De la fourche à la fourchette, décembre 2022 : Ukraine, label « Bienvenue à la ferme », COP27 et agriculture française
Au sommaire de la fourche à la fourchette du mois de décembre 2022, retrouvez :
- Le fort impact de la situation Ukraine sur le secteur des céréales
- Le Label « Bienvenue à la ferme » déploie ses magasins
- COP27 : l’agriculture thème majeur au coeur des débats
- Où va l’agriculture française ?
Le fort impact de la situation en Ukraine sur le secteur des céréales
Les ports ukrainiens de la mer Noire restent la cible principale de l’agression russe. Les conséquences catastrophiques de ce blocus ont été limitées par la signature le 22 juillet 2022 à Istanbul d’un accord entre la Russie et l’Ukraine pour laisser sortir les bateaux de ces ports et créer ainsi un « grain corridor » sous l’égide des Nations-Unies. Mais cet accord reste très fragile comme il a été constaté fin octobre. Il est critiqué en permanence par les moscovites pour toutes sortes de raisons. Contrairement à ce qui leur avait été promis, ces exportations vont principalement vers la Turquie et les pays d’Europe et non vers les pays les plus pauvres. Cet accord prévoyait la levée des sanctions sur les exportations céréalières et d’engrais russes. Mais, celles-ci restent très difficiles du fait des sanctions qui n’ont pas été levées sur les compagnies de transport ou d’assurances.
Les exportations de céréales de l’Ukraine
Dans ce contexte, les marchés du blé sont très sensibles aux nouvelles concernant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les deux pays figurant parmi les principaux exportateurs de blé du monde. La mise en place du corridor de la mer Noire a alors permis l’expédition depuis les ports ukrainiens de plus de onze millions de tonnes de céréales et d’oléagineux. Elle a également permis ces derniers mois de stabiliser les marchés et de faire baisser les prix. Ces derniers avaient auparavant atteint des niveaux record. Malgré les menaces de la Russie début novembre, les céréales ukrainiennes continuent de quitter les ports du pays en direction de la Turquie.
À ce jour, les Russes ont détruit ou fortement endommagé un silo-élévateur sur six en Ukraine. Il est difficile de stocker la récolte 2022, pourtant limitée à 63 millions de tonnes, étant donné que les possibilités d’exportation restent limitées et précaires. Aujourd’hui, en Ukraine, on voit se développer tous les types de stockage, parfois dans des conditions un peu « limite ». D’où un risque accru de déclassification des graines récoltées que l’on constate déjà sur le terrain
Une récolte ukrainienne impactée avec une baisse de récolte proche de 45 %
Cette récolte limitée et les efforts internationaux pour trouver des débouchés par barge, par le rail ou par la route vont donc limiter les conséquences négatives pour écouler la récolte 2022. Mais les plus gros problèmes sont à venir. Les conditions climatiques étant moins favorables, la rentabilité des agriculteurs, déjà mise à mal par des engrais plus chers et un prix d’achat des céréales abaissé, va davantage encore être pénalisée. Les emblavements sont diminués de 20 % pour 2023. La récolte de blé 2023 pourrait être alors limitée à 15 millions de tonnes avec une chute des rendements (faute d’apport d’engrais).
Les challenges créés par le conflit sont nombreux :
- blocage des exportations,
- problèmes logistiques, manque de stockage, manque de personnel car beaucoup d’hommes sont mobilisés,
- fort renchérissement des intrants (semences, engrais, produits phytosanitaires),
- manque de diesel,
- plus de capacité de financement,
- quatre millions d’hectares minés (soit à peu près le dixième de la surface cultivable de la grande plaine ukrainienne),
- et la guerre est loin d’être terminée.
Les marchés vont donc rester sensibles un certain temps !
Le label « Bienvenue à la ferme » déploie ses magasins sur nos territoires
Le réseau Bienvenue à la Ferme a été créé en 1988 par les chambres d’agriculture. Il a pour objectif de devenir le premier réseau de magasins en circuit court en France. En un an, cinq magasins sont sortis de terre. Il y en a quatre sur le territoire Normandie-Maine : Craon (Mayenne), Argentan (Orne), Ménilles (Eure) et Saint-Martin-en-Campagne (Seine-Maritime). Douze ouvertures sont également annoncées dans l’Ouest sur 2023, avec un objectif de 100 magasins en 2025.
La période Covid a été bénéfique pour les produits locaux. En plus du circuit court, l’enseigne favorise la proximité ainsi que les produits frais et de saison. Fruits, légumes, produits laitiers, … Chaque boutique propose environ 1 500 références fournies par plus d’une centaine de producteurs selon un strict cahier des charges. L’idée, c’est de regrouper dans un même lieu tous les produits que le consommateur irait normalement chercher à droite à gauche avec sa voiture, à des prix raisonnés parce qu’on est en proximité. La priorité est donc donnée aux agriculteurs adhérents au label Bienvenue à la ferme.
Depuis le Covid, de nombreuses initiatives ont été mises en place avec le développement de marchés de producteurs ou de magasins de producteurs.
Avec l’inflation, les consommateurs ont tendance à se tourner vers des produits alimentaires moins chers, et à délaisser le bio notamment. La recherche des produits locaux tient encore malgré une hausse des prix.
Les consommateurs restent vigilants à la traçabilité et à l’origine de leur alimentation
COP27 : l’agriculture, thème majeur au cœur des débats
La COP27 devait accorder une place centrale aux questions agricoles et alimentaires. Mais, elle a été reléguée au second plan des négociations. Pendant cinq ans, les États ont travaillé sur des chantiers thématiques, dont l’élevage, le carbone, ou l’évaluation de l’adaptation qui ont été évoqués à la COP27. Selon un brouillon d’une déclaration publié mi-novembre, les agriculteurs ont un rôle central défini comme les « gardiens de la terre ». En matière d’élevage, le document met en valeur les systèmes herbagers et le stock de carbone associé, en saluant leur rôle pour « atteindre les objectifs climatiques de long terme ». Le texte estime aussi que « l’utilisation optimisée des nutriments, dont les engrais organiques et une gestion améliorée des déjections, seront au cœur de l’agriculture résiliente ».
Une autre note de travail, rédigée par le secrétariat de la Convention des Nations Unies sur le climat, évoque de son côté trois « fronts » pour avancer vers des systèmes durables. Il s’agit :
- d’augmenter la productivité en améliorant la préparation aux crises,
- réduire le gaspillage alimentaire, et revoir la consommation, notamment en « abaissant la consommation de viande », et en allant vers des variétés végétales « plus locales ».
- La protection du carbone ou de la santé des sols doit être envisagée de manière à permettre « d’accroître la productivité », en misant sur la technologie et l’innovation. « Alors même que de nombreuses associations et organisations paysannes mettent l’agroécologie en œuvre sur le terrain, trop d’États refusent d’inscrire cette notion dans les textes de COP ».
Au final, il a été fait une déclaration appelant à une réduction « rapide » des émissions de gaz à effet de serre et réaffirmant l’objectif de contenir le réchauffement à 1,5 °C. Le détail des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir n’a toutefois pas été précisé. À suivre.
Où va l’agriculture française ?
Une perte de compétitivité de la France dans l’économie agricole mondiale
En 20 ans, la France est passée du 2e rang au 5e rang des exportateurs mondiaux de produits agricoles. Un rapport sénatorial publié le 28 septembre 2022 s’inquiète de la baisse du potentiel agricole français.
Selon ce rapport sur la compétitivité de la « Ferme France », les évolutions de l’excédent commercial agricole ces dernières années ne s’expliquent que par une hausse des prix sur les marchés internationaux plus rapide que les baisses des volumes exportés. Cette diminution des exportations s’explique en grande partie par la perte de compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires.
Les produits agricoles et agroalimentaires représentent encore le troisième excédent français à l’exportation. Et, la France reste le principal producteur agricole européen. Cependant, ses exportations augmentent moins vite que ses importations, qui représentent maintenant près de la moitié de notre alimentation.
Les produits des marchés « cœur de gamme » de plus en plus importés
La France demeure le principal producteur européen avec près de 17 % de la production totale du continent, loin devant l’Allemagne et l’Italie.
Pourtant, l’agriculture française poursuivrait sa lente érosion notamment avec une augmentation des produits importés dans de nombreux secteurs. La plupart des secteurs sont concernés :
- Un poulet sur deux consommés en France est importé ;
- 56 % de la viande ovine consommée en France est d’origine importée ;
- 28 % de la consommation de légumes et 71 % de la consommation de fruits sont importés.
Selon le rapport, 70 % des pertes de parts de marché s’expliquent par la perte de compétitivité par rapport aux autres pays producteurs. Celle-ci tient entre autres :
- au coût du travail dans le secteur agroalimentaire ;
- au niveau élevé d’exigence des politiques environnementales ;
- à la taille des exploitations, en moyenne plus petites que celles des concurrents et à la fiscalité de production.
Ces coûts supplémentaires pour le monde agricole français ne sont pas compensés par une évolution aussi rapide de la productivité globale des facteurs de production.
Dans un contexte de guerre en Ukraine qui met en avant la nécessité de maintenir la souveraineté alimentaire, le rapport s’interroge sur l’ambition gouvernementale du « tout montée en gamme ». Il estime que cette stratégie qualitative est inadaptée à la baisse actuelle du pouvoir d’achat et à la hausse des prix. Les marchés « cœur de gamme », les plus consommés par les Français sur le marché intérieur, sont de plus en plus occupés par les produits d’importation. Le marché du bio subit particulièrement ce contexte.
L’agriculture en mouvement perpétuel
Le rapport souligne que l’agriculture évolue sans cesse avec :
- des surfaces en diminution régulière,
- l’agrandissement des exploitations,
- des capitaux investis en augmentation,
- des outils de production de plus en plus performants,
- le tout face à une demande des consommateurs qui change de plus en plus vite, …
Depuis plus d’un demi-siècle, elle s’est transformée et modernisée et devra continuer à s’adapter face aux nouveaux défis de demain.
Les inéluctables changements climatiques s’accompagnent de dérèglements locaux, et peuvent expliquer le plafonnement des rendements de plusieurs cultures. La demande des marchés français, européens et internationaux évolue vite, ce qui ne facilite pas les anticipations. La concurrence européenne et internationale s’accroit rapidement et agressivement. La volatilité des prix de vente et des intrants augmente.
S’adapter aux attentes des consommateurs et des citoyens
D’après le rapport, les Français veulent protéger leur pouvoir d’achat. Mais ils sont également soucieux de leur santé et donc de la qualité sanitaire des produits qu’ils consomment. Ils sont devenus très attentifs à la :
- protection de la planète ;
- possibilité d’accéder à des prix bas pour tous ;
- mise à disposition de produits sains, locaux et peu transformés ;
- contestation des méthodes de travail des agriculteurs, notamment l’usage de pesticides et la réduction de l’émission de gaz à effet de serre dans le secteur agricole.
Maîtriser les charges de production, innover en environnement, protéger l’agriculture française de la concurrence
Protéger les sols et les eaux, respecter la biodiversité, améliorer le bien-être animal et lutter contre le réchauffement climatique, tout en produisant des aliments sains et bon marché, constituent un challenge difficile. Selon le rapport, depuis deux ou trois générations, le métier d’agriculteur reposait sur l’accroissement des rendements et de la productivité du travail. Or, cette seule reproduction du passé ne suffit plus. Il va donc falloir remettre en question toutes les certitudes, et innover dans un monde qui change vite.
Se préparer aux changements
D’après le rapport, les agriculteurs français ont acquis une grande expérience professionnelle. C’est un atout qu’il faut préserver et valoriser. L’agriculture française a su aussi tirer profit de la spécialisation des différentes régions ou terroirs. Cette spécialisation est née des conditions naturelles et de l’acquis du passé. Dans ce contexte, les producteurs doivent donc continuer de faire ce qu’ils savent bien faire. Néanmoins, d’importants changements se produiront dans les toutes prochaines années : il faut donc s’y préparer.
Le niveau des prix de marché reste déterminant pour tous les agriculteurs. Or ces prix semblent orientés à la hausse pour le futur. Cette tendance longue n’exclut toutefois ni une grande volatilité ni une recomposition entre les différentes productions. Ce sont des facteurs d’incertitudes pour tous les producteurs. Les agriculteurs français doivent rester confiants pour l’avenir de leur métier, malgré des changements importants dans leurs exploitations et dans leurs modes de production. Il en va de la sécurité alimentaire et de la paix dans le monde.
Réalisation : Laurence Cadon – Cerfrance Orne, pour l’Atelier des études économiques, veille et prospective de Cerfrance Normandie Maine.
Sources de la fouche à la fourchette de décembre 2022
Le fort impact de la situation UKRAINE sur le secteur des céréales
20 minutes – Guerre en Ukraine : Exportations de céréales, pas de « bombe sale »… Une semaine de tensions en quatre infographies
Le label « Bienvenue à la ferme » déploie ses magasins
COP27 : l’agriculture thème majeur au cœur des débats
Où va l’agriculture française ?
https://www.vie-publique.fr/en-bref/286593-agriculture-francaise-une-puissance-mondiale-qui-decline
https://www.agriculture-strategies.eu/2022/11/perte-de-competitivite-de-la-ferme-france-la-faute-a-la-politique-de-montee-en-gamme/https://www.francebleu.fr/emissions/le-dossier-de-terre-de-touraine/touraine/terre-de-touraine-33
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