Novembre 2023 de la fourche à la fourchette : alternatives aux viandes et aux produits laitiers, robotisation, fonds de garantie pour les agriculteurs et changement climatique
Au sommaire de notre dernière publication de la fourche à la fourchette de novembre 2023 :
- Alternatives aux viandes et produits laitiers issus d’animaux d’élevage
- La robotisation en agriculture progresse
- Un nouveau fonds de garantie pour les agriculteurs
- Concilier adaptation au changement climatique et réalité économique des entreprises agricoles
Alternatives aux viandes et produits laitiers issus d’animaux d’élevage
À l’heure de la maitrise des émissions de gaz à effet de serre en agriculture, via la réduction de l’empreinte carbone en élevage, plusieurs entreprises ont annoncé la découverte de processus leur permettant de produire artificiellement de la viande ou des produits laitiers sans animaux.
Récemment, la start-up tchèque Bene Meat a revendiqué avoir obtenu l’agrément de l’Union Européenne pour la production de viande de laboratoire, destinée à l’alimentation des chiens et des chats. Aux États-Unis, deux entreprises ont été autorisées en 2022 à produire de la viande cultivée à partir de cellules, pour l’alimentation humaine. Mais Singapour avait été la première à autoriser en 2020 la commercialisation de nuggets de poulet fabriqués en laboratoire par la start-up américaine Eat Just. Leur méthode consiste alors à nourrir et à multiplier des cellules souches dans un milieu aseptisé et contrôlé (incubateur) jusqu’à obtenir des fibres musculaires.
Il existe également un autre procédé utilisé : la fermentation dite de précision. Il s’agit alors d’inoculer à des bactéries des gènes d’animaux capables de produire des protéines, et de multiplier ces bactéries en laboratoire. De nombreuses start-up, américaines, européennes ou israéliennes, se sont lancées sur le marché des protéines laitières comme la caséine ou la lactoferrine. Ces entreprises répondent alors à des tendances de consommation en développement sur des produits à forte valeur ajoutée :
- poudres de lait à haute concentration de protéines,
- produits cosmétiques,
- alimentation protéinée,
- préparations infantiles,
- mélanges nutritionnels…
Si le modèle économique de ces entreprises sur la production à grande échelle questionne encore (acceptation du consommateur, coût de l’énergie), elles parient aussi sur le renchérissement à long terme de la matière première (lait et viande) pour les industries agro-alimentaires classiques, lié :
- au coût des engrais et de l’aliment,
- aux impacts climatiques sur les rendements,
- à la guerre potentielle entre collecteurs face à la réduction de la production de lait et de viande en Europe.
Elles bénéficient par ailleurs du soutien des défenseurs du bien-être animal, opposés à toute forme d’exploitation des animaux.
C’est pourquoi de grandes entreprises, comme la plupart des laiteries mondiales, s’intéressent de près à ces alternatives. Elles vont jusqu’à financer ces start-up et à développer des gammes de produits complémentaires à leurs fabrications traditionnelles. Face à l’urgence de la lutte contre le changement climatique, et face à la lenteur des changements d’habitudes alimentaires, les alternatives aux viandes et au lait issus d’animaux d’élevage constituent une option supplémentaire.
La robotisation en agriculture progresse
L’Observatoire des usages du numérique en agriculture a publié en mai dernier une infographie sur les évolutions de la robotique agricole en France entre 2018 et 2023.
En production végétale, le nombre de robots agricoles est estimé à 600. Il y a donc une multiplication par six en cinq ans ! Près de 90 % d’entre eux se concentrent dans les exploitations de viticulture ou de maraichage. Ils sont utilisés principalement pour le désherbage, le travail du sol et le semis.
Les grandes cultures ou l’horticulture restent pour le moment à l’écart de ce développement.
Ceci s’explique sans doute par un développement plus récent des robots en production végétale. Même si le nombre de modèles différents proposés à la commercialisation a été multiplié par cinq entre 2018 et 2023.
En production animale, la robotisation est plus ancienne. Puisque, en 2018, le nombre de robot était déjà de 10 000, contre 18 000 cinq ans plus tard. La traite des vaches absorbe les ¾ de ces robots. Les autres types de robots sont également utilisés en élevage bovin : racleurs, aspirateurs de lisier, robot d’alimentation, repousse-fourrage etc. L’usage des robots en élevage porcin ou avicole reste anecdotique.
L’observatoire liste enfin les facteurs propices et les freins à l’adoption d’un robot. Une des motivations principales pour cet équipement repose sur :
- le manque de main d’œuvre dans les exploitations ;
- la recherche d’un meilleur confort de travail.
Le besoin d’analyser avec précision la santé des animaux ou des plantes justifient aussi le recours aux capteurs des robots. Enfin, la protection de l’environnement (alternative au désherbage chimique par exemple) explique l’acquisition d’un robot. À l’inverse, les coûts d’achat et de maintenance constituent le frein principal. Le besoin de formation des agriculteurs et parfois la nécessaire adaptation de l’exploitation au robot (bâtiments, parcellaire) entravent certains projets d’acquisition. Les aspects réglementaires peuvent également limiter le développement de la robotisation :
- sécurité des travailleurs,
- cahiers des charges interdisant l’usage de certains robots,
- déplacements des robots interdits sur route, etc.
Pour pallier à ces contraintes, des innovations voient le jour. L’entreprise Naïo Techno-logies a, par exemple, proposé lors du dernier salon du machinisme Agritechnica l’autonomie « augmentée » sur ses robots. C’est-à-dire la possibilité pour un robot de travailler en autonomie sur une parcelle sans avoir besoin d’une infrastructure fixe à proximité.
Le Ministère de l’Agriculture a identifié la robotique agricole comme l’un des piliers de la transition agro-écologique, aux côtés du numérique, des solutions de biocontrôle et de la sélection variétale.
Un nouveau fonds de garantie pour les agriculteurs
En septembre dernier, dans notre dernier numéro de la Fourche à la fourchette, nous faisions état des premières annonces du projet de loi d’orientation agricole (PLOA) par le Ministre de l’Agriculture.
Marc Fesneau a précisé le 8 novembre les contours du fonds de garantie. Il s’agit de faciliter le financement des capitaux nécessaires :
- d’une part aux adaptations des exploitations au changement climatique,
- d’autre part à l’installation de nouveaux agriculteurs pour faire face au renouvellement des générations.
Concrètement, l’État garantira jusqu’à deux milliards d’euros de prêts, dont 400 millions « au minimum » seront fléchés vers l’élevage. Cette garantie permettra à l’État de prendre en charge le remboursement du prêt auprès de certaines banques conventionnées si l’agriculteur fait défaut. À ce stade, toutes les filières agricoles sont concernées.
Cette mesure a été intégrée au projet de loi de finance 2024 adopté par l’Assemblée nationale le 9 novembre dernier. Reste à préciser dans un décret d’application les modalités de déploiement de ce fonds :
- quotité garantie,
- durée minimale du prêt,
- modalités d’amortissement,
- coût, etc.
Concilier adaptation au changement climatique et réalité économique des entreprises agricoles
En marge du Varenne de l’eau, le Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces Ruraux (CGAAER) s’est interrogé sur la façon d’initier, de développer et d’accompagner les transitions des systèmes de production agricole face au changement climatique.
Des impacts certains sur les rendements
Le CGAAER dresse dans un premier temps les impacts du changement climatique sur l’agriculture :
- l’accélération du nombre d’aléas climatiques,
- la hausse des températures,
- la diminution de la ressource en eau.
L’impact est variable selon les régions mais certain sur les rendements.
L’indice ISOP (information et suivi objectif des prairies) montre par exemple une augmentation de la fréquence des déficits fourragers, d’autant plus marquée dans les régions du Sud de la France. L’augmentation de l’évapotranspiration sous l’effet de la hausse des températures, combinée à la diminution des précipitations estivales, va conduire à une forte aggravation du stress hydrique des cultures. À l’inverse, la hausse des précipitations en hiver, avec parfois des phénomènes extrêmes, va limiter l’oxygénation des systèmes racinaires. L’affaiblissement des plantes et l’arrivée de nouveaux pathogènes vont multiplier les attaques parasitaires sur les cultures. Les améliorations génétiques ne seront pas en mesure de compenser suffisamment rapidement ces phénomènes. Enfin les rendements seront donc nécessairement affectés.
Des leviers de résilience connus
Avec l’appui des travaux de recherche de l’INRAE, mais aussi des pratiques relevées sur le terrain, le CGAAER liste ensuite un ensemble de leviers d’adaptation autour de :
- la gestion de la ressource en eau avec :
- l’amélioration de l’efficience de l’irrigation,
- le stockage de l’eau en période de hautes eaux via des retenues,
- la génétique et la sélection variétale, même si ce sont des processus longs,
- la transformation des pratiques culturales, avec
- des itinéraires techniques renforçant la structure du sol et sa capacité à stocker l’eau,
- la diversification des assolements et des rotations afin de répartir le risque sanitaire et le risque économique,
- la mobilisation des auxiliaires naturels des cultures, etc.
Des impératifs économiques à court terme
Néanmoins, si la prise de conscience des impacts du changement climatique semble réelle chez les agriculteurs et les leviers connus par eux. Force est de constater que les choix effectués par les agriculteurs sont guidés avant tout par les impératifs économiques à court terme :
- de leur entreprise
- et des filières qu’ils intègrent.
Tout changement profond dans un système de cultures équivaut à une prise de risque agronomique et économique que les agriculteurs ont des difficultés à apprécier dans un contexte géopolitique et climatique de plus en plus instable.
L’exemple des protéagineux illustre cette contradiction. Malgré les dispositifs d’aides mis en place, les surfaces ont baissé de près de 20 % entre 2020 et 2022 alors que l’objectif était de les doubler entre 2020 et 2030. En débit d’un intérêt agronomique certain, la production n’est pas jugée suffisamment compétitive, eu égard :
- aux rendements faibles et fluctuants,
- à des prix insuffisamment rémunérateurs,
- au manque de solutions phytosanitaires.
Auxquels, il faut ajouter une structuration de la filière encore insuffisante.
Il existe donc une contradiction, au moins apparente, entre la nécessité d’assurer une rentabilité économique sur l’année, et d’anticiper dès maintenant les impacts du changement climatique par des ruptures techniques des systèmes d’exploitation.
Un accompagnement nécessaire
À l’instar de l’agriculture biologique que l’État et l’Union Européenne ont favorisé par un dispositif financier important pendant la phase de conversion des exploitations, le CGAAER préconise un nouvel accompagnement pour « absorber le choc et sécuriser la prise de risque inhérente aux changements ».
Malgré l’absence de chiffrage précis du coût de la transition pour l’agriculture française, de nombreux outils d’accompagnement et de sécurisation existent déjà pour les agriculteurs :
- contractualisation avec le 1er acheteur et/ou la grande distribution,
- rémunération par le marché du carbone,
- financements publics tels que la PAC via ses éco-régimes ou les MAEC,
- plans nationaux d’investissements, etc.
Le cas des protéagineux montre toutefois qu’un plan d’aides qui vise à prendre en charge temporairement des surcoûts n’est pas suffisant. Pour impulser un changement pérenne dans les pratiques, les professionnels s’accordent sur la nécessaire rémunération des services environnementaux rendus par l’agriculture. Or ces services, pour être pris en charge par la collectivité, doivent être mieux connus.
Sans se positionner sur les arbitrages relatifs au financement de cette transition, le CGAAER pointe les spécificités de l’agriculture pour bénéficier de ces financements, à la fois en tant qu’émettrice de GES, stockage de carbone et garante de la souveraineté alimentaire.
Aussi, le CGAAER préconise la mobilisation de tous les leviers de financement existants, tout en souhaitant leur évolution, et complétés par de nouveaux outils.
Des outils financiers à mobiliser
- Rehausser l’éco-régime PAC au-delà des 25 % de l’enveloppe des paiements directs, en l’orientant sur la neutralité carbone,
- Adapter et amplifier les paiements pour services environnementaux, en cohérence avec la PAC,
- Sanctuariser des fonds issus de la fiscalité sur les énergies fossiles (sur le GNR, redevance sur les engrais azotés, future « TVA climat » ?) pour le financement des actions et des investissements de maitrise des émissions de GES et d’adaptation des exploitations,
- Obliger les entreprises fortement émettrices de GES (comme les compagnies aériennes) à les compenser par des projets agricoles et forestiers,
- Préparer l’agriculture à un accès au crédit conditionné au financement de pratiques plus vertueuses.
Mais aussi un accompagnement technique sur le terrain
La mobilisation des acteurs de terrain accompagnant traditionnellement les agriculteurs est nécessaire, afin de définir au mieux les adaptations nécessaires au sein de chaque exploitation. L’approche territoriale qui prend en compte les facteurs pédoclimatiques, la situation des ressources naturelles, l’eau en particulier, et la structuration des filières, peut permettre de définir les cultures les plus adaptées à chaque territoire au regard du changement climatique. L’évolution de l’activité agricole doit donc être pensée à l’échelle territoriale la plus pertinente.
Fourche à la fourchette novembre 2023 – sources
Alternatives aux viandes et produits laitiers issus d’animaux d’élevage
Ouest France : La viande artificielle
AGRA : Première autorisation de la viande in vitro
Télérama : Des bactéries pour nourrir la planète ? Article de Weronicka Zarachowicz, n° 3822
La robotisation en agriculture progresse
AGROTIC : Observatoire robotisation
Ministère de l’agriculture : La robotique agricole
AGRA : Agrafil du 16 novembre 2023
Un nouveau fonds de garantie pour les agriculteurs
Ministère de l’agriculture : Pacte d’orientation et d’avenir agricoles
La France Agricole : Deux millards d’euros de garantie de prêt
Concilier adaptation au changement climatique et réalité économique des entreprises agricoles
Ministère de l’agriculture : Varenne de l’eau