De la fourche à la fourchette de juin 2024 : représentation de l’agriculture, démographie des exploitations agricoles, agriculture biologique et le label bio
Découvrez la dernière publication de la fourche à la fourchette du mois de juin 2024 sur les thématiques suivantes :
- Les quatre principales représentations de l’agriculture dans la société française
- Démographie des exploitations agricoles : quelles perspectives à horizon 2035 ?
- Agriculture biologique : Quelles perspectives ?
- La nécessité de relégitimer le label bio
Rédaction : Elise Guérin
Les quatre principales représentations de l’agriculture dans la société française
Le centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture a publié en mars 2024 une synthèse intitulée « Images et représentations de l’agriculture dans la société française d’aujourd’hui ».
D’après cette étude, les images et représentations concernant le monde agricole sont des aspects moins étudiés et moins mobilisés dans les politiques publiques. Quatre représentations se démarquent.
Ces représentations sont « divisées en couple d’opposition avec les exploitations de grande taille d’un côté en production intensive et de l’autre les productions extensives, de petite taille ». Ces « couples » sont eux-mêmes opposés entre partenaires avec une représentation positive d’un côté et de l’autre, une agriculture avec une image plus négative, en difficulté.
Une agriculture familiale à petite échelle
La première décrit une agriculture « à petite échelle », inscrite dans le territoire, constituée d’exploitations familiales. La commercialisation s’y fait en circuits courts et de proximité. Cette agriculture s’insérerait dans des systèmes alimentaires territorialisés, ses productions sont considérées comme « de qualité ». Elle reproduit un rapport ancestral à la terre, s’inscrivant dans une continuité et des traditions agrariennes. Des formes de production innovantes peuvent également être utilisées.
« Cette représentation est bien illustrée par les stéréotypes du maraîchage biologique en zone périurbaine, de l’agriculture familiale, de la permaculture »
Une agriculture à grande échelle, des exploitations de grande taille
La deuxième représentation évoque une agriculture à grande échelle, très mécanisée. Des exploitations de grande taille la mettent en œuvre, ainsi que des « entreprises » agricoles.
« Cette agriculture, assez peu familiale, est capitalistique, tournée vers des productions de masse ayant vocation à « nourrir la planète ». Elle est inscrite dans la mondialisation et des chaînes de valeur longues, avec une forte dimension exportatrice »
S’appuyant pleinement sur des techniques innovantes, elle utiliserait toutes les ressources du numérique. Cette représentation s’illustre par :
- de grandes exploitations céréalières
- le recours accru au machinisme agricole de pointe :
- agriculture de précision,
- robotique, …
Une agriculture sous pression, des exploitations endettées
La troisième représentation dépeint une agriculture sous pression. Cette dernière est prise dans un système inégalitaire (partage de la valeur, prises de décision, etc.).
« Prisonnière de modèles techniques, dépendante de l’amont (ex. fournisseurs d’intrants) et de l’aval (coopératives, industries agroalimentaires, grande distribution), elle est constituée d’exploitations endettées, inscrites dans une course à l’agrandissement et à l’intensification »
Cette agriculture connaît des problèmes de sorties du métier et de non-renouvellement des générations (abandons, départ à la retraite, pas de repreneur familial). De plus, elle se confronte à un sur-suicide. L’étude estime également que l’élevage laitier intensif est souvent pris comme illustration.
Agriculture de subsistance avec de petites structures
La quatrième représentation brosse le portrait d’une agriculture de subsistance, sans héritage ni héritiers. Elle comprend des petites structures peu modernes et peu innovantes. Celles-ci ont besoin d’aide économique et sociale, et recourent assez souvent à une main d’œuvre familiale. Cette représentation comporterait une dimension nostalgique et patrimoniale importante. La petite agriculture de montagne et l’imagerie agrarienne de Raymond Depardon (documentaires, photographies) en sont des stéréotypes.
Des canaux de diffusion diversifiés
Pour aboutir à ces quatre représentations, le ministère a dû répertorier toutes les différentes possibilités de représenter l’agriculture aujourd’hui. Si les canaux de diffusion traditionnels (radio ou journaux) ont toujours leur importance dans la représentation de l’agriculture, le ministère revient sur plusieurs nouveaux canaux de diffusion qui ont une place prédominante comme la téléréalité.
« L’amour est dans le pré, au fil des saisons, a vu le casting de l’émission perdre une part de sa charge stigmatisante, l’objectif semblant même de montrer les similitudes sociales et affectives avec le monde urbain »
Les réseaux sociaux sont également d’après le ministère un canal naissant de diffusion des images. Ils permettraient aux agriculteurs de véhiculer leurs propres images et la réalité de leur quotidien.
Peu importe le canal, ces images et représentations jouent un rôle important dans l’élaboration des :
- opinions,
- perceptions,
- analyses relatives à l’agriculture.
Elles constituent un stock de références et jugements mobilisables par les acteurs qui s’expriment sur l’agriculture. L’étude revient également sur trois débats impactant les représentations de l’agriculture : agribashing, pesticides et bien-être animal.
Démographie des exploitations agricoles : quelles perspectives à l’horizon 2035 ?
Dans le cadre d’un ouvrage publié par l’Insee, Laurent Piet, économiste INRAE, avec des fonctionnaires de la Cour des comptes et de l’Anses, se sont intéressés à l’évolution du nombre d’exploitations agricoles en France métropolitaine au cours de la prochaine décennie.
La situation actuelle de la France en matière de démographie agricole
Le dernier recensement de l’agriculture, réalisé en 2020 par le service statistique du ministère de l’Agriculture, montre que le nombre d’exploitations agricoles, de même que celui des chefs d’exploitation et co-exploitants, a encore fortement diminué sur la dernière décennie. Les exploitations étaient en effet près de 490 000 en 2010 et moins de 390 000 en 2020, soit une baisse de 20 % en 10 ans. Dans le même temps, la population des chefs d’exploitation et co-exploitants est passée de près de 604 000 personnes à moins de 496 400, soit une baisse de 18 %. Cette tendance n’est pas nouvelle. Rien que sur la décennie précédente (2000 – 2010), la France avait déjà perdu près de 175 000 exploitations et 160 000 chefs et co-exploitants, soit déjà à l’époque des baisses respectives de plus de 25 % et 21 %.
Les tendances pour les prochaines années
Pour faire une estimation, il faut d’abord comprendre les mécanismes sous-jacents aux évolutions passées pour, ensuite, en faisant l’hypothèse que ces mécanismes vont eux-mêmes se maintenir, construire une image de ce qui pourrait arriver à un horizon pas trop lointain, « toutes choses égales par ailleurs ». C’est ce qui avait déjà été réalisé en 2018 pour 2025, à partir des données du précédent recensement. Il y aurait donc 274 600 exploitations agricoles en France métropolitaine en 2035. Le rythme de diminution du nombre d’exploitations à horizon 2035 pourrait donc rester le même que celui observé entre 2010 et 2020 (‑2,3 % par an en moyenne). Alors qu’il était plus élevé au cours des décennies précédentes :
- – 3,5 % par an entre 1990 et 2000
- – 3,0 % par an entre 2000 et 2010.
A noter que, comme l’explique Laurent PIET, de nombreux facteurs entrent en jeu et pourraient remettre en cause cette perspective (âge des exploitants, départ en retraite ou création de sociétés).
Agriculture biologique : quelles perspectives ?
Le 12 avril 2024, les Chambres d’agriculture de Normandie ont organisé une journée réunissant producteurs bio, collecteurs, collectivités et financeurs de l’AB afin de partager des éléments de conjoncture et échanger sur les perspectives des filières bio en région.
Le contexte de l’AB a changé
Au cours des dernières années, la production bio s’est développée en France et la consommation de produits alimentaires bio a augmenté, donnant un relatif équilibre entre l’offre et la demande. Depuis 2021, le contexte a changé : sortie de crise COVID, inflation, guerre en Ukraine… En 2023, la consommation alimentaire bio a ainsi connu sa 3ème année de baisse consécutive (revenant un niveau de consommation bio d’avant COVID). Pour autant, la production bio croissante continue d’arriver sur le marché. Ainsi, on constate une surproduction pour la quasi-totalité des produits bio, générant une baisse des prix d’achat aux producteurs. Pour une partie des volumes bio excédentaires, il en découle un déclassement vers des filières conventionnelles.
Un enjeu : réajuster l’offre bio
En lien avec les opérateurs aval, plusieurs mesures visant à réduire la production bio ont été mises en œuvre :
- Incitation à réduire la production (lait, betteraves sucrières, porcs),
- Allongement des délais d’enlèvement / allongement des vides sanitaires (volailles de chair, poules pondeuses),
- Augmentation de l’âge d’abattage (bovins),
- Constitution de stocks tampons (de plusieurs mois pour les céréales) et/ou recherche de débouchés à l’exportation pour les cultures, allant parfois jusqu’à la fermeture d’ateliers bio (porcs, poules pondeuses), voire l’arrêt total de l’activité bio (cessation d’activité, déconversion)…
Avec une offre abondante pour les cultures bio, les acheteurs sont plus exigeants sur la qualité des produits. Il s’agit du cas pour des blés bio panifiables :
- origine locale,
- taux de protéines,
- propreté des lots…
Chez les opérateurs en filière longue, les conversions à l’AB sont en pause, dans l’attente d’une meilleure conjoncture. Par ailleurs, les mauvaises conditions météorologiques d’implantation 2023-2024 (ou non-implantation) des cultures bio vont avoir des conséquences sur les potentiels de rendement 2024. Ils vont permettre ainsi aux organismes stockeurs d’écouler une partie des stocks bio précédemment constitués. Avec la probable prochaine baisse de l’offre bio, les prix d’achat à la production pourraient augmenter.
Quelques cultures de niche
Tournesol, sarrasin, betteraves sucrières, lentilles, petit et grand épeautre, quinoa, pois chiche, millet … L’enjeu est de ne pas saturer le marché avec un comportement opportuniste par rapport aux prix attractifs. Il est important de « rester raisonnable » sur les surfaces et, avant d’implanter, de contractualiser avec un opérateur pour sécuriser ses débouchés. Le marché des cultures de niche reste fragile. Il peut donc vite être déstabilisé.
Des signes encourageants pour la filière bio
Des aides conjoncturelles mises en place en 2023 et 2024 apportent un soutien aux exploitations en AB ayant subi des pertes économiques importantes. Mais pour relancer durablement l’AB, il convient de piloter plus finement la production (voire de mettre en place des outils de régulation du marché) tout en relançant la consommation.
Avec le ralentissement de l’inflation, la consommation alimentaire bio pourrait reprendre. Ainsi, début 2024, le circuit des magasins spécialisés bio connait une évolution positive de son chiffre d’affaires en France. La consommation bio est également très présente dans d’autres pays européens, offrant la possibilité d’aller chercher des débouchés en UE pour la production bio française.
La mise en œuvre de la loi Egalim (introduction plus massive de produits bio en restauration hors domicile) constitue un levier majeur pour offrir davantage de débouchés aux agriculteurs bio.
Concernant les pratiques de production, les externalités positives de l’AB pourraient être valorisées via la rémunération pérenne des services rendus :
- préservation de la ressource en eau,
- de la qualité des sols,
- de la biodiversité…
En attendant la mise en œuvre d’un tel dispositif, les aides CAB (Conversion à l’Agriculture Biologique) non consommées pourraient être orientées vers l’accompagnement et le soutien des agriculteurs bio.
La nécessité de relégitimer le label bio
Selon un sondage NielsenIQ issu de son bilan annuel 2023, le label « semble avoir perdu de son sens et ne justifie plus son prix élevé, face à d’autres appellations ». Soulignant ainsi l’importance pour la Bio de rappeler ses atouts et sa spécificité aux consommateurs.
60% des dé-consommateurs de Bio estiment que les produits certifiés « sont trop chers par rapport aux bénéfices qu’ils apportent »:
- 42 % chez les Français qui augmentent leur consommation
- 72 % chez ceux qui disent ne pas acheter de Bio).
Ces résultats montrent comment d’autres appellations concurrencent le label :
- 74 % des consommateurs trouvent importante l’appellation « Produit sans résidu de pesticide », soit deux fois plus que pour le label Bio (37 %).
- 72 % jugent important qu’un produit soit local,
- 61 % qu’il soit artisanal,
- 60 % du terroir.
Ces conclusions rappellent l’importance de communiquer sur le fait que 83 % du bio consommé en France est produit en France.
Si vous souhaitez aussi consulter nos anciennes publications, rendez vous sur la partie dédiée aux fourches à la fourchette.