Climat : performances carbone et économique sont-elles liées ?
Découvrez notre veille économique présentant l’étude carbone 2023.
Les préoccupations autour de la question du climat amènent différents acteurs à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). L’agriculture française n’est pas en reste et de nombreux bilans carbone sont réalisés. Dans cette analyse menée sur des exploitations laitières, s’il est plus fréquent que performances carbone et économique aillent de pair, cela n’est toutefois pas systématique. Les exploitations qui allient performances carbone et économique ont des systèmes de production variés.
Climat : l’agriculture française a un rôle à jouer
La réduction des gaz à effet de serre (GES) : une nécessité pour le climat
Les GES régulent naturellement le climat en empêchant une partie des rayonnements solaires de repartir dans l’espace. Mais l’augmentation des émissions depuis l’ère industrielle modifie et réchauffe le climat.
L’Accord de Paris sur le climat, traité international adopté en 2015, poursuit l’objectif de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2°C en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle, et si possible à 1,5°C, en réduisant considérablement les émissions mondiales de GES.
L’Union Européenne (UE) a pris l’engagement de réduire les émissions d’au moins 55 % d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Agir sans tarder :
D’après le dernier rapport du GIEC (mars 2023), le niveau de réchauffement global de 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle sera atteint dès le début des années 2030. Limiter le réchauffement global à 1,5°C nécessite un pic des émissions en 2025 au plus tard puis une décroissance jusqu’à atteindre la neutralité carbone en 2050.
Un sujet d’actualité sociétale, politique, économique en France
En France, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) donne des orientations pour mettre en œuvre, dans tous les secteurs d’activité, la transition vers une économie bas-carbone. D’après le rapport du Secten 2022 du Citepa, les émissions de GES du secteur agricole ont diminué de 12 % entre 1990 et 2020. Mais cette baisse est principalement imputable à :
- la diminution de la taille du cheptel bovin (animaux moins nombreux mais plus productifs) ;
- la baisse de la fertilisation azotée en culture.
Depuis 2015, la réduction des émissions de GES du secteur de l’agriculture est en phase avec l’objectif de la Stratégie nationale bas-carbone.
Les entreprises employant plus de 500 salariés doivent de réaliser un bilan d’émissions (BEGES) incluant un plan d’action régulièrement révisé. Depuis 2023, celui-ci doit inclure, en plus des activités de l’entreprise, ses activités en amont et en aval. Pour un industriel ou une coopérative laitière de plus de 500 salariés, cela se traduit par exemple par la prise en compte des émissions de GES du lait produit par les éleveurs. La production représente donc le poste principal d’émission de GES de la filière laitière, qui est engagée sur le bas-carbone.
Au niveau de la grande distribution, Carrefour a annoncé fin 2022 demander à ses 100 principaux fournisseurs d’être engagés sur une trajectoire 1,5°C d’ici 2026 sous peine de déréférencement.
Les Français sensibilisés :
D’après le dernier baromètre « Les représentations sociétales du changement climatique » dévoilé par l’ADEME à l’automne 2022, les préoccupations sur le changement climatique arrivent en second, derrière la hausse des prix. Le réchauffement climatique s’affirme comme première préoccupation environnementale. L’ADEME met également à disposition du grand public un simulateur d’empreinte carbone : https://nosgestesclimat.fr/.
Agriculture : 21 % des émissions françaises de GES
Trois types de GES sont alors visés pour l’agriculture :
- le méthane (CH4),
- le protoxyde d’azote (N2O)
- le dioxyde de carbone (CO2).
Chacun a un impact sur le climat, différent en intensité et dans le temps. Afin de mesurer leur impact global, leurs émissions s’expriment en équivalent CO2, prenant en compte leur pouvoir de réchauffement global propre à 100 ans. Selon le Citepa, 49 % de ces émissions agricoles concernent l’élevage, 38 % les cultures et 13 % les engins, moteurs et chaudières.
Réduire les émissions en stockant le carbone dans les sols
Aux côtés du secteur forestier, le secteur agricole est aussi capteur de GES grâce à la photosynthèse, notamment via les prairies. Le stockage du carbone se fait dans la biomasse et dans les sols par l’accumulation de matière organique. La capacité de stockage permet de réduire l’empreinte carbone.
Toujours plus de bilans carbone en agriculture
De nombreux agriculteurs, encouragés par des financeurs publics ou privés, réalisent un bilan carbone. Celui-ci prend alors en compte :
- les émissions directes (provenant de l’activité de l’exploitation) ;
- les émissions indirectes (provenant de l’extérieur : aliments achetés, engrais…) ;
- le stockage de carbone.
Afin d’être analysables et comparables, ces indicateurs sont alors ramenés à un dénominateur commun :
- hectare,
- kilo de viande vendu,
- litre de lait vendu, etc.
Certains agriculteurs s’engagent sur un plan d’action pour réduire leur empreinte carbone et générer ainsi des crédits carbone. Ces derniers peuvent bénéficier d’une rémunération.Si l’impact économique est également au rendez-vous, l’intérêt n’en sera que plus grand.
La performance carbone est un des critères environnementaux. Mais il n’est pas le seul (eau, sol, air, biodiversité…).
En production laitière, les premiers résultats montrent que performances carbone et économique vont plutôt de pair
Les indicateurs du bilan carbone et les données économiques de 288 exploitations laitières ont été analysés. En moyenne, elles émettent 1,07 kg éq.CO2/L, stockent 0,10 kg et ont donc une empreinte carbone de 0,97 kg éq.CO2 /L.
La marge aux 1 000 litres de l’atelier lait se trouve plus élevée dans les exploitations ayant une faible empreinte carbone (voir ci-contre). Cela s’explique essentiellement par le coût alimentaire. Les exploitations avec un faible coût alimentaire sont en effet surreprésentées dans le quart des exploitations avec l’empreinte carbone la plus faible. L’alimentation du troupeau peut en effet être un levier à la fois économique et carbone de performance (cf. « Les leviers pour diminuer l’empreinte carbone des exploitations laitières« ).
Les exploitations qui dégagent un bon niveau de marge brute globale sur produit brut ont en moyenne une empreinte carbone plus faible. En effet, plus le taux de marge brute globale augmente par rapport au produit brut d’exploitation, moins la part de charges opérationnelles, et donc d’intrants, source d’émissions carbone indirectes, est conséquente.
Dans les exploitations avec une faible empreinte carbone sur le lait, la part des exploitations avec une bonne performance économique (mesurée au travers du ratio valeur ajoutée / produit brut d’exploitation (hors aides)) tend à alors être un peu plus forte.
L’analyse met aussi en évidence la dispersion des données : une bonne performance carbone ne se traduit pas systématiquement par une bonne performance économique (même si celle-ci est plus fréquente), et vice-versa
Les exploitations qui allient à la fois performance carbone et performance économique sont diverses
20 exploitations sont à la fois parmi les 25 % meilleures sur la performance carbone (empreinte carbone <0,88 kg éq. CO2/L) et parmi les 25 % meilleures sur la performance économique (ratio valeur ajoutée / produit brut (hors aides) ≥ 35 %). Il s’avère que ces exploitations sont diverses, par leur taille et leur système de production (niveau de chargement, de production laitière, part de maïs / SFP). Ainsi, des exploitations aux systèmes de production variés atteignent à la fois de bons niveaux de performances carbone et économique au moment du diagnostic carbone.
Les leviers pour diminuer l’empreinte carbone des exploitations laitières
Deux types de leviers se dégagent des plans d’action carbone : l’optimisation du système d’élevage existant ou son évolution. L’optimisation technique est alors primordiale pour atteindre une bonne performance carbone. Cela implique donc l’utilisation de leviers tels que :
- la réduction de l’âge au vêlage des génisses,
- l’amélioration de la performance génétique,
- davantage de prairies dans la rotation et l’allongement de leur durée de vie,
- la réduction de l’effectif de renouvellement du troupeau.
L’évolution du système, quant à elle, recouvre :
- l’introduction ou l’augmentation du pâturage,
- la recherche d’autonomie protéique,
- l’augmentation de la surface en prairies permanentes.
Gain carbone médian sur cinq ans pour les exploitations laitières
Réduction d’émissions | Stockage carbone | Gain carbone |
---|---|---|
789 T équ. CO2 | 21 T équ. CO2 | 817 T équ. CO2L |
Le diagramme ci-contre souligne la particularité des gains carbone sur un élevage laitier. La part de la production de viande représente une partie mineure des émissions d’une exploitation laitière. Cependant, les leviers d’optimisation de la conduite de troupeau mais également ceux visant à engraisser les réformes ou des veaux laitiers représentent une majeure partie des réductions d’émissions.
Exploitations à stratégie extensive : tirer le meilleur du pâturage
Les exploitations à stratégie extensive débutent des projets de valorisation de crédits carbone via des systèmes herbagers, pâturants ou autonomes. Les gains de méthane proviennent principalement de la production de viande de génisses, avec des âges de vêlage plutôt élevés (31 mois en moyenne) visant 28 mois, ajustables selon les stratégies. La substitution de correcteurs à base de soja par du colza et l’amélioration du pâturage sont courantes. L’amélioration de la diversité des espèces dans la prairie en rotation et sa longévité sont également travaillées, entraînant un gain carbone plus marqué par rapport aux exploitations intensives. Cela correspond à une baisse des émissions des GES exprimée en kg équivalent CO2/L de lait produit mais aussi à une augmentation du stockage de carbone dans les sols par les prairies.
Exploitations à stratégie intensive : optimiser tout le système
La forte production laitière par vache maximise les facteurs de production. Cela permet alors de diluer les émissions de carbone de l’animal grâce à un volume important de lait.
Les exploitations intensives maximisent la surface fourragère. Elles sont alors souvent en manque de stocks. Pour réduire leur empreinte carbone, elles réduisent la part de maïs au profit de prairies en rotation productives et durables. La fertilisation minérale est optimisée. La stratégie bas-carbone repose sur l’expression du potentiel de production grâce à des révisions de rations, robots de traite ou nouvelles cultures. L’âge au vêlage, souvent à 28 mois, vise alors un objectif à 24 mois, dans une logique d’optimisation de l’existant.
Méthode
L’analyse des performances carbone et économique porte sur 288 exploitations laitières du périmètre de l’Atelier des études*.
- Il s’agit essentiellement d’exploitations normandes (79 %).
- Les bilans carbone ont été établis entre avril 2020 et juin 2023. Pour être comparables, les données carbone analysées sont celles de la production laitière, rapportées au litrage vendu par l’exploitation.
- Les données économiques retenues sont celles de l’exercice comptable qui précède la réalisation du diagnostic.
L’analyse des leviers pour diminuer l’empreinte carbone des exploitations laitières est réalisée sur 196 exploitations engagées sur un appel à projets France Carbon Agri. Quant à l’analyse du potentiel de réduction en fonction du système d’exploitation, elle concerne 167 exploitations.
Le système d’exploitation est alors qualifié en fonction du chargement, la médiane se situant à 1,9 UGB/ha SFP :
- Extensifs (moins de 1,9 UGB/ha) : chargement médian de 1,55 UGB/ha de SFP, part médiane d’herbe dans la SFP : 63 %
- Intensifs (plus de 1,9 UGB/ha) : chargement médian de 2,31 UGB/ha de SFP, part médiane d’herbe dans la SFP : 54 %.
*Voici la liste des Cerfrance concernés :
- Normandie-Ouest,
- Orne,
- Seine-Normandie,
- Mayenne-Sarthe,
- Loire-Atlantique,
- Vendée,
- Maine-et-Loire,
- Champagne Nord Est Ile de France,
- Picardie Nord de Seine,
- Nord-Pas-de-Calais,
- AVM Convergence
Sources de l’étude carbone 2023
https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/climate-change/paris-agreement/
https://www.citepa.org/fr/secten/
https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/19092_strategie-carbone-FR_oct-20.pdf
https://www.ecologie.gouv.fr/decret-bilan-des-emissions-gaz-effet-serre-beges
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/20250_4pages-GIEC-2.pdf
https://presse.ademe.fr/2022/11/barometre-les-representations-sociales-du-changement-climatique-2022-les-francais-de-plus-en-plus-pessimistes-quant-au-rechauffement-climatique-et-enclins-a-plus-de-sobriete-dans-leur-quotidien.html
L’étude Carbone 2023 – L’observatoire climat – Performances carbone et économique d’octobre 2023 est intégralement téléchargeable ci dessous :
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