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Immunité végétale et impact de l’environnement

Temps de lecture : 7 minutes

L’immunité agroécologique végétale, une nouvelle approche

Découvrez comment l’impact de l’environnement (stress, pratiques) sur l’immunité végétale doit être pris en compte dans la recherche de solutions pour mieux protéger les cultures notamment via la sélection variétale.

Le concept d’éco-immunité a initialement été décrit dans le système animal. Le Réseau Mixte et Technologique (RMT) Bestim a adapté ce concept à un système végétal cultivé dans un contexte agroécologique. Il a ainsi proposé la notion d’immunité agroécologique. D’une manière générale, ce concept vise à comprendre et à expliquer la variation de la réponse immunitaire. Autrement dit, il s’agit de déterminer pourquoi et comment les facteurs biotiques et abiotiques contribuent à la variation de l’immunité d’un organisme vivant. Ces facteurs pourraient :

  • directement réprimer les défenses de la plante,
  • induire l’agressivité de l’agent pathogène en favorisant l’expression de ces effecteurs et/ou en facilitant son accès à des nutriments essentiels.

Différentes expérimentations ont été menées afin de tester l’impact de pratiques sur le niveau d’immunité des céréales vis-à-vis d’agents fongiques pathogènes. D’une part, il en ressort la nécessité de prendre en compte l’état hydrique et le niveau de fertilisation azotée dans l’évaluation de la résistance des plantes. D’autre part, il est impératif d’intégrer les effets variétaux lors de l’évaluation d’un produit de biocontrôle, de biostimulation ou de mélanges variétaux. Enfin, il semble possible d’identifier des variétés et de les améliorer afin de permettre une utilisation optimale de produits de biocontrôle ou de biostimulation et une résilience à des contraintes hydriques ou nutritives.

Dans tous les cas, adapté au système végétal avec un objectif de production, ce concept soulève la question du compromis (ou trade-off) entre immunité et productivité de la culture. Car ces deux stratégies étant concurrentes pour l’allocation des ressources dans une plante. Ainsi, améliorer la santé des plantes consiste à obtenir le meilleur compromis entre les défenses mises en place par la plante en réponse à un bioagresseur par rapport à sa croissance et son développement.

Différents types d’immunité végétale

Le système immunitaire des céréales contre les agents pathogènes peut se diviser selon des mécanismes passifs ou préformés et des mécanismes inductibles (issus de la reconnaissance de cibles moléculaires fongiques par exemple). Mais les céréales peuvent également mettre en place des mécanismes de tolérance qui leur permettent de gérer la présence de l’agent pathogène sans nécessairement impliquer le système immunitaire.

L’immunité préformée

Ces défenses sont les premières rencontrées par l’agent pathogène lors de l’infection. Ce type de défense peut être caractérisé :

  • à l’échelle morpho-anatomique (épaisseur de cuticule et paroi des cellules),
  • à l’échelle cellulaire (paroi)
  • et/ou métaboliques (pH, substances antimicrobiennes, composés phénoliques).

Il peut aussi s’agir de l’expression constitutive de gènes codant pour des enzymes de défenses comme les protéines PR (Pathogens Related). Ces gènes s’expriment alors de manière constitutive dans des tissus non infectés.

L’immunité induite

Pour compenser une immunité préformée réputée coûteuse en énergie et parfois insuffisante, les céréales possèdent un système immunitaire inductible. Il se caractérise par l’activation de défense notamment suite à la reconnaissance de la présence d’un agent pathogène. Cette reconnaissance a généralement lieu soit au niveau des membranes par des Receptor Like Kinase (RLK) soit au niveau cytoplasmique par des Nod-Like Receptor (NLR). Plus généralement, suite à ces reconnaissances, la plante peut mettre en place une résistance. Cette résistance peut être totale (selon la théorie gène pour gène) ou partielle. La résistance totale est celle qui a été le plus exploitée par les sélectionneurs. En effet, elle est de loin la plus facile à intégrer dans un programme de sélection. Cela s’explique par son héritabilité élevée et de son phénotypage binaire.

Les mécanismes de tolérance

Outre l’immunité, les plantes peuvent tolérer la présence d’un agent pathogène par différents mécanismes. On peut citer des tolérances architecturales. Celles-ci jouent par exemple un rôle important dans la résistance à la septoriose du blé. Une autre forme de tolérance est le maintien de la croissance et du rendement malgré l’infection. Cela implique que la maladie n’a finalement pas d’impact sur la valeur sélective de la plante hôte. Enfin, un autre mécanisme de tolérance consiste à limiter l’accès aux nutriments notamment l’azote pour l’agent pathogène.

L’immunité sous influence de l’environnement

Dans leur environnement, les plantes sont soumises à de nombreuses interactions positives ou négatives avec les éléments qui les entourent. Ces éléments peuvent être de nature abiotique (sol, lumière, eau…) ou biotique (champignons, virus, bactéries, plantes voisines…). Plusieurs revues ont documenté le fait que l’impact des facteurs environnementaux sur la résistance est loin d’être négligeable. Ainsi, lorsque l’environnement est perturbé, l’équilibre du triangle de la maladie (plante-pathogène-environnement) s’en trouve modifié. Cela peut être lié à :

  • Une modification de l’architecture du couvert et par conséquent du microenvironnement qui modifie les caractéristiques épidémiologiques.
  • Une modification de l’accès aux ressources, de leur répartition ou de leur efficacité d’utilisation. Cela va entraîner une modification de la répartition source/puit entre les organes voire une croissance allométrique.
  • Une modification de l’agressivité de l’agent pathogène, voire de la structure des populations pathogènes
  • Une modification de la réponse immunitaire.

Vers le concept d’immunité agroécologique

Les plantes sont soumises à plusieurs facteurs écologiques. Ils peuvent être externes (biotiques et abiotiques) ou internes (liés notamment au développement de la plante). L’intégration de ces signaux intrinsèques et extrinsèques permet aux plantes d’affiner leur « prise de décision ». Et de façonner dynamiquement les interactions pathogènes au cours de leur vie. Il s’agit alors de gérer le compromis entre la croissance et les défenses. Cela passe par une priorisation de certaines voies ou une compartimentation des réponses. Elle peut se traduire par un réglage fin de la communauté microbienne associée, de la répartition des ressources, une croissance allométrique. Cela peut permettre aussi la modulation de l’immunité vers un renforcement des défenses. A plus long terme, cet ajustement de l’interaction peut entraîner des modifications épigénétiques transmises à la descendance. Cela conditionnera la coévolution entre la plante et l’agent pathogène.

Impact de facteurs environnementaux internes sur l’immunité végétale

Impact de la fertilisation azotée sur la résistance du riz à la pyriculariose

Une étude a démontré que lorsqu’une attaque de pyriculariose se produit suite à une fertilisation azotée, le nombre de lésions augmente en moyenne de 9 %. Toutefois, cela ne concernait que 11% des riz testés. Les chercheurs ont ainsi mis en évidence deux typologies de variétés de riz. Elles reposent selon leur stratégie d’acquisition de l’azote notamment après floraison.

Les variétés de riz ayant la capacité de prélever leur azote après floraison présentaient une sensibilité accrue à la pyriculariose suite à une fertilisation azotée. A l’inverse, les variétés ayant plutôt tendance à remobiliser l’azote entre les feuilles et graines présentaient moins souvent ce phénotype de sensibilité accrue. Ainsi, ce n’est peut-être pas tant la teneur en métabolite de certains tissus qui importerait mais la répartition dynamique de ces nutriments dans les tissus.

Impact de la plante voisine sur l’immunité du blé

Au sein des mélanges variétaux, la présence d’une plante voisine peut avoir un impact positif sur l’immunité. Dans ce cas, elle agit en quelque sorte comme un agent de lutte biologique inducteur des défenses des plantes. Dans le cas du blé dur, un crible de lignées a été effectué au champ en 2017 à la station INRAE de Melgueil. En comparant les parcelles des 160 lignées cultivées en pur avec les 60 parcelles cultivées en mélange de deux lignées, une réduction de 33% de la sévérité de la septoriose a été observée. Cela confirme l’effet positif du mélange pour la gestion de cette maladie au champ. Cependant, pour certains mélanges, cela a entraîné une augmentation de 36% de la sévérité.

Par cartographie génétique, les chercheurs ont identifié le locus semblant à l’origine de cette sensibilité accrue en présence de certains voisins. Ces expériences ouvrent la voie à la possibilité d’envisager une amélioration des idéotypes de céréales pour leur capacité à protéger leurs voisines en mélange.

Impact de la sécheresse sur l’immunité du blé

La sécheresse est une contrainte abiotique de plus en plus fréquente sur blé dur du fait du changement climatique. Un essai a testé les effets d’une contrainte hydrique sur trois maladies foliaires du blé dur (les deux septorioses et la rouille brune) pour vingt variétés. Lorsque l’on regarde les résultats toutes variétés confondues, on observe que pour la septoriose (Zymoseptoria tritici et Parastagonospora nodorum), la quantité de symptômes augmente respectivement de 62% et 16% lors d’une contrainte hydrique. En revanche, la contrainte hydrique ne change pas la quantité de symptômes pour la rouille brune.

Afin de rechercher si la contrainte hydrique impacte la résistance en modifiant l’immunité de la plante, les chercheurs ont mesuré l’expression de cinq gènes de défense après la contrainte hydrique. Ainsi, il semblerait que, pour certaines variétés, la contrainte hydrique réduise effectivement le niveau d’expression constitutif de leurs gènes de défense. Cependant, la sécheresse n’impactait par d’autres lignées au niveau de leur immunité et maintenaient des défenses à un niveau équivalent. Ces variétés semblent donc pouvoir gérer les compromis de régulation entre ces deux stress.

Certains gènes liés à la défense ont une régulation antagoniste lors de la combinaison d’une contrainte hydrique et d’un stress biotique. Pourtant, leur expression était plutôt renforcée lors de la combinaison d’un apport azoté avec un stress biotique. La plante doit donc assembler des signaux contradictoires et mettre en place un réglage fin du niveau de défense.

Impact de traitements combinés de biocontrôle et de biostimulation sur l’immunité du blé

Protocole

L’essai a caractérisé huit lignées de blé dur pour leur capacité à répondre à un biostimulant racinaire apporté au semis. Après trois semaines de culture, on applique un simulateur des défenses sur la moitié des lots de plantes. Et 48h après, inoculée avec des spores de septoriose. Les essais ont ainsi permis évaluer l’impact du SDP seul ou en présence d’un biostimulant sur la résistance à la septoriose chez ces différentes variétés.

Résultats

immunité agroécologique

Il ressort de cette analyse quatre typologies de variétés  :

  • Des variétés (type 1) pour lesquelles le traitement de biocontrôle n’a eu aucun effet et qui ont présenté une augmentation de biomasse grâce au biostimulant racinaire. Cependant, ces variétés présentent une sensibilité accrue à la septoriose en présence du biostimulant racinaire.
  • Des variétés (type 2) pour lesquelles le traitement de biocontrôle n’a eu aucun effet et qui ont présenté une augmentation de biomasse grâce au biostimulant racinaire. Dans ce cas, le biostimulant a également eu une action de protection en augmentant la résistance à la septoriose.
  • Des variétés (type 3) pour lesquelles le traitement de biocontrôle a eu un effet de protection et qui n’ont pas réagi à priori à l’ajout du biostimulant. Cependant, chez ces variétés, le produit de biocontrôle a entraîné des pertes de biomasse. Cela pourrait être dû à une mauvaise gestion du compromis entre croissance et défense chez ces variétés.
  • Des variétés (type 4) pour lesquelles le traitement de biocontrôle a eu un effet de protection et qui ont paradoxalement présenté une perte de biomasse avec le biostimulant racinaire. De manière intéressante chez ces variétés, le biostimulant avait lui aussi eu un effet de protection. Lorsque les deux produits sont utilisés en combinaison, on maximise la protection.

Ces résultats montrent également l’importance de systématiquement prendre en compte l’effet variétal dans l’évaluation de l’efficacité des produits de biocontrôle et de biostimulation.

Pour approfondir le sujet, n’hésitez pas à consulter nos autres publications liées à la protection des cultures : https://normandiemaine.cerfrance.fr/arad2/les-stimulateurs-de-defenses-naturelles-utilises-pour-la-protection-des-cultures/

Sources Immunité végétale et impact de l’environnement :

BALLINI E. et al, 2022. Quel impact des pratiques culturales sur l’immunité des céréales. VÉGÉPHYL – 7 e CONFÉRENCE SUR LES MOYENS ALTERNATIFS DE PROTECTION POUR UNE PRODUCTION INTEGRÉE

BALLINI E., 2022. Modulation de l’immunité des céréales par l’environnement. Phytopathologie et phytopharmacie. Ecole doctorale GAIA Université de Montpellier, fftel-03726273f https://hal.inrae.fr/tel-03726273/document

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