelle attaque. Comme les plantes sont prêtes, si elles doivent mettre en place des mécanismes de défenses, alors elles le feront plus rapidement et plus intensément.
Composés organiques volatils et protection des cultures
Ces molécules font l’objet d’études de plus en plus nombreuses pour la recherche de nouvelles méthodes de protection des cultures.
Application d’éliciteurs pour influencer l’émission des composés organiques volatils
Ce concept consiste à appliquer des éliciteurs chimiques (traitement de semences, traitement des cultures) ayant un effet sur l’émission de COV. Ces éliciteurs comme par exemple les phytohormones (telles que l’acide jasmonique et l’éthylène) favorisent ou au contraire, inhibent la synthèse de COV. Autre piste, le silicium, sous forme d’apport fertilisant, possèderait la propriété d’influencer la production de composés volatils induits par une attaque de phytophages.
Intégration de plantes compagnes émettrices de composés organiques volatils dans les cultures
Le concept de la « Stratégie Push Pull » repose sur les COV. Cela consiste à protéger les cultures en intégrant des plantes compagnes à effet répulsif qui éloigneront les ravageurs de la culture (stratégie Push) et/ou des plantes-piège qui attireront les ravageurs et qui les détourneront donc de la culture à protéger (stratégie Pull).
Développement de produits à base de composés organiques volatils
Les produits actuellement travaillés ont pour but d’attirer et piéger, ou alors de repousser les ravageurs à l’aide de composés volatils habituellement émis par les végétaux. On utilise alors des diffuseurs pour émettre ces COV sur une parcelle à protéger. La société Agriodor explore par exemple ce moyen de lutte. Cette société propose déjà deux produits qui sont des dispositifs de piégeage massif des bruches à base de kairomones. Ces produits diffusent un parfum qui reproduit les odeurs dégagées par les espèces hôtes (féverole et lentille) au moment de la floraison et de la formation des gousses. Les bruches attirées par l’odeur se retrouvent alors piégées sur une plaque engluée. La société Andermatt, quant à elle, propose des granules contenant un répulsif à base d’huile essentielle d’oignon à disposer dans un diffuseur, contre la mouche de la carotte.
Des difficultés à surmonter pour la mise au point de solutions efficaces à base de composés organiques volatils
Les différentes fonctions des COV rendent ces molécules particulièrement attractives pour les équipes de recherche qui travaillent sur le déploiement de nouvelles solutions de biocontrôle. Cependant, les caractéristiques mêmes des COV laissent entrevoir des difficultés pour mettre en place des solutions de biocontrôle efficaces :
- Le type et la quantité de COV émis par une plante sont très variables dans le temps, car ces émissions sont fonction de son état de stress. D’ailleurs, les plantes n’émettent certains COV, tels les GLV, que lorsque elles subissent des dommages physiques.
- Il est important de garder à l’esprit que les espèces végétales synthétisant beaucoup de COV, parmi lesquelles les plantes aromatiques, ont généralement des organes de stockage dédiés. Ainsi, bien que riches en COV, ces plantes ne les libèrent pas spontanément au champ. Il faut donc un stress ou une action mécanique pour que les plantes libèrent ces COV de façon quantifiable.
- Enfin, les COV, par leur volatilité et leur réactivité, ne semblent pas se déplacer très loin dans l’espace et ont une durée de vie limitée.
Si vous souhaitez approfondir cette thématique, vous pouvez consulter d’autres publications sur le sujet dans notre rubrique Protéger les cultures.
Source :
PIASENTIN J. et BERGOEND A., 2023. Composés organiques volatils des plantes définitions et fonctions chez les plantes et valorisation en protection des cultures. Projet ABA PIC, iteipmai. https://ecophytopic.fr/sites/default/files/2024-01/COV%20des%20plantes_ABA%20PIC_iteipmai.pdf