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Pertes d’azote, environnement et santé

Temps de lecture : 7 minutes

Réduire les pertes d’azote du champ à l’assiette

Découvrez où sont les pertes d’azote à l’échelle du système alimentaire européen et les quatre principaux leviers pour réduire les impacts sur l’environnement et la santé.

L’azote est indispensable à la vie. Mais depuis le milieu du 20ème siècle, l’apport d’azote d’origine industrielle a augmenté fortement la quantité d’azote réactif dans les écosystèmes. En effet, environ 80% de l’azote apporté aux plantes est aujourd’hui perdu avant d’arriver dans notre assiette. Ces émissions massives d’azote dans l’eau et dans l’air affectent gravement notre santé et celle de la planète. Malgré des politiques dédiées, les apports et les rejets ont peu diminué depuis 20 ans. Des changements radicaux en agriculture, dans notre alimentation et dans le recyclage permettraient toutefois de diviser par deux ces émissions. Mais ils nécessitent de réorienter en profondeur les politiques publiques et le comportement de tous les acteurs du système alimentaire.

L’agronomie est au cœur des questions relatives au développement de systèmes alimentaires durables. En complément des approches classiques pour réduire les impacts à l’échelle de la parcelle ou de l’exploitation, les agronomes doivent mobiliser leurs compétences pour co-construire avec les disciplines ad hoc et les acteurs :

  • des scénarios prenant en compte un ensemble d’enjeux interdépendants. Il s’agit notamment de proposer d’évaluer des leviers pouvant répondre à plusieurs enjeux (rotation, diversité des cultures à différentes échelles, enherbement des cultures pérennes). Et de mobiliser les connaissances agronomiques pour évaluer la diversité de leurs effets.
  • des outils pour décliner des stratégies dans des contextes spécifiques de sol et de climat : association cultures et élevages ; choix des plantes de couverture…
  • des indicateurs de monitoring prenant en compte la spécificité des contextes pour évaluer les effet des stratégies.

Réduire les pertes d’azote : un enjeu de santé et pour l’environnement

80% de perte d’azote entre le champ et l’assiette en Europe

L’azote est indispensable à la vie car il permet la croissance des plantes. C’est également le constituant de base des protéines indispensables à notre métabolisme. En Europe, depuis le milieu du 20ème siècle, l’apport d’azote provient surtout du processus de fabrication industriel « Haber‐Boch ». Son usage a permis d’augmenter fortement la production et l’utilisation d’engrais et par voie de conséquence, les rendements des cultures. Cela a contribué à la sécurité alimentaire. Mais, cette utilisation a aussi augmenté les quantités rejetées dans l’eau et dans l’air. Ainsi, aujourd’hui, en Europe, environ 80% de l’azote apporté aux plantes est perdu avant d’arriver dans nos assiettes.

Des impacts des pertes d’azote sur l’environnement

Au début des années 2000, des recherches ont permis de quantifier les flux d’azote à large échelle. Elles pointent l’importance des pertes du fait de la faible efficience de l’utilisation de l’azote. Dans le même temps, les recherches ont progressé pour évaluer les effets de ces pertes sur les écosystèmes et la santé humaine. Les émissions dans l’air concernent le protoxyde d’azote (N2O) et l’ammoniac (NH3). Les émissions de N2O proviennent principalement de l’épandage des engrais minéraux et dans une moindre mesure des engrais organiques. Les excès d’azote contribuent à enrichir en nitrates les eaux de surface (rivières et milieux lacustres) et les eaux des littoraux marins. Couplé avec des pertes en phosphore, cela conduit à des phénomènes d’eutrophisation. Par ailleurs, les nitrates, en acidifiant les sols, modifient aussi leur potentiel rédox. Cela rend les plantes plus sensibles aux maladies et bioagresseurs, entrainant un surcroît d’utilisation de pesticides.

Des impacts des pertes d’azote sur la santé

Les émissions d’ammoniac qui proviennent surtout de l’élevage (environ 80%) affectent la santé humaine. En effet, l’ammoniac peut se recombiner dans l’atmosphère avec des oxydes d’azote et de soufre . Ils forment alors des particules fines (PM2,5) dont les effets délétères sur la santé humaine sont démontrés. Enfin, les nitrates en eux‐mêmes ne sont pas dangereux pour la santé humaine. Cependant, certaines circonstances (infection gastro‐intestinale) peuvent créer des conditions favorables à la réduction des nitrates en nitrites avec possibilité de production de nitrosamines cancérigènes.

Des pertes d’azote à toutes les étapes du champ à l’assiette

Trois indicateurs pour caractériser les pertes d’azote

Pour caractériser l’utilisation et les pertes d’azote, deux études menées en 2021 par Billen et al (E1) et al et 2022 par Leip et al (E2) ont utilisé trois indicateurs :

  • l’efficience d’utilisation de l’azote (EUN : N dans les produits/N apporté). Elle est calculée à l’échelle de la parcelle à un territoire.
  • l’utilisation virtuelle de l’azote (Nr perdu/N dans les produits). Elle est calculée à l’échelle du système alimentaire possiblement par produit.
  • l’empreinte azote par consommateur (N apporté/personne). Elle est calculé par pays ou régime alimentaire.

Pertes et flux d’azote à l’échelle du système alimentaire européen

L’apport total d’azote (engrais de synthèse, fixation symbiotique, dépôt atmosphérique, apport par le soja) à l’agriculture est de l’ordre de 20‐21 Mt. Au final, la consommation apparente d’azote pour l’alimentation humaine se situe entre 3,3 et 2,5. Sachant que E2 y ajoute 1,2 Mt d’N recyclé, vraisemblablement les déchets.

A l’échelle du système alimentaire, les pertes sont estimées selon les auteurs des deux études à 15 et 17 Mt. Cela correspond à environ 80% des apports totaux. Les valeurs supérieures calculées dans E2 viennent en partie du fait que sont comptabilisés 3 Mt émises hors Europe notamment pour la culture du soja. Ces pertes totales très importantes proviennent de la faible efficacité d’utilisation de l’azote (EUN), entre 34 et 40% pour l’agriculture et 17% à l’échelle du système alimentaire.

L’utilisation virtuelle de l’azote est d’environ 4,5. Cela signifie qu’il y a plus de quatre fois d’azote perdu que d’azote contenu dans les produits issus de l’agriculture. L’empreinte azote d’un consommateur européen se situe entre 39 et 44 kg N par an.

Des pertes d’azote qui dépendent des types de production et donc du régime alimentaire

L’efficience d’utilisation de l’azote moyenne en cultures et prairies est de 63%. Elle est beaucoup plus faible pour les productions animales puisqu’elle est estimée de 19% à 32%. Mais elle atteint 73% si l’on tient compte de l’apport par les déjections. Ainsi, même après prise en compte du recyclage des déjections, le passage par l’animal amplifie les pertes en azote au niveau du système agricole du fait d’un découplage entre carbone et azote. Par exemple, pour 100 unités d’azote apportées, 63 sont valorisées sous forme végétale et, au mieux, 46 (100 x 0,63 x 0,73) sous forme animale.

Les  pertes d’azote des produits animaux sont 3 à 40 fois supérieures à celles des produits végétaux.

En conséquence, le degré de végétalisation de l’assiette détermine la quantité d’azote nécessaire pour produire notre alimentation. La différence de besoin en azote entre un régime occidental et végétarien est estimée à presque 25%.

Quatre principaux leviers pour réduire les pertes d’azote réactif

La combinaison de mesures en agriculture et élevage, dans l’alimentation et un meilleur recyclage permettrait de réduire les émissions de Nr jusqu’à 50 %.

Développer des systèmes de culture agroécologiques

Des stratégies minimisant les risques

Ces leviers concernent les inhibiteurs de nitrification, le remplacement des urées dans les engrais, l’incorporation rapide des engrais minéraux et organiques dans le sol, le développement des cultures intermédiaires, la réduction du travail du sol, notamment en automne et en hiver. L’efficacité de ces pratiques est connue. Néanmoins elles génèrent des coûts qui, pour certains, pourraient être pris en charge par les politiques agricoles.

Changer de paradigme pour piloter la fertilisation

La fertilisation azotée des cultures a longtemps été fondée sur une analyse statistique de la réponse de leur rendement à des doses croissantes de fertilisants. Ce pronostic a conduit à une pratique d’assurance où l’on applique des doses d’azote excessives, afin de ne pas pénaliser les rendements. Une méthode prévisionnelle du bilan d’azote d’une culture a été mise au point pour corriger cette tendance, mais elle reste très imparfaite. Le diagnostic de l’état de nutrition azotée d’une culture en cours de campagne permet de résorber cette incertitude liée à la variabilité des conditions locales.

Réduire la consommation de protéines animales

Pour réduire les pertes d’azote, la diminution de la consommation de protéines animales est un autre levier clef identifié tant au niveau mondial qu’européen. Ainsi, la végétalisation de l’assiette (30% de protéines animales au lieu de 60% et intégration de légumineuses) permettrait de réduire l’azote ingéré de 15%, les surplus de 6%, le NH3 de 30%, le N2O et NO3 seraient proches de zéro.

S’orienter vers moins et mieux d’élevage

Réduire les pertes d’azote liées à l’élevage passe par une modification des pratiques de production mais aussi de consommation. Un levier important est le développement des légumineuses pour viser l’autonomie protéique. En outre, adapter la production de produits animaux au niveau souhaitable pour la consommation humaine nécessite aussi de privilégier les formes d’élevage dont l’alimentation n’entre pas en compétition avec la nôtre, comme l’élevage ruminants herbager sur prairies non mécanisables.

Pour cette raison, ce ne sont pas forcément les formes d’élevage qui génèrent les pertes d’azote les plus élevées (tableau 3) qui doivent être les plus réduites. En effet, la fraction des ressources non consommables par l’homme utilisées pour les monogastriques vont de 30‐45% à 82‐85% alors que pour les ruminants, elles vont seulement de 7‐22% à 8‐42%, selon que la ressource considérée est l’aliment ou la terre. L’agriculture biologique change peu les pertes d’azote par kg de produit pour les productions végétales. Par contre, elles sont augmentées de 10% en moyenne pour les productions animales, et de 124% pour la production de viande bovine. En conséquence, à régime alimentaire comparable, l’empreinte azote d’un mangeur bio est en moyenne supérieure de 25% d’un mangeur conventionnel. Toutefois, les consommateurs de bio tendent à réduire leur consommation de viande.

Réduire le gaspillage et recycler les urines

La réduction du gaspillage alimentaire réduirait la demande de produits agricoles pour l’alimentation et les pertes d’azote associées. De même, l’amélioration du recyclage des déchets et notamment des excréments humains augmenterait significativement le recyclage de l’azote. Toutefois, pour que l’azote récupéré génère moins d’émissions que les engrais de synthèse, il conviendrait de recoupler l’azote des urines avec du carbone organique. Cela permettrait d’introduire dans le sol un composé avec un rapport C/N de l’ordre de 8‐12 susceptible de participer plus directement au turn‐over microbien.

De nécessaires changements systémiques pour respecter les limites de sécurité

En Europe, maîtriser les flux d’N dans les écosystèmes suppose de ne pas dépasser les seuils de dépôts atmosphériques qui déterminent la charge critique en N pour la biodiversité terrestre, entre 5 et 35kg/ha selon le services écosystémique considéré, la concentration d’N dans les eaux de ruissellement (2,5 mg N/L) pour protéger les écosystèmes aquatiques et la concentration en nitrates des lixiviats vers les eaux souterraines (50 mg NO3/L).

Les scénarios de systèmes alimentaires présentés dans les études E1 et E2 montrent que des ajustements paramétriques permis par les technologies en agriculture et pour la gestion des déchets ne suffiront pas à eux seuls pour atteindre l’objectif de réduire de moitié les pertes d’azote à horizon 2050. Ces scénarios montrent que le plus grand potentiel d’augmentation de l’efficacité de l’azote du système alimentaire actuel réside donc dans le secteur de l’élevage (pratiques d’alimentation, amélioration de la gestion du fumier) couplée à un régime alimentaire plus végétalisé.

Pour approfondir le sujet, vous pouvez consulter nos publications en lien avec la réduction des GES : https://normandiemaine.cerfrance.fr/arad2/category/changement-climatique/reduire-lemission-de-ges/

Source

DURU Michel et THEROND Olivier, 2023. Réduire drastiquement les pertes d’azote du champ à l’assiette pour notre santé et la planète. Revue AE&S 13-1 Eau, sol et changement climatique : quelles implications pour les agronomes et les pédologues https://agronomie.asso.fr/aes-13-1-16

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