Le lin : une culture résiliente dans un marché porteur
Le lin est une culture résiliente dans un marché porteur. Cette culture sort d’une tempête d’aléas : commercialisation de la récolte 2019 impactée par la Covid, récolte 2020 la moins bonne depuis 2011, réduction des surfaces 2021 qui limite les recettes. Sur les récoltes 2020 et 2021, le lin est moins rémunérateur que par le passé, mais le marché est assaini. Les perspectives restent favorables pour cette culture aux multiples atouts.
Le lin : une filière haut de gamme mondialisée qui sort d’une tempête d’aléas
Le lin est une micro-niche qui représente moins de 1 % de la production des fibres textiles dans le monde.
L’UE produit 75 à 80 % du lin à fibre mondial. La France détient à elle seule 85 % des surfaces de l’UE, devant la Belgique et les Pays-Bas. Elle réalise ainsi 60 à 65 % de la production mondiale de lin.
La Chine est un maillon essentiel de la filière lin. Elle est le principal importateur de fibre de lin, le principal producteur et exportateur de fils et de tissus à travers le monde.
Le marché est demandeur de lin !
La demande mondiale en fibre de lin est durablement dynamique
Les vêtements en lin sont à la mode tant dans les pays occidentaux (UE, Etats Unis), qu’en Asie (Japon, Inde, Chine). Les consommateurs sont en attente de produits naturels porteurs de sens. Les atouts du lin sont divers : fibre végétale naturelle, faible consommation d’intrants, production renouvelable …
Pour satisfaire cette demande, les surfaces de lin françaises ont augmenté de +12 % par an en moyenne entre les récoltes 2015 et 2020.
Le lin sort d’une « tempête d’aléas »
Succession de crises conjoncturelles qui ont réduit la rentabilité de cette culture et perturbé les trésoreries des exploitations. D’abord, la pandémie de Covid a prolongé la commercialisation de la récolte 2019 jusqu’en 2021 (décalage du solde d’un an). Ensuite, la récolte 2020 a été la moins bonne depuis 2011. Enfin, la réduction des emblavements 2021 va limiter les recettes de lin.
En France : une dynamique liée à la très bonne rentabilité du lin
En France, la dynamique des surfaces s’explique par une très bonne rentabilité de la culture du lin depuis près de 10 ans. La récolte 2020 a ainsi battu un record de surface, avec 140 000 ha de lin, contre 55 000 ha en 2010.
La production de lin reste très « régionalisée ». Normandie et Hauts de France couvrent 95 % de la surface française, du fait de leurs bonnes conditions pédoclimatiques. En particulier, la présence d’humidité en été favorise un bon rouissage du lin, condition essentielle à la production d’une fibre haut de gamme.
Ces dernières années, les marges brutes lin ont été, en moyenne, trois à quatre fois supérieures à celles des cultures classiques : + 2 000 € par ha par rapport à un blé ou un colza. La production de lin a ainsi permis d’améliorer les situations financières des exploitations.
Mais cette production reste très « technique », et les résultats ne sont jamais garantis. Selon le contexte, les rendements en fibres varient du simple au double.
Retour sur les dernières récoltes et analyse des « aléas »
La récolte 2018 a été excellente
La récolte 2018 a été excellente et elle restera une référence. Rendement correct (1,45 t de fibres longues par ha), très bonne qualité de fibre, et prix des fibres longues au plus haut (3,30 €/Kg). Marges brutes lin voisines de 4 000 € par ha.
La très bonne valorisation de la récolte 2018 a favorisé la hausse des surfaces en lin de 2019 et 2020 (+ 15 % par an).
Sur l’année civile 2019, l’UE (3 pays) a atteint une production record de 180 000 t de fibres longues, issues pour l’essentiel de la récolte 2018. Les ventes, elles aussi au niveau record, ont été accompagnées d’une stabilisation du prix des fibres longues à un niveau élevé, entre 3,30 et 3,50 €/Kg.
La récolte 2019 a également été correcte : bon rendement (1,5 t/ha) et bonne qualité
La rentabilité du lin 2019 était prometteuse, mais début 2020, l’aléa « Covid » a modifié les fondamentaux des marchés. La fermeture des ports chinois et des usines de tissage, puis le confinement en France ont contraint les teilleurs français et européens à fermer leurs usines au printemps. Les échanges de lin ont été interrompus pendant plusieurs semaines et la consommation de textile d’habillement a chuté. L’arrêt brutal des échanges a fait perdre 1,00 €/Kg au prix de la fibre au printemps 2020 pour se situer autour de 2,00 €/Kg, avant une reprise progressive.
Sur l’année civile 2020, les usines ont repris progressivement leur activité, mais la production de fibre de l’UE (3 pays) a chuté de 23 % à 140 000 t. Le commerce mondial s’est réduit d’un quart, pour un prix moyen annuel des fibres longues proche de 2,55 €/kg. En France, selon les opérateurs, le teillage du lin de la récolte 2019 a pu se prolonger jusqu’en juin 2021.
La récolte 2020 est un très mauvais cru
Sur les 141 000 ha semés en France (record), 11 % des surfaces n’ont pas été récoltées du fait des aléas climatiques : sécheresse et vent. Le rendement moyen en fibres longues est proche de 0,9 t/ha. C’est le moins bon résultat depuis la récolte 2011 (0,8 t/ha). Les lins sont globalement courts et difficiles à teiller, avec de fortes hétérogénéités. Fait positif, ils sont correctement rouis.
La mauvaise récolte 2020 : une bonne nouvelle ?
Paradoxalement, la très faible récolte 2020 a permis de limiter la hausse des stocks mondiaux de lin (20 000 t fin déc. 2020, soit le double de déc. 2019). Elle devient presque un atout pour poursuivre l’approvision-nement équilibré du marché en quantité et en qualité.
Début 2021, alors que la pandémie de Covid était toujours non maitrisée, les opérateurs de la filière lin ont préconisé une réduction des emblavements de lin 2021 autour de 100 000 ha, de façon à limiter la production au niveau de la consommation, encore fragile ; et pour éviter une hausse des stocks (150 000 t attendues).
Sur l’année civile 2021,la production de fibre de l’UE (3 pays) remonte légèrement à 147 000 t (+ 5 %). Les échanges mondiaux ont repris (148 000 t, + 14 %), de même que le prix des fibres longues, à 2,80 €/Kg sur 12 mois (et 3,25 €/Kg en déc. 2021). En France, le teillage de la faible récolte 2020 se fait en parallèle avec la bonne récolte 2019. Il devrait se terminer au printemps 2022.
La récolte 2021 est caractérisée par une forte baisse des surfaces (-29 %), conforme aux souhaits de la filière : 100 000 ha, soit l’équivalent des surfaces en lin de 2017. Rendement modeste (1,2 à 1,4 t de fibres longues par ha). Qualité médiocre. La pluviométrie importante de juin et juillet a accentué la verse et retardé certains arrachages jusqu’au 15 août. 3 % des surfaces n’ont pas été récoltées.
Le teillage et la vente de la récolte 2021 se feront pour l’essentiel en 2022, dans un marché qui semble équilibré (13 000 t de stocks fin 2021). La valorisation de la récolte 2021 pourrait se situer entre 2,50 et 3,00 € le Kg de fibre longue.
En synthèse : dans un contexte chahuté, des marges brutes lin honorables
Sur les 3 dernières années, la marge brute lin est en moyenne de 2 400 €/ha Ce qui est très honorable, puisqu’environ le double de la marge brute blé moyenne, voisine de 1 100 €/ha. La production de lin reste donc très attractive, quand la culture est techniquement possible.
Pour la récolte 2022, dans un marché plus équilibré, les opérateurs de la filière lin ne donnent pas de consignes au niveau des surfaces.
Chacun doit juger de ses capacités de production, de récolte, de trésorerie, ainsi que de stockage pour optimiser ses résultats. On peut imaginer que la meilleure conjoncture lin devrait faire remonter les surfaces, d’autant que cette culture est peu consommatrice d’engrais. Mais la concurrence du blé et du colza, dont les prix flambent, s’est accrue…
Sur les exploitations, un déficit de trésorerie lin moins important que prévu
Les conditions difficiles des récoltes 2019 à 2021 nous avaient conduit à alerter sur la nécessité d’anticiper un manque de trésorerie sur la période 2020 – 2022. La bonne reprise des marchés va limiter le déficit de trésorerie, pour se situer dans des variations plus habituelles. Faisons un point sur les périodes de paiement par récolte.
Réc. 2018 : solde en sept. 2019, soit la situation habituelle.
Réc. 2019 : 1er acompte en janv. 2020. Solde en sept. 2021 (soit un an de décalage). Pour limiter la dégradation de trésorerie, possibilité d’accès à un PGE (Prêt garanti par l’Etat). Parfois, proposition de remboursement des comptes bloqués.
Réc. 2020 : 1er acompte : été 2021. Solde attendu entre mars et mai 2022 (soit 7 mois de décalage).
Réc. 2021 : 1er acompte : janv. 2022.Solde attendu au printemps 2023.
Sur l’année 2022, les liniculteurs perçoivent donc, en parallèle, des recettes liées au lin 2020 et au lin 2021. La recette lin 2020 sera modeste du fait des faibles rendements en filasse. La réduction des surfaces 2021 en lin ne réduira pas trop les recettes si les surfaces libérées ont permis de cultiver du blé vendu à plus de 200 €/t.
Les enjeux présents et à venir pour la filière lin
Disposer de capacités de stockage en ferme supérieures à une année
L’aléa Covid, qui a stoppé la commercialisation du lin, a imposé un stockage forcé du lin en ferme et chez les teilleurs bien au-delà d’une année de récolte. Le stockage des boules de lin en ferme permet de tamponner les récoltes entre elles (quantité et qualité). Il est moins coûteux que le stockage de fils, et il évite d’être trop précis sur les stocks face aux acheteurs chinois.
Disposer de suffisamment de semences
La production limitée de semences en 2021 conduit à des stocks faibles, qui laissent peu de droit à l’erreur (type resemis). La production de semences peut permettre, si les conditions s’y prêtent, d’améliorer la rentabilité du lin.
Produire des fibres de qualité passe par du matériel performant
Les opérations culturales en lin nécessitent rigueur et ponctualité. Ainsi, un léger suréquipement en matériel spécifique au lin peut trouver sa légitimité dans la capacité à intervenir au bon moment.
Pour vendre un lin vertueux et responsable, raisonner les intrants au plus bas
Le lin a un positionnement haut de gamme dans le milieu de la mode. Ses atouts : une fibre végétale naturelle européenne ; peu gourmande en eau ; zéro déchet ; avec une traçabilité garantie ; et une grande diversité d’usages grâce à la créativité et l’innovation. Dans ce contexte, l’usage raisonné des engrais et produits phytosanitaires est un enjeu majeur pour la filière lin.
Place du lin dans la rotation : impact de la Pac 2023 et des NNI
La Pac 2023-2027 fait la part belle au lin. La présence de lin sur 10 % des terres arables permet en effet de valider 2 points sur 5 nécessaires dans la cadre de l’accès à l’écorégime par la voie de la diversité des cultures ; contre 1 point pour le blé.
Une limite cependant à prendre en compte : la poursuite provisoire de l’utilisation des néonicoti-noïdes (NNI) en enrobage des semences de betteraves sucrières pour les récoltes 2021 à 2023 est accompagnée de l’interdiction d’implanter une culture mellifère, dont le lin, les deux campagnes suivantes.
Réforme de l’assurance récolte
Le nouveau dispositif de couverture des risques climatiques, adopté en février 2022, partagera le risque en 3 niveaux : (1) la part supportable par l’agriculteur ; (2) la part devant relever de l’assurance, au travers de l’assurance multirisques climatiques, dont les primes feront l’objet d’une subvention publique ; (3) la part de sinistre « exceptionnel », qui relèvera de la solidarité nationale. Ce système se veut plus incitatif pour les agriculteurs. Les modalités pratiques devraient être connues à l’été 2022 pour une application à la récolte 2023.
La filière lin confiante dans l’avenir
Démarrage de la « French Filature » de Nat’Up en 2022.
Le groupe coopératif normand Nat’Up relance au printemps 2022 la fabrication de fils de lin en France grâce à l’acquisition de machines à filer le lin implantées sur son site de Saint Martin du Tilleul (Eure).
L’objectif de la coopérative est de produire 250 t de fils par an, et de satisfaire une demande d’un lin 100 % français, cultivé, peigné et filé en France. Le procédé utilisé est « au mouillé », pour obtenir un fil d’une grande finesse adapté à l’habillement et au linge de maison.
Cet investissement de 4 M€, cofinancé par Nat’Up, l’Etat et la région Normandie est soutenu par des marques françaises de l’habillement. Il va créer 25 emplois.
Vous pouvez retrouver l’ensemble des publications sur la conjoncture des cultures industrielles sur notre site internet.