Impacts des produits phytosanitaires sur la biodiversité et les services écosystémiques
Dans cette publication, nous vous présentons les impacts des produits phytosanitaires sur la biodiversité et les services écosystémiques. Chaque année, entre 55 000 et 70 000 tonnes de substances actives phytopharmaceutiques sont vendues sur le territoire français. La réglementation européenne en matière de mise sur le marché des produits phytosanitaires vise un degré élevé de protection avec en particulier pour principe d’éviter tout effet inacceptable sur l’environnement. Toutefois, elle ne parvient pas complètement à atteindre cet objectif. La raison est notamment une prise en compte insuffisante de la diversité des interactions, telles qu’elles se produisent dans l’environnement.
Une expertise scientifique collective a été conduite. Elle avait pour objectif d’évaluer le devenir et les impacts de ces substances une fois introduites dans l’environnement. Il en ressort que tous les milieux sont concernés par la contamination de mélanges de produits phytopharmaceutiques. Mais les zones agricoles proches des lieux d’applications sont les plus contaminées. Cette contamination affecte ensuite les sols et cours d’eau jusqu’aux mers et aux océans. De plus, la pollution chimique – à laquelle les produits phytopharmaceutiques contribuent – apparaît comme le troisième ou quatrième facteur de destruction de la biodiversité à l’échelle mondiale. Elle se situe derrière le changement ou la destruction des habitats naturels, l’exploitation des ressources et le changement climatique. Enfin, les trois services écosystémiques impactés par les pesticides sont :
- la production végétale cultivée (affectée positivement car protégée des ravageurs et maladies par les produits phytopharmaceutiques),
- la pollinisation (affectée négativement, principalement par les insecticides néonicotinoides et pyréthrinoïdes),
- la lutte par les prédateurs naturels contre les ravageurs des cultures (négativement impactée elle-aussi).
Une présence des produits phytosanitaires dans tous les compartiments environnementaux
Les données disponibles à l’échelle mondiale montrent que tous les types de matrices (sol, air, eau, sédiment, ainsi que le biote) sont contaminés par les produits phytosanitaires. Cette contamniation se fait y compris dans des zones très éloignées du lieu d’application. C’est le cas par exemple de l’océan profond ou les régions sub-polaires. L’agriculture est identifiée comme la source majeure d’introduction des produits phytosanitaires dans l’environnement. En effet, les usages agricoles sont prépondérants par rapport aux autres usages (entre 95 et 98 %).
Les eaux sont principalement contaminées par les herbicides majoritairement hydrophiles. Tandis que les composés hydrophobes (une grande part des insecticides) sont davantage retrouvés dans les sols et les sédiments, ainsi que dans le biote. Les fongicides sont essentiellement retrouvés dans les sols et l’air, mais ils sont aussi présents dans les eaux.
Des effets directs et indirects sur la biodiversité
La pression excercée sur la biodiversité
La pression exercée sur la biodiversité par l’exposition aux produits phytosanitaires et à d’autres substances chimiques se combine dans l’environnement avec d’autres sources de stress. Ces sources de stress sont principalement :
- la destruction des habitats liée à l’intensification agricole et à l’urbanisation,
- les évolutions liées au changement climatique et aux espèces envahissantes.
La part relative des produits phytosanitaires dans l’érosion de la biodiversité est donc difficile à établir dans un contexte multifactoriel. Ce dernier associe plusieurs types de pressions chimique (incluant d’autres substances que les produits phytosanitaires), physique et biologique.
Les effets directs des produits phytosanitaires sont fonction de leur mode d’action. Toutefois, de plus en plus d’effets non attendus et sans relation claire avec le mode d’action sont mis en évidence. Par exemple, c’est le cas pour ce qui concerne les systèmes nerveux, immunitaire, endocrinien, ou encore les interactions avec les microbiotes.
Les effets indirects s’exercent essentiellement par :
- la réduction des ressources alimentaires, notamment suite à l’application d’herbicides pour les granivores et les phytophages, et suite à l’application d’insecticides ou de fongicides ayant des propriétés insecticides pour les insectivores
- la perte d’habitats, notamment suite à l’impact de l’application d’herbicides sur la végétation
- les variations de l’intensité de prédation ou des rapports de compétition vis-à-vis de la ressource alimentaire, suite à des impacts négatifs de produits phytosanitaires sur certaines populations.
Les pressions multifactorielles
Face aux pressions multifactorielles, certaines espèces réagissent mieux que d’autres, ce qui fait varier les équilibres au sein des écosystèmes. L’utilisation des produits phytosanitaires peut ainsi induire des variations défavorables à la santé des cultures. Notamment, lorsque la dynamique favorise les bioagresseurs par rapport aux auxiliaires.
La baisse de l’abondance et de la diversité des invertébrés terrestres liée à l’utilisation des produits phytosanitaires est principalement avérée dans les espaces agricoles. Dans les écosystèmes terrestres, tous les taxons sont affectés. Mais les lépidoptères (papillons), les hyménoptères (abeilles, bourdons, etc.) et les coléoptères (coccinelles, carabes, etc.), sont les plus touchés.
L’utilisation massive d’insecticides à large spectre induit une diminution de l’abondance des invertébrés, y compris les auxiliaires des cultures. A ces effets directs s’ajoutent des effets indirects. Ces effets indirects découlent principalement :
- des impacts des herbicides sur la diversité et la biomasse des plantes,
- leurs conséquences sur l’alimentation et les habitats des invertébrés.
Les produits phytosanitaires sont également identifiés comme un des facteurs du déclin de l’abondance et de la diversité des oiseaux dans les espaces agricoles, en interaction avec la simplification des paysages. Selon les espèces d’oiseaux et leur régime alimentaire, cet impact des produits phytosanitaires résulte principalement soit :
- d’un effet direct : l’ingestion de semences traitées aux produits phytosanitaires par des oiseaux granivores ou ingestion d’appâts contaminés par des rapaces,
- d’un effet indirect : diminution de la ressource alimentaire suite au déclin des proies ou intoxication suite à la consommation de proies contaminées par certains produits phytosanitaires.
Ainsi, le rôle prépondérant des néonicotinoïdes sur le déclin de certaines populations d’oiseaux a été mis en évidence :
- sur la base de différents travaux montrant des corrélations négatives entre l’abondance de ces populations,
- des données relatives soit à l’usage des néonicotinoïdes, soit à leur concentration dans les eaux de surface.
Impact des produits phytosanitaires sur les services systémiques
Définition des services écosystémiques
Les services écosystémiques sont les avantages socio-économiques retirés par les populations et les sociétés humaines de leur utilisation durable des fonctions écosystémiques.
Cette représentation souligne notamment l’importance :
- du rôle fonctionnel des espèces impactées par les effets des produits phytosanitaires,
- du degré de redondance fonctionnelle,
- des interactions entre espèces.
Les fonctions écosystémiques reposent sur des équilibres, des optimums et des complémentarités. Elles y reposent plus que sur des relations monotones positives ou négatives avec l’abondance d’une espèce ou d’un groupe donné. D’autre part, la richesse spécifique ne suffit pas à garantir la résilience fonctionnelle d’un écosystème. Par exemple, lorsque certaines fonctions ne sont assurées que par des espèces qui sont impactées par la pression exercée (absence de redondance fonctionnelle).
Lien entre produits phytosanitaires et servuces écosystémiques
Le lien entre produits phytosanitaires et services écosystémiques n’a été étudié qu’à partir de quelques services principalement :
- la production végétale,
- la lutte biologique,
- la pollinisation.
Le service de régulation et de maintien de la qualité des sols est peu présent dans les services documentés. Or, compte tenu des effets mis en évidence sur certaines fonctions assurées par les microorganismes et les invertébrés terrestres, qui contribuent notamment à la dégradation de la matière organique et à la structure des sols, ce service devrait davantage faire l’objet d’attention.
Les travaux analysés mettent en évidence une tension entre la production de biomasse végétale cultivée et les autres services. En effet, l’apport de produits phytosanitaires conventionnels (hors biocontrôle) intervient dans le processus de production pour supprimer un dis-service (c’est à dire, un désavantage de la biodiversité pour l’humain), celui que constitue l’action des bioagresseurs. Or, en se substituant au service écosystémique de lutte biologique, les produits phytosanitaires contribuent aussi à le dégrader. Ainsi que les autres services de régulation qui dépendent de l’activité des organismes. Par exemple, les insecticides favorisent les plantes cultivées par élimination des ravageurs phytophages. Mais ils affectent aussi les prédateurs qui assurent la lutte biologique et les pollinisateurs indispensables à la fécondation et donc à la formation des fruits et grains pour un grand nombre de plantes cultivées.
Les quelques études traitant du service de régulation et de maintien de la qualité des sols suggèrent de même un impact négatif des produits phytosanitaires. Les rares travaux conduits sur les services culturels plaident pour une meilleure prise en compte de ces derniers. Des pertes économiques sont par exemple documentées en lien avec la dégradation de la qualité de l’eau ayant des répercussions sur le tourisme et les activités récréatives.
Les leviers permettant la réduction de la contamination
Le premier levier permettant la réduction de la contamination est la diminution des quantités de produits phytosanitaires utilisées. En aval de l’utilisation des produits phytosanitaires, d’autres leviers d’action permettent d’intervenir sur les transferts de produits phytosanitaires dans l’environnement. Ils consistent majoritairement à limiter leur dispersion au moment de l’application, et à réduire les transferts après l’application par des aménagements aux échelles parcellaires et supra-parcellaires (bassin versant). Les recherches se sont intensifiées au cours des 20 dernières années. L’objectif est de mieux comprendre les dynamiques de transferts et améliorer l’efficacité des moyens d’atténuation en optimisant différents paramètres de mise en œuvre (dimensionnement, positionnement, etc).
Ces travaux tendent à souligner la nécessaire combinaison de différents leviers complémentaires, et le fait qu’aucune mesure d’atténuation ne permet de neutraliser totalement les effets des produits phytosanitaires.
Source :
Expertise scientifique collective, 2022. Impacts des produits phytosanitaires sur la biodiversité et les services écosystémiques.