Fourche à la fourchette | Juin 2022

Temps de lecture : 8 minutes

De la fourche à la fourchette : impact de l’Ukraine sur les marchés, bien manger, la consommation et l’inflation

En juin 2022, nous publions une nouvelle publication  » De la fourche à la fourchette ». Nous y aborderons les sujets suivants :

  • Impact sur les marchés de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine
  • Quid du « bien manger » ?
  • Quelle consommation entre contraintes et idéaux ?
  • L’inflation gagne du terrain partout en Europe

Impact sur les marchés de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine

Un impact direct sur la sécurité alimentaire et le caractère abordable des denrées alimentaires dans le monde

La politque agricoles commune

Grâce à la politique agricole commune (PAC), la disponibilité de denrées alimentaires, d’aliments pour animaux et d’engrais n’est pas une préoccupation majeure dans l’Union Européenne (UE).

L’UE est dans une large mesure autosuffisante. De plus, son marché unique devrait jouer son rôle en absorbant les chocs, en :

  • assurant la sécurité alimentaire de ses citoyens,
  • garantissant une aide au revenu pour les agriculteurs européens.

La diminution des importations

Néanmoins, la diminution des importations de maïs, de blé, d’huile, de tourteaux de colza et de tournesol en provenance d’Ukraine a une incidence. Elle a un impact en particulier sur les prix des aliments pour animaux et sur l’industrie agro-alimentaire de l’UE. Compte tenu des prix élevés du marché et des tendances inflationnistes résultant de la guerre en Ukraine, la principale préoccupation dans l’UE demeure le caractère abordable des prix.

Les « corridors de solidarité »

Les dirigeants de l’UE ont débattu de la sécurité alimentaire et du caractère abordable des denrées alimentaires, lors de la réunion extraordinaire du Conseil européen. Ce dernier s’est tenue les 30 et 31 mai 2022. Ils ont condamné fermement la destruction et l’appropriation illégale par la Russie de la production agricole en Ukraine. Enfin, ils ont appelé la Russie à :

  • mettre un terme à ses attaques sur les infrastructures de transport en Ukraine
  • lever le blocus des ports ukrainiens sur la mer Noire
  • autoriser les exportations de denrées alimentaires, en particulier depuis Odessa.

Le Conseil européen a invité les États membres à accélérer les travaux sur les « corridors de solidarité » proposés par la Commission pour faciliter les exportations de denrées alimentaires en provenance d’Ukraine, et il a plaidé pour une réponse à l’échelle mondiale aux défis en matière de sécurité alimentaire.

Des risques logistiques

Au-delà des tensions sur les prix et les appro-visionnements, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) identifie des risques en logistique : état préoccupant du réseau ferroviaire ukrainien, fermeture des ports de la mer Noire, surprime d’assurance pour les bateaux civils naviguant dans la zone, mise à l’arrêt des usines de trans-formation, etc.

Les sanctions internationales pourraient aussi réduire la production agricole russe. En limitant les importations de pesticides et semences, dont le pays est très dépendant. À partir de simulations, la FAO envisage des conséquences sur plusieurs années. Elle considère qu’en dépit des ajustements des autres exportateurs, les prix mondiaux du blé en 2026/2027 pourraient être de 10 à 20 % supérieurs au scénario de référence. Les prix pourraient être également de 10 à 15 % plus élevés pour le maïs, les autres céréales et les graines oléagineuses.

Une crise alimentaire ?

La désorganisation des circuits de distribution, les atteintes aux infrastructures, les déplacements de population, les difficultés d’approvisionnement en intrants pourraient déboucher sur une crise alimentaire en Ukraine. D’après une évaluation rapide des besoins, plus de 40 % des régions du pays anticipent des pénuries alimentaires à brève échéance. Les deux tiers des commerçants font déjà état de difficultés d’approvisionnement.

Avec la flambée des cours agricoles et les restrictions sur le commerce international, la planète alimentaire s’alarme. Le prix des denrées de base s’envole à de nouveaux records, bien au-dessus des niveaux de 2007-2008. Ces derniers ont été marqués par des émeutes de la faim.

Partout, l’inflation sévit mais elle menace plus gravement de nombreuses populations fragiles. L’ONU évoque des risques de famine mondiale. Toutefois, avec des stocks mondiaux corrects, le monde devrait avoir suffisamment de nourriture pour chacun.

La météo met sous pression les producteurs

Les stocks mondiaux ont beau être à des niveaux corrects, les tensions interviennent dans un contexte géopolitique tendu. De plus la météo met sous pression tous les producteurs.

Le conflit entre les deux superpuissances agricoles, que sont la Russie et l’Ukraine, se superpose à la crise sanitaire et à la crise climatique. De fait, les prix n’ont plus rien à voir avec les fondamentaux entre production et consommation. Mais ils varient au gré des déclarations et aléas militaires.

La guerre en Ukraine vient accélérer une tendance haussière qui se manifeste depuis près d’un an.

La principale raison de la flambée des prix, c’est d’abord l’irruption de la Chine sur les marchés mondiaux.

Sur le plan météorologique, plusieurs pays producteurs rencontrent cette année des difficultés : inondations au Canada, canicule au Nord de l’Inde et au Pakistan, inondations en Inde et au Bangladesh, sécheresse en Europe, etc.

Ces aléas climatiques ont des conséquences. Par exemple, l’Inde avait promis de vendre 7 à 10 millions de tonnes de blé pour compenser une partie des pertes liées au conflit en Ukraine. Après la vague de chaleur historique, le gouvernement s’est ravisé en instaurant un embargo sur les exportations de blé.

Le protectionnisme agricole s’installe en Asie

Les grands exportateurs asiatiques prennent des mesures pour amortir le choc agricole lié à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Cette vague de protection-nisme déferle au plus mauvais moment, alors que les prix alimentaires mesurés par la FAO sont déjà à leur plus haut niveau historique, bien au-dessus des records de 2008 (émeutes de la faim) et de 2011 (printemps arabes), et que les chaînes d’appro-visionnement sont sens dessus dessous depuis le blocage des ports de la mer Noire.

Malgré la levée de cet embargo, la tendance est bel et bien à la fermeture des marchés mondiaux de denrées alimentaires, en premier lieu à cause du repli sur lui-même du géant indien. Non seulement le pays n’exportera pas les 7 à 10 millions de tonnes de blé promises pour soulager les marchés des pertes en Ukraine, mais le sucre aussi va faire l’objet de restrictions. L’Inde, deuxième exportateur au monde, s’apprête à plafonner les exportations de sucre à 10 millions de tonnes afin de garantir l’appro-visionnement local.

Tous les yeux sont désormais rivés sur le riz. Il s’agit du seul ingrédient de base qui n’a pas encore vu ses prix flamber. Son prix se maintient à des prix relativement bas, à un peu moins de 500 dollars la tonne contre 1 000 en 2008.

Là aussi, l’Inde joue un rôle clef puisqu’elle représente 40 % des échanges mondiaux de cette céréale qui nourrit la moitié de la planète. Bien que les stocks de riz soient abondants, les observateurs craignent de nouvelles mesures.

De plus, la Thaïlande et le Vietnam, les deux autres grands exportateurs de riz, vont collaborer étroitement pour faire monter les prix de vente des céréales. Ces interventions visent à doper les revenus des agriculteurs qui ont pâti de hausse du prix des intrants.

Quid du « bien manger » ?

Un fléchissement du marché du bio

Sous l’influence des écologistes, des diététiciens, des défenseurs des mondes végétal et animal et des professeurs de vertu de tout poil, une vision saine et romantique s’était imposée dans nos assiettes. Les patrons de l’industrie et de la distribution avaient suivi la tendance autour du « bien manger ».

Le consommateur devait prendre des nourritures meilleures pour la santé et la planète. Le bio a donc envahi les gondoles et les réfrigérateurs. Les petites productions ont poussé.

Le « conso-acteur » voulait changer le monde en allant courir les boutiques à la ferme, s’abonner aux associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), cultiver son jardin, cuisiner des produits bruts, etc.

Après des années de croissance folle, le marché du bio a commencé à fléchir en septembre 2021. L’année s’est terminée par une baisse de 4 %. En février 2022, la perte se creusait de presque 7 % sur un an.

Retour des marques distributeurs

Dans le même temps, l’inflation a fait son retour. Dans un hypermarché, le bio, c’est 9,5 % des références pour 6,5 % du chiffre d’affaires. La place a été faite pour les marques de distributeur et les premiers prix, les armes anti-inflation par excellence. Le bio est, lui, en moyenne 50 % plus cher que les produits issus de l’agriculture conventionnelle.

Des alternatives au bio

Le bio est aussi victime d’une crise de foi. Beaucoup de produits sont importés d’Espagne, voire d’Amérique du Sud. La saveur des produits est aussi contestée.

Les Français ont d’autres moyens de consommer de façon responsable : label « Haute valeur Environ-nementale », sans résidus de pesticides, sans nitrites pour le jambon. Les alternatives existent et elles ne sont que 10 % à 20 % plus onéreuses. Le local est l’autre option plébiscitée par les consommateurs.

Les agriculteurs qui ont entamé une longue et coûteuse conversion au bio sont pris à revers. Un moment, le lait bio s’est vendu sur le marché à des tarifs inférieurs au lait conventionnel. Le monde à l’envers.

Le bio est devenu la variable d’une équation plus vitale que celle d’une alimentation saine : comment nourrir la planète ?

Puis, est survenue la guerre en Ukraine. Une crise alimentaire mondiale s’est profilée. La filière a pris conscience qu’avec le bio, les rendements baissaient de moitié et qu’il fallait pourtant nourrir la population …

Quelle consommation entre contraintes et idéaux ?

Volonté de consommer moins et mieux, à protéger la planète, tout en continuant à se faire plaisir

Contraintes du monde et idéaux de chacun

Quand la consommation est tiraillée entre les contraintes du monde et les idéaux de chacun. Philippe Moati, fondateur de l’observatoire ObSoCo, nous aide à comprendre.

Je consomme, donc je suis … Mais qui suis-je ? Qui est le consommateur français ? Ce n’est pas simple ! Ses habitudes sont persécutées par les crises financières, sociales, sanitaires, géopolitiques …

Ces crises viennent casser les routines, faire revoir les habitudes. Lors de l’épidémie de Covid, les consommateurs se sont remis en cause, avec la solidarité, la citoyenneté, en privilégiant le commerce de proximité, en allant vers plus de sobriété, du consommer moins mais mieux, avec le souci d’achats éco-compatibles, …

Entre désir et réalité, il y a le prix

Mais voilà, entre son désir et la réalité des chaos du monde, il y a le prix. Le pouvoir d’achat est au centre du budget des foyers. La guerre en Ukraine l’a ensuite accentué en occasionnant des hausses notables sur le ticket de caisse au supermarché ou à la pompe. Le marché du bio est, par exemple, l’un des secteurs souffrant des effets collatéraux de cette insécurité inflationniste. La vente de bio en fruits et légumes a accusé, en une année, une baisse de 11 %. Une désaffection à relativiser car, en même temps, les industriels ont aussi bien compris ce besoin de manger sainement mais sans passer forcément par le bio. Ainsi de plus en plus de produits étiquetés sans nitrites, ni colorants, garantissant le bien-être animal sont proposés par les industriels.

Selon la dernière étude de l’observatoire des pers-pectives utopiques de mars 2022, 88 % des Français estiment que la société accorde trop de place à la consommation et que notre manière de consommer est nuisible à l’environnement.

De l’autre, 71 %, très pragmatiques, avancent que la croissance de la consommation est essentielle pour l’économie et l’emploi.

Et parallèlement, ils sont 74 % à reconnaître que pouvoir acheter, ça contribuerait fortement au bonheur surtout en cette période anxiogène. Le plaisir de la consommation est un argument avancé quand on traverse des moments difficiles (façon de compenser).

L’essor du quick commerce

Autre tendance forte de ce consommateur en mutation :  son appétit vorace pour le commerce en ligne.

Le principe de faire venir à soi, et de manière rapide, ce qui vous prenait avant plus de temps, séduit.

C’est l’essor du quick commerce avec, notamment, des livraisons rapides de courses alimentaires en moins de 15 minutes. Mais aussi l’achat de biens, de loisirs ou de vêtements à portée de clic et déposés, en quelques jours, dans votre boîte aux lettres ou à votre porte.

Maintenant, face à son écran, on peut aussi prendre ce plaisir de consommer avec le sentiment de devenir plus acteur, plus expert dans ses achats. L’idée de reprendre « la main ». Et de la tendre … Car l’autre valeur essentielle des perspectives utopiques réside dans l’entraide et le collaboratif, ou comment trouver du sens dans un monde sens dessus-dessous ?

L’inflation gagne du terrain partout en Europe

L’inflation a accéléré en France à hauteur de 5,2 % en mai selon l’INSEE. Cette progression des prix est importante et inédite depuis les années 80. Dans les autres pays européens, la hausse est encore plus marquée. En effet, l’inflation s’est élevée à 8,7 % en Allemagne, 8,5 % en Espagne, et encore plus critique à l’Est, avec 20,0 % en Estonie ou 18,5 %en Lituanie. Le bouclier tarifaire énergétique explique cette différence.

Le taux d'inflation annuel en Europe en mai 2022
Le taux d’inflation annuel en Europe en mai 2022

L’énergie en cause

Même si l’énergie en France a augmenté de 28 % en un an, elle aurait augmenté de 37 % dans la zone euro. La France est aussi moins dépendante du gaz russe que les pays baltes. Ces derniers sont notamment affectés par leurs forts liens avec la Russie.

Retrouvez toutes nos publications « De la fourche à la fourchette » en ligne sur notre site internet.

Sources utilisées pour rédiger notre de la fourche à la fourchette de juin 2022

Impact sur les marchés de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine

https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-response-ukraine-invasion/how-russia-s-war-in-ukraine-has-impacted-markets/

https://www.fao.org/3/cb9236en/cb9236en.pdf

http://veilleagri.hautetfort.com/archive/2022/04/19/guerre-en-ukraine-consequences-a-moyen-terme-sur-les-marches-6377391.html

https://agriculture.gouv.fr/telecharger/130330?token=7ecf549b6d4ca869c855553702e0622e9f0d9f14193fc697ee3560fbe739cc19

Quid du « bien manger » ?

https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/crise-du-bio-et-guerre-en-ukraine-retour-aux-fondamentaux-pour-la-filiere-alimentaire-1411537#:~:text=Sous%20l’influence%20des%20%C3%A9cologistes,%C3%A9tait%20impos%C3%A9e%20dans%20nos%20assiettes.

Quelle consommation entre contraintes et idéaux ?

https://www.ouest-france.fr/medias/ouest-france/e-dossier/transition-ecologique-en-quete-de-demain/une-consommation-confinee-dans-les-paradoxes-75cb6d10-cfb0-11ec-9e3e-278bc975ec11

L’inflation gagne du terrain partout en Europe

https://www.ouest-france.fr/economie/commerce/prix/inflation-la-france-est-elle-mieux-lotie-que-ses-voisins-europeens-3d55c1e4-e0b1-11ec-8469-165462e4a30b

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