De la fourche à la fourchette de février 2024 : inflation, ammoniac en élevage, filière laitière et le poulet français
Au sommaire de la fourche à la fourchette du mois de février 2024 :
- Face à l’inflation, des consommateurs français vigilants en 2023
- Des solutions pour limiter les émissions d’ammoniac en élevage
- La filière laitière française perd en compétitivité
- Le poulet a-t-il encore un avenir, lui qui symbolise la perte de notre souveraineté alimentaire ?
Date de publication : 20/02/2024 – Rédaction : Pierre Chambard
Face à l’inflation, des consommateurs français vigilants en 2023
La seconde édition du baromètre Digital & Payments de BPCE l’Observatoire met en évidence la vigilance des consommateurs français dans un contexte de forte inflation (3,7 % sur l’année 2023) et de faible croissance des dépenses par carte (+ 3,6 %, soit le taux le plus faible depuis cinq ans).
Pour préserver leur pouvoir d’achat, les Français ont privilégié :
- Le discount : les dépenses des Français y progressent de 21 % et le nombre de consommateurs attirés par ce type de commerce augmente de 14 %, notamment dans les grandes métropoles et dans les classes supérieures. À noter que dans le domaine alimentaire, ce sont des distributeurs traditionnels comme Leclerc ou Intermarché qui gagnent des parts de marché avec leurs gammes 1er prix au détriment des spécialistes du discount comme Aldi ou Lidl dont le positionnement prix avec leur marque distributeur s’avère pénalisant.
- La seconde main : les dépenses en produits d’occasion (mode) ou reconditionnés (électronique) progressent fortement en 2023
- Les promotions ; le « Black Friday » 2023 a battu un record avec une hausse des dépenses de 38 % par rapport en 2022. Les 18-24 ans en ont été particulièrement friands.
La croissance des dépenses des Français en restauration (en particulier rapide), dans les loisirs ou dans les produits beauté traduit une consommation qui privilégie la socialisation et le bien-être.
Ces tendances soulignent la nécessité pour les acteurs économiques d’imaginer des offres répondant aux nouveaux besoins de leurs clients.
Des solutions pour limiter les émissions d’ammoniac en élevage
La directive européenne relative aux plafonds nationaux d’émissions d’ammoniac fixe pour la France un objectif de réduction de 13 % en 2030 par rapport à 2005. En effet, l’ammoniac est un précurseur d’un polluant de l’air. Émis à 94 % par l’agriculture, l’ammoniac et la gestion de l’azote constituent donc un enjeu d’importance pour les exploitations agricoles.
Les bâtiments d’élevage, le stockage des effluents et leur épandage représentent plus de 60 % des émissions d’ammoniac.
En élevage, plusieurs leviers ont été identifiés pour maitriser ces émissions :
- ajuster les apports en azote des rations afin de réduire les rejets des animaux ;
- couvrir les fosses : le bâchage d’une fosse limite 60 % de la volatilisation d’ammoniac ;
- augmenter la durée de pâturage lorsque les ressources en herbe et l’accessibilité des parcelles le permettent ;
- privilégier l’épandage avec un pendillard (aux buses à palettes) et l’enfouissement du fumier ;
- renforcer l’autonomie de l’exploitation en azote avec des légumineuses dans l’assolement.
La filière laitière française perd en compétitivité
FranceAgriMer renouvelle son étude « Facteurs de compétitivité sur le marché mondial des produits laitiers » où elle analyse les forces et les faiblesses des filières laitières dans le monde.
En 2022, ce sont les Pays-Bas qui prennent la tête du classement, en gagnant deux places par rapport à 2020. L’Irlande se classe 2ème, alors que la France rétrograde en 3ème position après avoir dominé le classement pendant plusieurs années.
Le recul de la France dans ce classement s’explique par la réduction de sa production laitière en 2022, sous l’effet conjugué de la diminution de son cheptel et de moindres disponibilités fourragères. Ceci a pénalisé les volumes exportés, alors que la France se distingue par quatre transformateurs parmi les 20 leaders mondiaux.
Au-delà du conjoncturel, et malgré une offre diversifiée de produits laitiers et un secteur dynamique de la recherche, la filière laitière française présente des faiblesses selon les auteurs de l’étude.
Ainsi, ils relèvent :
- un niveau d’endettement des éleveurs dans la moyenne haute des pays étudiés,
- une fréquence de plus en plus régulière des épisodes de sécheresse,
- des pressions environnementales et sociétales assez fortes sur l’élevage,
- une dépendance aux marchés intra-européens et une moindre présence sur d’autres zones porteuses,
- un coût du travail parmi les plus élevés en Europe.
Sur un marché des produits laitiers de plus en plus ouvert et concurrentiel, l’identification des forces et des faiblesses permet, à chaque maillon et à l’ensemble de la filière, de rechercher des solutions pour améliorer sa compétitivité.
Pour en savoir plus sur la filière laitière, consultez notre veille économique spécialisée lait.
Le poulet a-t-il encore un avenir, lui qui symbolise la perte de notre souveraineté alimentaire ?
Les médias ont récemment illustré la perte de souveraineté alimentaire française par le fait que 50 % de notre consommation de poulet était dorénavant importée.
AgriDées dresse le constat d’une filière avicole française « à part » : leader de la production avicole en Europe au début des années 2000, la France est le seul grand pays européen à avoir vu sa production nationale de volailles régresser et elle se classe désormais au 4ème rang en Europe (derrière la Pologne, l’Allemagne et l’Espagne).
Au cours de ces 20 ans, la France est devenu le 1er pays consommateur de volailles de l’Union européenne (dont 80 % de poulet) : la consommation de poulet par Français est passée de 15,6 kg en 2012 à 22,5 kg en 2022, soit + 4,4 % par an en moyenne sur la période. Du jamais vu par rapport aux autres viandes ! Cette asymétrie entre baisse de la production et développement de la consommation a conduit à l’explosion des importations.
Cette trajectoire s’explique et pose les questions du choix voulu de la souveraineté alimentaire en viande de volaille et des moyens à mettre en place si la France veut reconquérir des parts de marché sur les importations qui alimentent sa consommation.
Les raisons du déclin
La dynamique d’investissements massifs
La dynamique d’investissements massifs à chaque maillon de la filière, au niveau international ou dans certains pays européens (comme la Pologne ou les Pays-Bas) n’a pas eu lieu en France. Dans les pays qui investissement dans la filière, ces choix stratégiques s’appuient sur les caractéristiques principales de la volaille :
- rapidité du cycle de production,
- meilleure efficacité des ressources allouées,
- prix relatif aux autres viandes inférieur,
- innovations technologiques et marketing,
- pas d’interdits religieux,
- image nutritionnelle favorable, etc.
La restructuration de la filière française
La restructuration de la filière française a pris du temps. L’arrêt des restitutions européennes à l’exportation en 2013, qui, contrairement aux autres pays européens, a pesé sur les entreprises françaises, a nécessité qu’elles se réadaptent en terme d’offre.
La diversité des productions avicoles en France
La diversité des productions avicoles françaises, au niveau des espèces (poulets, dindes, pintades, canards, etc.) et des modes de valorisation (standard, IGP, label, bio, etc.) a pour conséquence une moindre productivité des chaines d’abattage, et le besoin de démultiplier les références et les savoir-faire, alors que la demande des consommateurs s’oriente de plus en plus sur du poulet consommé au quotidien (donc rapide et pratique à préparer). Le poulet entier ne représente plus que 16 % de la consommation.
La consommation française de poulet
La consommation française de poulet évolue vers la Restauration Hors Domicile, le snacking et la viande de volaille transformée. En effet, l’identification de l’origine y est plus difficile pour le consommateur.
Les élevages et les abattoirs en France
Les élevages et les abattoirs en France sont de taille modeste. L’élevage type en France compte deux poulaillers et abrite 40 000 poulets environ, soit deux à trois fois moins que la moyenne européenne (et 50 fois moins qu’en Ukraine). La taille inférieure et le retard de modernité des abattoirs français (qui ont investi plus tardivement que leurs homologues européens sur la découpe) participent à un coût d’abattage et découpe plus élevé.
Le coût du travail
Le coût du travail est supérieur en France, lié à une moindre productivité sur les chaines d’abattage.
Le poulet standard en France est plus léger
Le poulet standard en France est plus léger (1,8 à 1,9 kg contre 2,3 kg en Europe). Cela limite le rendement en filet (une des pièces les plus consommées) et rend plus difficile l’équilibre carcasse.
Des pistes pour redonner un avenir au poulet français
Les experts d’AgriDées s’accordent sur le fait que les leviers pour un rebond de la filière avicole française sont européens et nationaux.
Renforcer les frontières externes de l’UE
Renforcer les frontières externes de l’UE en limitant les contingents d’importation à droits de douane nuls ou réduits : la difficulté d’imposer rapidement et efficacement des clauses miroir suppose de limiter ces contingents. L’activation de la clause de sauvegarde, prévue dans la réglementation européenne, est un outil pour limiter les importations de poulets ukrainiens. Ces derniers tirent les prix intérieurs de l’UE vers le bas.
Se réapproprier les éléments de la chaîne de valeur
Se réapproprier les éléments de la chaine de valeur car les intrants à l’origine du poulet sont créateurs de valeur. Aussi, il est nécessaire de développer en France les cultures riches en protéines, afin de limiter les importations de soja, et parfois le préalable à sa culture, la déforestation. Les premix, nécessaires à l’alimentation animale dépendent d’opérateurs dont les capacités de production se situent en Asie. Enfin, la sélection génétique du poulet de chair est aux mains de groupes internationaux dont on peut douter de l’intérêt pour le patrimoine génétique territorial français et pour les sites de sélection sur notre territoire.
Informer les consommateurs
Informer les consommateurs et étiqueter les produits sur la base d’un affichage nutritionnel et d’un affichage environnemental communs aux pays de l’UE.
Promouvoir l’origine France pour séduire les consommateurs en recherche de proximité économique et sociétale avec les producteurs.
La production du poulet français
Se doter d’une capacité de produire l’ensemble de la gamme de poulets, du standard au bio, pour satisfaire les tendances de consommation des Français.
Réaffirmer la durabilité de la production de poulets français (faible émission de GES, taille des élevages, réduction des antibiotiques, alimentation de proximité, etc.) dans la communication locale pour faciliter l’installation et la transmission.
Relancer la production, par la construction et la rénovation du parc de poulaillers. Face à l’augmentation du coût des matériaux, aux lenteurs des procédures administratives et aux évolutions des cahiers des charges, un plan d’investissements, porté par les opérateurs et soutenu par les pouvoirs publics, est indispensable d’après AgriDées. Le capital humain des éleveurs doit être aussi sauvegardé (savoir-faire technique, rémunération de la main-d’œuvre, transmission).
Les opérateurs de la filière
Renforcer les liens entre opérateurs de la filière, pour mieux répondre à la demande des consommateurs et pour optimiser le coût final du produit.
Soutenir l’innovation industrielle, dans la génétique animale et végétale, la nutrition animale et l’abattage transformation. La modernisation des 76 abattoirs français de volailles, mais aussi la construction de nouveaux, s’avèrent nécessaires pour améliorer :
- leur productivité (face à la concurrence européenne),
- les conditions de travail (attractivité du métier),
- le bien-être animal.
D’après AgriDées, face à l’accumulation des handicaps et aux enjeux qui se présentent, la filière avicole française doit s’engager dans un plan de relance et de transition, et les pouvoirs publics assumer leurs choix de modèle alimentaire et de production.
Pour en savoir plus sur la filière volaille de chair, consulter nos observatoires spécialisés.