Protéger les cultures en augmentant la diversité végétale des espaces agricoles
Découvrez comment la diversification végétale peut contribuer à la régulation naturelle des bioagresseurs et donc à protéger les cultures.
La France comme l’Europe voient se développer une demande sociétale forte pour une agriculture permettant de satisfaire les besoins alimentaires de façon plus respectueuse de l’environnement. Malgré la prise en compte croissante des enjeux environnementaux dans les politiques publiques, force est de constater que la transition vers de systèmes de culture plus économes en produits phytosanitaires est loin d’être suffisamment avancée pour atteindre les cibles fixées. Un levier majeur de cette transition est la diversification végétale à toutes les échelles. Elle regroupe une large gamme de pratiques allant des mélanges variétaux aux systèmes agroforestiers. Pour autant, bon nombre de ces pratiques sont perçues comme peu efficaces ou trop contraignantes.
L’INRAE a mené un expertise scientifique collective. Son objectif : évaluer si la diversité végétale des espaces agricoles au sens large peut favoriser la régulation naturelle des bioagresseurs, et ainsi contribuer à la protection des cultures. Il en ressort que la diversification végétale des parcelles et des paysages agricoles :
(1) est un levier pour protéger les cultures,
(2) favorise la biodiversité associée et les services écosystémiques rendus aux agriculteurs et à la société,
(3) permet d’atteindre des rendements souvent supérieurs aux systèmes peu diversifiés,
(4) a des effets contrastés sur la rentabilité économique des exploitations à court terme
et (5) se heurte à des verrous au sein des filières agricoles et dans les territoires.
Et dans tous les cas, cela nécessite des politiques publiques ambitieuses et cohérentes pour un déploiement à large échelle.
Bioagresseurs, protection des cultures et régulation naturelle
Bioagresseurs : des dégâts aux pertes économiques
Les bioagresseurs sont les organismes vivants causant des dégâts sur les plantes cultivées. Et ce par leurs actions physiologiques ou mécaniques sur celles-ci. Ces dégâts peuvent entraîner des dommages aux récoltes (pertes quantitatives ou qualitatives) et, en bout de chaîne, des pertes économiques. Mais établir l’ensemble de la chaîne de causalité entre présence (abondance) de bioagresseurs, occurrence des dégâts, niveau de dommages et niveau des pertes économiques associées n’est pas chose aisée (Figure 1-1).
D’une part, la relation entre abondance des bioagresseurs et occurrence des dégâts n’est pas proportionnelle. En effet, il existe des effets de seuil pour certains bioagresseurs. D’autre part, tout dégât n’entraîne pas nécessairement des dommages (par exemple lorsque les dégâts ne concernent pas un organe récolté). Enfin, le rendement et la qualité des récoltes sont des variables qui résultent d’un ensemble de facteurs en interaction parmi lesquels la satisfaction des besoins nutritifs et hydriques de la culture. Cela rend difficile l’identification et la quantification des seules pertes dues aux bioagresseurs.
La régulation naturelle dans les stratégies de protection des cultures
La protection des cultures désigne les stratégies mises en œuvre pour empêcher ou réduire les pertes de récoltes causées par les bioagresseurs. Aujourd’hui, la stratégie la plus fréquemment mise en œuvre est le contrôle des populations de bioagresseurs au moyen de la lutte chimique déployée. Outre les pesticides de synthèse, la lutte chimique inclut l’usage de certaines substances de biocontrôle. Son usage est encore actuellement minoritaire bien qu’en croissance ces dernières années.
En rupture avec le paradigme de suppression des organismes bioagresseurs, l’idée qui sous-tend la protection agroécologique des cultures est de s’appuyer sur l’ensemble des processus biologiques/écologiques naturellement à l’œuvre au sein de l’écosystème agricole. L’objectif : maintenir la population de bioagresseurs sous un seuil de nuisibilité (seuil au-delà duquel les dégâts entrainent des dommages).
La réalisation de cette régulation naturelle des bioagresseurs dépend de la structure de l’écosystème agricole et de la matrice paysagère environnante. Ainsi, en contribuant à définir la structure de l’écosystème, les pratiques telles que le choix des végétaux (espèces, variétés) implantés, des dates et de la densité du semis ou encore des séquences de culture sont donc susceptibles d’avoir un effet sur les processus impliqués dans cette régulation.
La diversification végétale des espaces agricoles
La composante végétale des espaces agricoles englobe à la fois :
- la végétation cultivée par l’agriculteur (plantes annuelles ou pérennes cultivées)
- a végétation semi-naturelle (végétation spontanée présente au sein des parcelles (incluant la flore adventice) ou du paysage agricole).
Il existe une large gamme de pratiques de diversification végétale.
Augmenter la diversité intra-spécifique de la culture
Cela consiste à augmenter la variabilité génétique du peuplement cultivé d’une espèce donnée, soit en semant simultanément plusieurs variétés (mélange variétal), soit en utilisant des variétés plus hétérogènes (variétés populations).
–Mélanges variétaux
Les mélanges variétaux consistent à semer simultanément plusieurs variétés commerciales choisies pour la complémentarité de leurs traits agronomiques. Les agriculteurs les utilisent surtout pour réguler les maladies. Pour cela, ils assemblent des variétés dont les résistances et/ou tolérances aux bioagresseurs sont complémentaires. L’objectif est de créer un couvert dont le niveau de résistance « moyen » est adapté au complexe pathogène local. D’après les statistiques nationales de déploiement variétal, les mélanges variétaux de blé couvraient 12,2 % de la sole de blé en 2020 d’après FranceAgriMer (soit l’équivalent de la variété la plus cultivée) et 17 % en 2021 d’après Arvalis. Ces mélanges sont généralement composés de 2 à 3 variétés. Les agriculteurs choisissent les variétés parmi celles les plus cultivées en pur dans les régions.
–Variétés populations
Une autre forme de diversification intra-spécifique consiste à utiliser des variétés traditionnelles ou paysannes. Par définition, ces variétés présentent un certain niveau d’hétérogénéité génétique. Les variétés traditionnelles sont généralement des variétés dites « populations ». Elles sont constituées d’un ensemble d’individus aux génotypes variés, généralement sélectionnés au champ par des agriculteurs et multipliés en pollinisation libre.
Augmenter la diversité interspécifique du couvert cultivé
Par opposition à la culture dite pure, la diversification interspécifique du couvert cultivé consiste à cultiver simultanément au moins deux espèces végétales différentes au sein de la parcelle durant tout ou partie de leur cycle de croissance.
–Associations de cultures annuelles de vente
Lorsque toutes les espèces cultivées simultanément ont une finalité de production de biomasse ou de grains (cultures de rente), on parle d’association/mélanges de cultures de rente (ou de cultures associées). Les mélanges de cultures de rente représentaient 0,1 à 3 % de la sole selon les régions en 2021. Ce sont principalement des associations céréales et protéagineux.
–Installation de plantes de services durant le cycle de vie de la culture
Il est également possible d’associer une culture de rente à des plantes secondaires (ou plantes de services). Ces dernières n’ont pas vocation à produire un bien agricole mais à y contribuer en fournissant des services écosystémiques parmi lesquels la régulation des bioagresseurs. On parle de :
- plantes compagnes
- plantes répulsives ou push
- plantes barrières
- plantes piège
- plantes banques d’insectes relais
-Agroforestie
Enfin, l’agroforesterie désigne les systèmes associant une ou plusieurs espèces cultivées (annuelles ou pérennes) avec des plantes pérennes ligneuses au sein d’une même parcelle. Les systèmes agroforestiers recouvrent une très large gamme d’associations arbres/cultures. Pour les systèmes agroforestiers traditionnels type prairies/vergers, les estimations font état de surfaces de l’ordre de 100 000 à 170 000 ha au milieu des années 2010. Alors qu’ils occupaient plusieurs centaines de milliers d’ha dans la première moitié du 20e siècle. L’extension des systèmes agroforestiers modernes est encore modeste avec une surface approximative de 3 000 ha. Ils se développent essentiellement depuis 2010 et pour moitié en Agriculture Biologique.
Augmenter la diversité temporelle de la végétation cultivée
Une rotation est une séquence fixe et spécifique de cultures, d’une durée donnée, conçue pour atteindre un ensemble particulier d’objectifs agronomiques, économiques et environnementaux. La performance agronomique des rotations repose sur la gestion de la fertilité et de la structure du sol, de l’eau et des adventices, maladies et autres bioagresseurs à laquelle contribue l’ensemble des cultures qui se succèdent. Les opportunités et contraintes agronomiques, économiques et environnementales fixent les limites des types de rotation qui peuvent être utilisés dans un contexte de production donné. Diversifier la rotation consiste à modifier la séquence de cultures (nature et ordre des cultures de rente) et/ou d’introduire des cultures supplémentaires durant les périodes d’interculture (couvert d’interculture).
Durant la période 2001-2005, d’après l’analyse des enquêtes « pratiques culturales », les rotations de trois cultures étaient majoritaires sur cette période (55 % de la surface en grandes cultures considérée dans l’analyse). Les rotations supérieures à quatre cultures (cinq ou plus) ne ressortent pas de l’analyse. Et les monocultures (essentiellement de maïs ou de blé) occupent à elles seules 12 % de la surface en grandes cultures.
Diversité de la végétation semi-naturelle du paysage
La végétation semi-naturelle est le plus souvent composée d’espèces bisannuelles, pluriannuelles ou pérennes. Les éléments semi-naturels incluent toutes les formes de végétation spontanée (ou initialement semées mais évoluant ensuite librement) située à l’intérieur de la parcelle, sur son pourtour et à l’extérieur de l’exploitation. Elles contribuent à la diversité de la part non cultivée du paysage. Ce sont les haies, les bordures herbacées non productives, les arbres isolés, les jachères, les bosquets d’arbres, les lisières de forêts et les surfaces toujours en herbe. Par ailleurs, en tant que végétation spontanée entrant dans la composition du couvert de la parcelle, la flore adventice contribue à la diversité de la végétation semi-naturelle des espaces agricoles.
Gérer le niveau de diversité du paysage
A l’échelle du paysage, le niveau de diversité de la végétation, tant dans sa composition (nature des cultures présentes dans l’assolement) que dans sa configuration (taille et forme des parcelles, répartition des cultures dans le paysage) est la résultante des choix individuels. En premier lieu, la nature et la répartition des cultures dans l’assolement (à l’échelle de l’exploitation et plus globalement dans le paysage agricole) résulte mécaniquement des choix de rotations mises en place sur chaque parcelle. En second lieu, la longueur des interfaces entre chaque parcelle et son environnement immédiat (autre parcelle agricole ou surface dédiée à un autre usage) est par construction liée à la taille des parcelles.
Les effets de la diversification végétale sur la régulation des bioagresseurs
La régulation naturelle des bioagresseurs, résultat de trois types d’interactions
La régulation naturelle des bioagresseurs résulte de trois types d’interactions entre les organismes vivants :
- Les interactions dites bottom-up entre la plante cultivée et son bioagresseur (phytophage, parasite ou pathogène),
- Les interactions dites top-down entre les bioagresseurs et leurs ennemis naturels
- La compétition entre la plante cultivée et les plantes voisines (cultivées ou adventices).
En principe, la régulation des bioagresseurs par la diversification végétale repose essentiellement sur le fait qu’un même bioagresseur ne peut consommer/coloniser toutes les plantes cultivées. Il existe une spécialisation des bioagresseurs vis-à-vis des plantes cultivées qui peut être plus ou moins marquée. De ce fait, une augmentation de la diversité végétale induirait un effet de dilution de la plante hôte du bioagresseur dans un couvert végétal ou un paysage de plantes non hôtes. Confrontés à une ressource végétale ainsi diluée, les bioagresseurs phytophages mettraient plus de temps à trouver leur plante hôte et à les coloniser. S’ajoute à cela l’intervention des ennemis naturels des bioagresseurs. Cette intervention dépend fortement de la fourniture de différentes ressources pour ces organismes auxiliaires (ressources florales, proies alternatives, sites d’hivernation, etc.). Cette fourniture repose elle aussi sur la diversité végétale à différentes échelles spatiales et temporelles.
Des effets majoritairement positifs de la diversité végétale sur la régulation des bioagresseurs
Le tableau 2-1 résume les effets des différentes modalités de diversification végétale sur les différentes catégories de bioagresseurs. Attention, les effets positifs par grande catégorie de bioagresseur ou par modalité de diversification ne préjugent en rien de leurs additivités.
La synthèse bibliographique montre qu’au moins une modalité de diversification peut potentiellement réguler chaque catégorie de bioagresseurs. Dans la majorité des cas, la littérature fait consensus sur l’effet positif de la diversité végétale.
-Adventices
Globalement, il apparait que les adventices sont principalement régulées par les associations d’espèces à l’échelle parcellaire et les rotations. Les associations d’espèces agissent via leur arrangement spatial qui favorise la compétition pour les différentes ressources, notamment la lumière. Les rotations agissent en diversifiant les pressions de sélection au cours du temps. Les effets régulateurs de la diversité végétale du paysage (composantes cultivée et/ou semi-naturelle) restent quant à eux principalement théoriques et très peu étudiés. La littérature est quasi-inexistante sur l’effet des mélanges variétaux sur la régulation des adventices. Et les rares effets rapportés sont non significatifs. Le mécanisme le plus fort associé aux effets de la diversification est la compétition vis-à-vis des adventices.
-Insectes ravageurs
Les insectes ravageurs peuvent être régulés à l’échelle de la parcelle par la diversité intra mais surtout interspécifique. Et à l’échelle du paysage, par la diversité des cultures. Généralement, la diversité des éléments semi-naturels favorise les ennemis naturels (tant en abondance qu’en diversité), sans toutefois que les conséquences sur la régulation des bioagresseurs ne soient démontrées. Les mécanismes intervenant dans leur régulation sont nombreux et principalement associés à la réduction de la disponibilité spatiale et temporelle des ressources (notamment l’abondance de la culture cible) aux échelles intra-parcellaires et paysagères, ainsi qu’à la présence et l’abondance des ennemis naturels.
–Agents pathogènes aériens et telluriques
Les agents pathogènes aériens peuvent être régulés à l’échelle de la parcelle principalement par la diversité intra-spécifique et les rotations. Et dans une moindre mesure, par la diversité interspécifique. Les effets de la diversité végétale à l’échelle du paysage sont surtout théoriques. La fragmentation des paysages et les barrières à la dispersion (comme les haies) ont un effet attendu positif. Les mécanismes intervenant principalement dans leur régulation sont la dilution/concentration de l’hôte, l’effet barrière et l’effet du microclimat.
Les agents pathogènes telluriques présentent des réponses à la diversification intra-parcellaire comparables aux agents pathogènes aériens. Seule l’intensité des effets de la diversité intra-spécifique dans la parcelle présente des effets positifs plus faibles. Du fait de leurs faibles distances de dispersion, on ne s’attend pas à des effets importants de la diversité paysagère sur la régulation des agents pathogènes telluriques.
Mais des effets très dépendants du contexte
La dépendance au contexte est valable pour toutes les modalités de diversification. Toutefois, les déterminants de ce phénomène sont clairement identifiés dans la littérature :
- La caractérisation des traits de vie des bioagresseurs (et de leurs ennemis naturels le cas échéant). Elle est souvent déterminante pour identifier la ou les modalités de diversification à privilégier.
- Les pratiques agricoles mises en œuvre dans les parcelles (et par répercussion à l’échelle du paysage). Ce sont les déterminants principaux de la variation des effets observés entre situations de production (par exemple le travail du sol). Relevant de décisions humaines, elles constituent un levier pour favoriser l’expression des régulations naturelles. Les contraintes agronomiques qui les sous-tendent et le besoin de combinaison de pratiques cohérentes au sein d’un système de production restreignent toutefois le champ des possibles.
- Les conditions climatiques locales et saisonnières. Elles sont systématiquement évoquées dans les études pluriannuelles comme un facteur explicatif de la variabilité des effets observés. Les évènements climatiques ponctuels peuvent perturber l’expression attendue des mécanismes de régulation, en entrainant par exemple une mortalité accrue des ennemis naturels.
Pour aller plus loin sur le sujet : vous pouvez consulter notre article sur la prospective « Agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050 ».
Source
Tibi A (coord.), Martinet V (coord.), Vialatte A. (coord.), Alignier A, Angeon V, Bohan D.A., Bougherara D, Cordeau S., Courtois P., Deguine J-P., Enjalbert J., Fabre F., Fréville H., Grateau R., Grimonprez B., Gross N., Hannachi M., Launay M., Lelièvre V., Lemarié S., Martel G., Navarrete M., Plantegenest M., Ravigné V., Rusch A., Suffert F., Thoyer S. (2022). Protéger les cultures en augmentant la diversité végétale des espaces agricoles. Synthèse du rapport d’ESCo. INRAE (France), 86 p. https://dx.doi.org/10.17180/awsn-rf06