Le lin : produire davantage pour répondre aux marchés !
Découvrez notre dernière veille économique spécialisée et intitulée : le lin produire davantage pour répondre aux marchés !
Date de publication : 06/02/2024 – Rédaction : Didier ROINSON
Sur un marché de niche, la production de lin peine à répondre à la demande croissante. Les prix des fibres s’envolent. Les aléas de production à répétition ne pénalisent pas les marges brutes de la culture, mais ils obligent la filière à s’adapter. Les enjeux majeurs : produire plus et mieux.
La filière lin dans l’incapacité de répondre à la demande mondiale ?
Le lin est une micro-niche qui représente moins de 1 % de la production des fibres textiles dans le monde.
L’Union Européenne (UE) produit 75 à 80 % du lin à fibre mondial. La France détient à elle seule 85 % des surfaces de l’UE, devant la Belgique et les Pays-Bas. Elle réalise ainsi 60 à 65 % de la production mondiale de lin.
La Chine est un maillon essentiel de la filière lin. Elle est le principal importateur de fibre de lin, le principal producteur et exportateur de fils et de tissus à travers le monde.
Le marché est demandeur de lin, mais la production ne suit pas …
La demande mondiale en fibre de lin est durablement dynamique. Les vêtements en lin sont à la mode tant dans les pays occidentaux (UE, États-Unis), qu’en Asie (Japon, Inde, Chine). Les consommateurs sont en attente de produits naturels porteurs de sens. Les atouts du lin : fibre végétale naturelle, faible consommation d’intrants, production renouvelable, etc.
Pour satisfaire cette demande, les tisseurs chinois ont renforcé leurs capacités de tissage. En France et en Europe, les surfaces de lin ont plus que doublé depuis 2010. En 2019, les ventes de fibres longues portaient déjà sur 150 000 t par an.
… et le marché est en forte tension
Depuis 2020, la filière lin de l’ouest de l’UE (France, Belgique et Pays-Bas) a connu plusieurs années de turbulences qui n’ont pas permis de satisfaire la demande. La pandémie de Covid a prolongé la commercialisation de la récolte 2019 sur deux campagnes. La récolte 2020 a souffert d’un faible rendement. Puis la réduction des emblavements 2021 a limité l’offre sur le marché mondial.
La récolte 2022 a un peu rééquilibré les choses, avec un retour des surfaces, mais le rendement modeste a maintenu les marchés sous tension.
La récolte 2023 a été très faible, avec une division par deux du rendement moyen historique. Elle ne permettra pas de répondre aux attentes des marchés en 2024. Les prix s’envolent et les volumes vendus s’orientent à la baisse, fragilisant la filière dans son ensemble.
En France : une dynamique solide liée à la très bonne rentabilité du lin
En France, la dynamique des surfaces s’explique par une très bonne rentabilité de la culture du lin depuis plus de dix ans.
La réduction ponctuelle de l’assolement 2021 est la conséquence du souhait collectif d’éviter une surproduction en période de Covid. Le lin a ainsi rapidement repris sa place dans les assolements 2022 et 2023. Mais sa sensibilité aux aléas climatiques semble freiner son développement.
La production de lin est toujours très « régionalisée ». Normandie et Hauts de France représentent 95 % de la surface française, du fait de leurs bonnes conditions pédoclimatiques, et malgré les épisodes de chaleur récents. La présence d’humidité en été favorise un bon rouissage du lin, condition essentielle à la production d’une fibre haut de gamme.
Retour sur les dernières récoltes : les rendements souffrent des aléas
Depuis 2020, les rendements nationaux sont nettement inférieurs à la moyenne historique qui était de 1,4 t de fibres longues par hectare.
La récolte 2020 est un mauvais cru
Malgré une surface record semée en lin (141 000 ha), le volume de fibres commercialisables associé à la récolte baisse. 12 % des surfaces ne sont pas récoltées (vent et sécheresse). Le rendement moyen de 0,9 t / ha de fibres longues est le moins bon résultat depuis la récolte 2011. Sur l’année civile 2021, les échanges mondiaux de fibres longues reprennent après le creux lié au Covid. Le prix des fibres longues est de 2,80 € / Kg sur les 12 mois de 2021.
La faible récolte 2020 contribue ainsi à limiter les stocks mondiaux de lin. Elle initie une lente hausse des prix des fibres.
Baisse des surfaces pour la récolte 2021
La récolte 2021 de lin subit une forte baisse des surfaces (- 30 %), suite aux engagements de la filière de début d’année. La pluie importante de l’été accentue la verse et retarde certains arrachages. 3 % des surfaces ne sont pas récoltées. Le rendement est correct (1,3 t / ha de fibres longues), mais la qualité est médiocre. Le teillage et la vente de la récolte 2021 se déroulent pour l’essentiel sur 2022, dans un marché avec une offre limitée et peu de stocks. Sur l’année civile 2022, la production de fibres de l’UE (trois pays) se stabilise à 153 000 t. Les ventes sont assez proches (145 000 t). Le prix des fibres longues s’envole depuis l’été 2022 et atteint 4,20 € / Kg sur les 12 mois de 2022. La récolte 2021 se valorise autour de 3,75 € / Kg.
La récolte 2022 retrouve une dynamique plus habituelle
Les surfaces semées en lin retrouvent presque leur niveau de 2020, et le teillage de la récolte commence dès l’automne. La production de paille est pénalisée par des pics de chaleur précoces, mais le taux de filasse (> 20 %) et la qualité sont bons. Le rendement moyen est voisin de 1,1 t / ha de fibres longues. Le prix des fibres longues dépasse les 6,00 € / Kg sur les 12 mois de l’année civile. On peut ainsi envisager une très bonne valorisation de la récolte 2022, entre 5,00 et 6,00 € / Kg de fibres longues.
La récolte 2023 renforce la tension sur le marché du lin
Les conditions climatiques difficiles du printemps étalent et retardent les semis, puis des épisodes de sécheresse limitent la croissance du lin. Les rendements en paille chutent de 20 % en moyenne, avec un faible taux de filasse. 6 % des surfaces ne sont pas récoltées, et une bonne partie sont déclarées sinistrées auprès des assurances. Le rendement moyen national serait entre 0,5 et 0,7 t / ha de fibres longues, avec une grande hétérogénéité.
Beaucoup de lins de printemps affichent un rendement de 0,5 t / ha, tandis que les lins d’hiver s’en sortent mieux (> 1 t / ha).
Le manque de fibres longues sur un marché en demande fait s’envoler les prix qui dépassent les 8,00 € / Kg début 2024. On peut ainsi envisager une valorisation exceptionnelle (au niveau prix) de la récolte 2023, entre 6,00 et 8,00 € / Kg de fibres longues.
Par contre, au niveau de la filière, la faible production de fibres longues issues de la récolte 2023 (< 80 000 t ?) va entrainer une contraction significative des ventes sur le premier semestre 2024 (- 30 % ?), déjà perceptible.
Malgré les aléas, des marges brutes du lin lui sont très favorables
Malgré les aléas subis ces dernières années, force est de constater la très bonne résilience des performances économiques du lin.
Marges brutes lin moyennes :
- Récolte 2019 : 3 500 € / ha
- Récolte 2020 : 2 200 € / ha
- Récolte 2021 : 4 300 € / ha
- Récolte 2022 : 5 300 € / ha
- Récolte 2023 : 2 000 à 5 000 € / ha
La production de lin reste très attractive
Ces dernières années, les marges brutes lin ont été en moyenne de 3 500 € / ha, soit + 2 500 € / ha par rapport à un blé ou un colza. La production de lin reste donc très attractive, quand elle est techniquement possible. Elle permet d’améliorer les situations financières de nombre d’exploitations.
Tendances Lin Cerfrance Seine Normandie | Rendement en fibres longues (t / ha) | Prix du kg fibres longues (€ / kg) | Produit net de teillage (€ / ha) | Marge brute lin (€ / ha) |
---|---|---|---|---|
Récolte 2018 | 1,45 | 3,3 | 4 300 à 5 300 | 3 700 à 4 700 |
Récolte 2019 | 1,55 | 2,65 | 3 600 à 4 600 | 3 000 à 4 000 |
Récolte 2020 | 0,9 | 3,1 | 2 000 à 3 600 | 1 400 à 3 000 |
Récolte 2021 | 1,3 | 3,75 | 4 400 à 5 400 | 3 800 à 4 800 |
Récolte 2022 | 1,1 | 5,0 à 6,0 | 5 500 à 6 600 ? | 4 800 à 5 900 ? |
Récolte 2023 | 0,5 à 0,7 | 6,0 à 8,0 ? | 3 000 à 5 600 ? | 2 200 à 4 800 ? |
Mais cette production reste très « technique », et les résultats ne sont jamais garantis. Selon le contexte, les rendements en fibres varient du simple au double.
Pour la récolte 2023, malgré un très faible rendement moyen, les marges brutes lin seront encore largement supérieures aux marges brutes blé ou colza.
Pour la récolte 2024, les opérateurs de la filière s’attendent à une légère hausse des surfaces, à un niveau proche du record de 2020. Le lin d’hiver pourrait représenter plus de 20 % de ces surfaces. Cette hausse va être limitée par la faible disponibilité en semences. Si le climat permet un rendement moyen de 1,0 t / ha, les marges brutes moyennes du lin 2024 seront records.
Quels enjeux pour la filière lin ?
Les prix élevés : un effet favorable à court terme, mais qui fragilise la filière …
La hausse des prix des fibres matérialise le constat de l’incapacité de la filière lin à répondre ces dernières années à la demande des marchés du lin. Si cette situation est favorable à court terme aux marges brutes du lin et au revenu des liniculteurs, elle peut être une menace à moyen terme pour la filière lin.
Les filatures chinoises attendent du lin pour faire tourner leurs usines, et s’il ne vient pas, elles peuvent s’en détourner et utiliser une autre fibre, ou utiliser le lin en mélange avec une autre fibre naturelle pour limiter les prix des produits finis. Par manque de matière et du fait des prix élevés, l’industrie du luxe et les collections de prêt à porter risquent de limiter leurs séries pour les saisons à venir. Sans compter que la hausse de la matière première fragilise les entreprises de tissages récemment réimplantées en France et en Europe dont les coûts se sont envolés. De même, les marchés des composites ne sauront se développer avec les niveaux de prix actuels.
La pérennité de la filière lin passe donc par une hausse de la production française qui doit ramener les prix des fibres à des niveaux plus cohérents.
Deux enjeux identifiés comme prioritaires par la filière
Produire plus
France, Belgique et Pays-Bas doivent produire plus de 150 000 t de fibres longues par an.
Les aléas de ces dernières années font baisser les rendements moyens. Produire davantage de fibres passera donc par une hausse des surfaces en lin. Cela nécessite de disposer de suffisamment de semences de lin. Rappelons que 1 ha de lin écapsulé ne permet de semer que 5 à 10 ha de lin. La mauvaise récolte de lin 2023 limite de fait les disponibilités en semences pour la récolte 2024, pour laquelle les réapprovisionnements (pour resemis) et les choix variétaux pourraient être limités. La recherche variétale vise à obtenir des variétés adaptées aux nouvelles conditions de production.
Le lin d’hiver se développe dans les régions à plus faible potentiel. Faire face aux aléas de production passera aussi par la capacité de la filière lin à fournir aux marchés des fibres aux qualités régulières malgré la variabilité des récoltes, ce qui induit la nécessité de pouvoir stocker plus d’une année de récolte de lin, avec des capacités de stockage suffisantes.
La hausse des surfaces doit bien sûr respecter les bases agronomiques : rotation des cultures ou prise en compte du potentiel des terres. Les surfaces emblavées doivent enfin être en adéquation avec la disponibilité en matériel de récolte.
Produire mieux
Le lin a une image très positive, ancrée sur la naturalité, l’été, le « décontracté ». Il est présent à tous les niveaux de gamme. Pour sécuriser son avenir, les filateurs et les marques recherchent des garanties collectives quant aux critères de qualité et aux valeurs du lin. La filière lin, structurée dans « l’Alliance du Lin et du Chanvre européens », nouveau nom de la CELC, y répond en élargissant la certification « European Flax ». Cette marque de filière, créée en 2012 pour apporter une garantie de traçabilité à la fibre de lin premium cultivée en Europe de l’ouest, est devenue un passeport incontournable pour les entreprises certifiées de l’aval de la filière lin.
La volonté des acteurs de la filière est de renforcer la démarche RSE d’European Flax. Il est ainsi prévu en 2024 la co-construction d’un cahier des charges « amont agricole » et « teillage », basé sur les pratiques existantes et commun aux zones de production en France, Belgique et Pays-Bas. À terme, un audit sera mené par un organisme certificateur pour chaque teillage avec un échantillon de liniculteurs.
Quelques axes de recherche soutenus par Arvalis
Accompagner l’augmentation de la production de lin dans un contexte de changement climatique (besoin hydrique, lutte contre les altises …). Diminuer les recours aux intrants de synthèse (protection intégrée des cultures). Produire des fibres de qualité à la durabilité reconnue (dispositif optique et d’intelligence artificielle pour décrire les fibres de lin en sortie de teillage).
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Vous pouvez aussi relire la veille économique consacrée aux marchés du lin publiée précédemment sur notre site internet.