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Usage des fourrages bioactifs par les éleveurs bovins lait

Temps de lecture : 8 minutes

Etat des lieux de l’usage des fourrages bioactifs par les éleveurs de bovins laitiers du territoire Normandie Maine

L’utilisation de fourrages bioactifs apparaît comme un levier supplémentaire dans une démarche de gestion alternative de la santé des bovins laitiers. En effet, ces fourrages contiennent des métabolites secondaires (tanins condensés, terpènes, flavonoïdes…) pouvant avoir un effet anthelminthique et permettant de mieux valoriser les protéines, de prévenir le risque d’oxydation ou encore de limiter le risque de météorisation. Afin d’évaluer le niveau d’adoption de cette pratique et de mieux percevoir sa mise en œuvre sur le territoire Normandie Maine, une étude a été réalisée par l’ARAD² en 2022.

Cette étude a montré que cette pratique est très peu utilisée sur notre territoire, principalement chez des agriculteurs en agriculture biologique et/ou dans des systèmes plus herbagers. Des enquêtes auprès des éleveurs utilisant des fourrages bioactifs ont mis en évidence une diversité de mises en œuvre (mélanges prairiaux, en pur, haies…). Mais dans tous les cas, cela s’intègre dans une gestion plus globale de la santé, rendant les bénéfices sanitaires spécifiques à cette pratique difficilement dissociables.

L’intérêt croissant des éleveurs pour les médecines alternatives est prometteur pour le développement de ces fourrages bioactifs. Cela nécessitera toutefois d’acquérir de nouvelles références afin de pouvoir vulgariser l’utilisation de fourrages bioactifs.

Lotier, plantain, chicorée et sainfoin : des plantes riches en métabolites secondaires

Les métabolites secondaires se trouvent principalement dans les dicotylédones (Farruggia et al., 2008), telles que le sainfoin, le lotier des marais et corniculé, la chicorée et le plantain. Les arbres possèdent aussi des teneurs intéressantes, notamment en tanins condensés pour les essences suivantes : le noisetier commun, le saule des vanniers, le saule marsault et le robinier faux-acacia (Novak et al., 2020).

Les principaux effets mis en avant par la littérature sont : effet antiparasitaire, réduction de la dégradabilité des protéines dans le rumen, augmentation de l’assimilation d’acides aminés essentiels dans l’intestin grêle, apports d’antioxydants, réduction des émissions de méthane et d’azote urinaire.

L’usage de fourrages bioactifs peu connue et des utilisateurs principalement en système herbager

Un questionnaire en ligne a été administré aux 1 944 éleveurs laitiers du territoire. Sur les 153 répondants, 14 agriculteurs utilisent la pratique soit 9,1 %. Parmi les agriculteurs non utilisateurs, 55,8% ne connaissent pas du tout cette pratique.

Les utilisateurs de la pratique sont plus souvent en Agriculture Biologique et en système herbager. Leur production par vache laitière et par hectar de SFP est inférieure aux non utilisateurs.

IndicateursNon utilisateurs (137)Utilisateurs (14)Comparaison entre non utilisateur et utilisateur
Système conventionnel92 %57 %AB : +35 %
Système biologique8 %43 %AB : +35 %
Lait par VL/an7 081 litres de lait5 112-1 969 litres de lait par vache laitière
Lait par ha de SFP consolidée7 268 litres de lait4 542-2 726 litres de lait/ha de SFP
MB / 1000 L (€)249318+ 69 €/1 000 litres de lait
Concentré VL / an (kg)1 755864-892 kg
Part de prairies dans la SFP (%)62 %85 %+ 23 %
Résultats du questionnaire en ligne administré aux 1 944 éleveurs laitiers du territoire Normandie Maine

Trois principales façons d’intégrer les fourrages bioactifs dans la gestion de la santé

Valoriser la diversité déjà présente (prairies naturelles et haies) sur l’exploitation

La plupart des éleveurs utilisateurs préfèrent intégrer les espèces bioactives dans un mélange afin de garder de la complémentarité entre espèces

Pour agir de manière préventive, la plupart des éleveurs utilisateurs préfèrent intégrer les espèces bioactives dans un mélange afin de garder de la complémentarité entre espèces, par peur de pâturer une espèce pure ou encore car leurs prairies tendent à devenir naturelles. L’espèce la plus utilisée est la chicorée (7 agriculteurs sur 9), suivie du plantain (5 agriculteurs sur 9). Les doses sont variables en fonction des objectifs et situations (cf. tableau ci-dessous).

Espèces et doses par hectarPlantain :
3 kg à 6 kg en cas de sursemis
Chicorée :
0,5 à 3 kg
Plantain :
2 kg + Chicorée 1-1,5 kg
Exemple A : Lotier corniculé (200-500 g) + Plantain (1-2 kg) + Chicorée (1 kg)
Exemple B : Espèces bioactives =  50 % du mélange
Part maximale de la biomasse de la prairie10 à 30 %5 à 30 %5-10 %10-50 %
Les doses d’espèces bioactives sont variables en fonction des objectifs et situations

La majorité des utilisateurs (8 agriculteurs sur 9) diminuent les espèces « classiques » du mélange, ce qui limite le surcoût de semences. Certains agriculteurs (4 agriculteurs sur 9) estiment le surcoût d’implantation faible, les autres considérant qu’il n’y a pas de surcoût.

EspècePrix au kg (€) ( source Agriconomie)
Chicorée10,9
Plantain9,8
Lotier corniculé9,5
Le coût d’implatation d’espèces bioactives – Source Agriéconomie

Ces espèces s’intègrent principalement dans les prairies de pâturage. Dans un seul cas, le plantain (2 kg/ha) a été intégré à des prairies de fauche.

Les agriculteurs estiment que cette pratique est simple à mettre en place.

Les agriculteurs estiment que cette pratique est simple à mettre en place. Pour les utilisateurs de chicorée, le point clef de réussite est un retour plus rapide entre 10 et 21 jours, particulièrement début juillet pour gérer sa montaison. En effet, lorsque la montaison de la chicorée est ma gérée, ils estiment qu’elle est moins bien consommée par les animaux. Cela permettrait également d’éviter que la plante ne colonise les autres parcelles en se ressemant.

Le plantain et le lotier ne semblent pas être contraignants en termes de vitesse de repousse. Par conséquent, la majorité des éleveurs ne modifient pas leurs pratiques de pâturage (pâturage tournant…) pour les prairies contenant ces deux plantes.

Les rendements fourrage obtenus sur ces prairies sont considérés comme similaires (5 agriculteurs sur 9) à supérieurs (3 agriculteurs sur 9) aux autres prairies. L’intégration d’espèces bioactives permet un maintien de la production laitière (5 agriculteurs sur 9) voire une amélioration (3 agriculteurs sur 9).

Toutefois, malgré un bon niveau de satisfaction, les surfaces en prairies avec des fourrages bioactifs dépassent rarement 15 % des surfaces prairiales de chaque exploitation (excepté trois agriculteurs). Les raisons évoquées sont : une forte présence de prairies naturelles sur l’exploiration, une volonté de laisser vieillir les prairies et une satisfaction des résultats sanitaires actuels ne poussant pas au changement. Pour lever ces freins, deux agriculteurs pratiquent le sursemis qui semble particulièrement bien fonctionnerpour le plantain.

A noter que le mélange « prairies pharmacies » commercialisé par Eylips n’a été cité qu’une fois.

Valoriser la diversité déjà présente (prairies naturelles et haies) sur l’exploitation

En plus des espèces citées précédemment, trois éleveurs valorisent des espèces présentes naturellement dans leurs prairies comme le pissenlit. Ils considèrent que leurs pratiques de pâturage (tournant…) permettent de maintenir une diversité d’espèces bénéfique à la santé de leurs animaux. Deux éleveurs distribuent du foin issu de ces prairies diversifiées pour faire consommer aux animaux des espèces qui ne sont pas pâturées.

Enfin, la moitié des éleveurs utilisateurs de fourrages bioactifs permettent aux animaux d’accéder aux haies pour appliquer le principe d’automédication. Les espèces identifiées bien consommées par les animaux à des périodes spécifiques sont : le robinier faux acacia, le charme et le saule marsault. Pour favoriser l’accès aux arbres, certains agriculteurs relèvent les fils de clôture ou les placent de manière à ce qu’ils ne soient pas devant la haie, voire coupent des branches l’été.

Implanter une espèce bioactive en pure (2 agriculteurs)

L’implantation d’une espèce bioactive en pure a pour objectif de réaliser des cures préventives antiparasitaires. Par exemple, un éleveur a implanté 4 ha (11 % des surfaces herbagères pour les VL) de chicorée en pure (7 kg/ha). La plante est affouragée en vert (parcelle éloignée) aux VL de mai à novembre. La périodicité de la cure dépend du stade de plantes et non d’un état animal particulier Le fourrage peut représenter jusqu’à 100 % de la ration et être distribué jusqu’à 5-6 jours consécutifs. Il est impératif d’avoir un temps de retour court (15 à 28 jours) et raccourci début juillet. La plante est bien consommée, probablement grâce à l’affouragement. La chicorée présente quelques inconvénients : une implantation compliquée (petite graine) et une récolte en ensilage et enrubannage déconseillée (trop d’eau).

En termes de résultats sanitaires, la pression parasitaire est très faible sur l’exploitation (pas de traitement depuis 2010), tout comme les frais vétérinaires (9 €/1 000 l de lait et 36 €/VL). Cette pratique s’intégrant dans une gestion plus globale de la santé, il est difficile d’estimer l’impact de la pratique seule. D’un point de vue technique, la chicorée en pure résiste mieux au sec que les autres prairies (naturelles) del’éleveur et atteint des rendements plutôt supérieurs (8-10 tMS/ha). La production laitière sur la parcelle est également plus élevée que dans les autres pâtures. L’introduction de cette plante en pure lui a permis de concentrer l’apport de plantes bioactives et faciliter la gestion du stade de la plante.

Dans les trois mises en œuvre identifiées, on observe que le moment de mise à disposition des plantes bioactives ne dépend jamais de l’animal (symptôme, moment clef…) mais bien du stade des plantes bioactives.

Des résultats sanitaires satisfaisants mais qui s’expliquent par un ensemble de pratiques

Des résultats sanitaires satisfaisants mais qui s’expliquent par un ensemble de pratiques

Davantage d’utilisateurs de fourrages bioactifs considèrent ne pas avoir de problématiques marquées (43 %) en comparaison aux non utilisateurs (13 %). Aucun des quatorze éleveurs utilisateurs ne considère avoir de problématiques parasitaires liées au pâturage. Quatre agriculteurs n’utilisent aucun traitement, cinq de manière très sélective et seulement trois utilisent un traitement de manière systématique. La pression parasitaire est modérée chez cinq éleveurs et quasiment inexistante chez sept.

En moyenne, les frais vétérinaires par vache laitière des utilisateurs (45,3 €) sont 48 % inférieurs aux non utilisateurs (87,3 €), et les frais vétérinaires par 1 000 litres de lait (8,9 €) sont 30 % inférieurs aux non utilisateurs (12,8 €). Des études parallèles ont permis de mettre en évidence que la productivité par vache laitières et la consommation de concentrés par vache laitière sont des éléments qui influencent aussi les frais vétérinaires. L’ensemble des agriculteurs ont signifié que la pratique rentrait dans une stratégie plus globale (système herbager et pâturant, extensivité de la production/VL…).

Frais vétérinaire par vache laitière en fonction de l'alimentation
Frais vétérinaire par vache laitière en fonction de l’alimentation

Des éleveurs plutôt intéressés mais en manque de références

Parmi les agriculteurs non utilisateurs, une forte proportion n’utilise pas le fourrage bioactif par ignorance de celui-ci (45 %). Ou bien parce qu’il existe un manque de références techniques (34 %) pour sa mise en œuvre. De nombreux éleveurs s’intéressent déjà à des médecines alternatives, 55 % des non utilisateurs de fourrages bioactifs en utilisent. 

Intérêts des éleveurs non-utilisateurs pour les plantes bioactives
Intérêts des éleveurs non-utilisateurs pour les plantes bioactives

Une fois la pratique expliquée, une part importante des éleveurs non utilisateurs des fourrages bioactifs (53 %) sont plutôt intéressés, voire totalement intéressés (5 %) par l’utilisation d’espèces prairiales bioactives. Les espèces ligneuses suscitent moins d’intérêt. Les éleveurs intéressés par cette pratique souhaiteraient principalement bénéficier de moyens concrets et illustratifs tels que : des témoignages d’agriculteurs (49,4 %) et/ou une visite d’essais (48,1 %). Le conseil individuel est une attente pour une minorité des répondants (14,8 %).

Les principaux enseignement de l’étude sur l’usage des fourrages bioactifs par les éleveyrs de bovins laitiers du territoire Normandie Maine

Les principaux enseignements de cette étude sont :

  1. La principale mise en œuvre est l’intégration d’espèces bioactives à un mélange classique.
  2. Cette mise en œuvre est simple et non chronophage, particulièrement lorsque le plantain et le lotier sont utilisés car iles ne modifient pas les pratiques de pâturage. La chicorée nécessitant un retour rapide, davantage de précautions sont à prendre. Un semis en pur semble permettre une gestion facilitée.
  3. Le sainfoin n’est pas utilisé (probablement à cause de la nature du sol du grand Ouest).
  4. Implanter des ligneux riches en tanins dans les haies est un levier supplémentaire.
  5. La pratique s’inscrit dans une démarche plus globale : système pâturant, réduction de la productivité par vache laitière, utilisation plus forte des médecines alternatives et parfois conversion à l’agriculture biologique.

Bien que l’efficacité de la pratique soit difficile à isoler en élevage laitier, elle engendre peu d’inconvénients et la prise de risque est faible. L’application de la pratique en élevage ne semble pas contre indiquée. Au vu du contexte climatique actuel et futur, les intérêts fourragers que présentent ces plantes devraient également faciliter leur développement. Il apparait finalement que l’utilisation des espèces bioactives est un levier supplémentaire dans une démarche de gestion alternative de la santé des bovins lait

Source de l’état des lieux de l’usage des fourrages bioactifs par les éleveurs de bovins laitiers du territoire Normandie Maine :

LECROSNIER J., 2022. Niveau d’adoption et déterminants de l’usage des fourrages bioactifs chez les éleveurs bovins laitiers du territoire Normandie Maine. Il s’agit d’une étude interne de l’ARAD², Cerfrance Normandie Maine.

Rapport confidentiel complet sur demande : arad2@nm.cerfrance.fr

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