Marchés céréales & oléagineux | Février 2022

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Veille économique de février 2022 : Céréales et oléagineux – des marchés dans la tourmente

Dans la note d’octobre dernier sur les marchés des céréales et oléagineux, nous évoquions que l’impact des tensions géopolitiques passait au second plan dans un contexte de forte reprise économique. Le conflit en Ukraine modifie radicalement cette affirmation. Le 24 février 2022, le monde a basculé dans une période de forte incertitude, avec un impact majeur sur le secteur agricole, en raison du poids considérable de la Russie et de l’Ukraine sur l’économie agricole mondiale.

Le conflit russo-ukrainien déstabilise les marchés et menace certains pays d’une crise alimentaire

Russie et Ukraine : des poids lourds à l’export

Les tensions sur les marchés céréaliers et oléagineux étaient déjà fortes avant la crise ukrainienne. Dans un contexte de demande soutenue, autant dire que le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie a mis le feu aux poudres sur ces marchés. Ils ont connu une flambée historique en quelques jours. La Russie et l’Ukraine sont en effet des acteurs de premier plan dans le commerce mondial de céréales et oléagineux. Ils représentent à eux deux près de 30 % des échanges mondiaux de blé, 20 % en maïs et près de 80 % en huiles de tournesol. Depuis le déclenchement des hostilités le 24 février dernier, les ports ukrainiens sur la mer Noire sont à l’arrêt, pour certains endommagés (Marioupol) et pour d’autres paralysés et sous la menace d’une attaque imminente (Odessa…).

Les exportations ukrainiennes sont donc quasi à l’arrêt. Même si l’alternative du rail lui permet encore d’expédier des grains vers la Roumanie, la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie, mais en faibles volumes.

La Russie devrait se trouver fortement ralentie sur ses possibilités d’exportations, à la suite des sanctions mises en place par l’Union Européenne et par d’autres pays. Parmi ces mesures, l’exclusion de banques russes du système de transaction bancaire Swift est la plus significative.

Des volumes de céréales restant à exporter significatifs sur la campagne en cours

Certes, le plus gros des exportations de la campagne en cours est réalisé, tant du côté de l’Ukraine que de la Russie. Mais, il resterait tout de même 12 à 14 Mt de blé à exporter pour ces deux pays. Cela représente 25 % des volumes exportables pour l’Ukraine et plus de 35 % pour la Russie. En maïs, l’Ukraine est le 4ème exportateur mondial. Il lui resterait près de 15 Mt à exporter soit plus de 40 % du volume prévu… Si le risque de pénurie est écarté au niveau mondial à court terme. Ce risque pèse évidemment très lourd sur les cours actuels.

Incertitude sur la capacité de l’Ukraine à assurer les semis de printemps

Mais à moyen terme, la question de la capacité de l’Ukraine à réaliser ses semis de printemps de façon satisfaisante se pose. Sont concernés en ce moment les semis de blé et d’orge de printemps. Si dans l’ouest et le centre de l’Ukraine, les semis seraient en cours. Cela sera très compliqué dans les zones où avance l’armée russe, en particulier dans l’est, le sud et le nord du pays. De plus, il y a un risque de pénurie de carburant. D’ici fin mars, les semis de maïs et de tournesol devraient débuter. C’est un enjeu majeur pour ces productions dont l’Ukraine est un exportateur de premier plan… Si des substituts au tournesol ukrainien devraient être trouvés, c’est moins évident pour le maïs.

Des répercussions mondiales sur le coût et la disponibilité des intrants

La flambée des prix de l’énergie est une autre conséquence de ce conflit. Cette crise met en exergue la dépendance de l’Union Européenne vis-à-vis du gaz russe. Ce dernier représente 40 % de ses importations. En Allemagne, cette dépendance monte même jusqu’à 55 %.

Cette forte dépendance impacte de plein fouet le marché des engrais azotés, dont la fabrication nécessite de grandes quantités de gaz. Par ailleurs, la Russie est un acteur majeur sur le marché des engrais. Puisqu’elle pèse pour 13 % du commerce des produits intermédiaires d’engrais et pour 16 % des échanges d’engrais finis. La hausse du prix des engrais, déjà d’actualité avant le déclenchement du conflit, pourrait donc se poursuivre de façon durable, voire même provoquer une pénurie…

Si pour la campagne en cours, les agriculteurs sont en grande partie couverts. Le problème risque de se poser sur la prochaine campagne. Des arbitrages pourraient ainsi se faire dans les assolements, afin de privilégier des productions moins gourmandes en intrants. Le Brésil, très fortement dépendant des engrais azotés russes (60 % de ses importations) est en première ligne. Sa production de maïs pourrait en être affectée. Le maïs, très dépendant du gaz pour le séchage, pourrait voir ses coûts de production s’emballer.

Autre sujet de préoccupation : la production de semences en Ukraine. Des semenciers français y sont implantés et y produisent pour le marché ukrainien et russe. Un problème d’approvisionnement en semences sur la prochaine campagne va se poser pour ces deux pays. Il mettra alors sous pression tout le marché des semences.

Forte inquiétude des pays d’Afrique du Nord et du Proche Orient

La guerre en Ukraine représente un enjeu considérable en terme de sécurité alimentaire. En particulier pour les pays d’Afrique du Nord et du proche Orient, qui sont très dépendants des importations de blé. Ainsi, l’Egypte et la Tunisie importent 60 % de leurs besoins en blé. Dont une partie importante provient de Russie et d’Ukraine. La Turquie importe les trois quarts de son blé et le Liban la moitié. Par ailleurs, leurs stocks de fin de campagne sont bas et une sécheresse affecte leur potentiel de production sur la campagne en cours… Face à la flambée des cours, l’Egypte a récemment annulé plusieurs fois des commandes de blé. Le spectre de nouvelles émeutes de la faim resurgit dans ces pays.

Le débat sur la souveraineté alimentaire est ouvert en France

Cette situation exceptionnelle remet au-devant de la scène la problématique de la souveraineté alimentaire. Ainsi, les représentants des filières agricoles conventionnelles et des syndicats agroalimentaires appellent à « remettre la souveraineté alimentaire en priorité absolue ». Ils demandent à « mettre en production toutes les terres agricoles disponibles en France et en Europe ». Des propos qui viennent en contradiction avec le Green Deal européen et sa déclinaison pour l’agriculture, appelée stratégie « Farm to fork » (de la ferme à la fourchette). Ce message est relayé par le ministre de l’Agriculture français. Alors que certains syndicats et ONG dénoncent de leur côté ces positions. Ils mettent en avant la forte dépendance de l’agriculture française et européenne aux importations pour les engrais et pesticides. Et ils appellent à réfléchir aux choix fondamentaux de l’agriculture européenne pour une alimentation saine et respectueuse de l’environnement.

Le Plan Stratégique National précise les décisions de la France pour la prochaine PAC 2023-2027. Il ambitionne d’imposer 4 % de surfaces non productives. Ainsi il pourrait donc acter le retour de la jachère dans les assolements. La situation actuelle pourrait-elle alors remettre en cause cette position ? Le débat est ouvert !

Blé : la crise ukrainienne met le feu aux poudres sur les marchés

Un nouveau record de production mondiale qui se confirme

Avec une production mondiale 2021-2022 estimée à 778,5 Mt dans le dernier rapport de l’USDA (Ministère américain de l’Agriculture), il se confirme que le record de la campagne précédente sera dépassé (+2,5 Mt). C’est supérieur de 21 Mt à la moyenne quinquennale. Si en début de campagne le bilan s’annonçait plus contrasté chez les principaux pays exportateurs (dans l’ordre : UE, Russie, Etats-Unis, Australie, Ukraine, Canada et Argentine), avec une production en recul de 10 Mt. L’écart s’est réduit dans les dernières prévisions. La production devrait atteindre 371 Mt dans ces pays, contre 362 Mt prévus en début de campagne. Une récolte qui reste moins bonne que la précédente, mais de 2 Mt seulement au lieu des 10 Mt de baisse estimés fin 2021. La récolte catastrophique au Canada et en baisse significative en Russie, se voit compensée par l’excellente récolte dans l’Union européenne (+ 12 Mt) et en Ukraine (+ 7,5 Mt).

Une demande très soutenue qui provoque une contraction des stocks

Malgré ce nouveau record de production à l’échelle mondiale, la demande en blé dépasse la production pour la deuxième campagne consécutive. Estimée à plus de 787 Mt, elle serait ainsi supérieure de 8 Mt aux volumes collectés. Elle dépasserait de près de 5 Mt le record de consommation mondiale de la campagne dernière.

Les stocks mondiaux de blé devraient donc reculer de 9 Mt pour représenter 281 Mt.

Une campagne 2022-2023 très incertaine…

La prochaine campagne s’annonce très compliquée, avec beaucoup d’incertitudes exacerbées par le conflit russo-ukrainien. A la veille du déclenchement de cette guerre, Le CIC (Conseil International des Céréales) a estimé les perspectives de production mondiale de blé à 791 Mt, soit un nouveau record. Mais, beaucoup d’interrogations pourraient alors contredire ces prévisions.

La flambée du coût des intrants et leur disponibilité pourraient alors limiter la production de blé. Même si, certains pays importateurs expriment leur souhait d’augmenter leur production. Dans ce contexte, des arbitrages pourraient intervenir dans les choix d’assolement en faveur des cultures les moins gourmandes en intrants.

La situation du blé d’hiver en Chine est également un sujet de préoccupation. Les fortes pluies ont retardé les semis sur environ un tiers de la surface.

Une volatilité extrême des cours du blé

La fébrilité des marchés antérieure au déclenchement du conflit, et accentuée depuis le 24 février, provoque des fluctuations de cours jamais vues. Ainsi l’échéance mai 2022 du Matif a flirté avec les 400 €/t le 7 mars dernier. Et, il se situait à près de 379 €/t au 14 mars, soit une hausse de près de 90 % sur un an. Les prix français se trouvent dopés par la crise ukrainienne et le regain de demande à l’exportation généré par cette situation, dans un contexte de demande mondiale soutenue. La quasi fermeture du marché ukrainien et les annonces russes de restrictions à l’exportation sont autant d’éléments d’incertitude qui agitent les marchés.

La question se pose sur les alternatives aux exportations de blé de la mer Noire. L’Australie, l’Amérique du Nord et l’Union européenne sont en première ligne. Mais on pourrait aussi voir l’Inde, pays historiquement non exportateur de blé, apporter sa contribution pour compenser la baisse des exportations ukrainiennes et russes sur la campagne en cours, estimées à environ 10 Mt.

 Maïs : inquiétude pour la prochaine campagne

Une production mondiale révisée à la hausse

Il se confirme que la production mondiale de maïs sur la campagne 2021-2022 va battre un nouveau record. La progression est de plus de 7 % à 1 206 Mt selon l’USDA. Le rebond de la production au Brésil qui atteint 117 Mt, soit une hausse de 27 Mt, aux Etats-Unis (384 Mt, soit + 25 Mt) et un nouveau record de production en Ukraine attendu à 42 Mt (+ 11 Mt) sont les principaux moteurs de cette hausse.

La demande progresse de 5 % mais devrait rester plus faible que la production. Les stocks de fin de campagne devraient donc remonter de 10 Mt pour atteindre 301 Mt, mettant fin à quatre années consécutives de baisse continue. Malgré cela, le ratio stocks / consommation continue de reculer pour représenter 25 %, contre plus de 32 % au plus haut en 2017.

Une fin de campagne perturbée par la guerre

Les interrogations sur la capacité de l’Ukraine à exporter les volumes de maïs encore en stock se posent de plus en plus, avec le conflit qui semble s’inscrire dans la durée. La Chine et l’Union européenne, principales destinations du maïs ukrainien, sont les plus impactées. Les Etats-Unis et le Brésil devraient voir leurs exportations boostées par cette situation.

Inquiétude pour la prochaine campagne

A elle seule, l’Ukraine représente :

  • plus de 15 % des échanges mondiaux de maïs ;
  • entre 40 et 50 % des importations de l’Union européenne.

Il est possible qu’elle ne parvienne pas à réaliser la totalité de ses semis pour la prochaine récolte, avec de probables problèmes d’approvisionnement en carburant, semences et produits phytosanitaires. De plus, face à l’inflation des prix des engrais, les agriculteurs pourraient limiter leur sole en maïs pour favoriser des cultures de printemps moins gourmandes en intrants. Le Brésil, deuxième producteur mondial de maïs, est très dépendant des importations d’engrais en provenance de Russie. Il pourrait ainsi voir sa production de maïs reculer sur la prochaine campagne.

Orge : tensions dans un contexte de baisse de la production mondiale

La production mondiale d’orge est attendue en recul de13 Mt à 146 Mt selon le CIC (Conseil International des Céréales). Elle ne couvrira pas la consommation estimée à 153 Mt. Les stocks en fin de campagne seront en recul de 7 Mt, à 21 Mt. C’est le plus bas niveau de stock attendu des dix dernières années. Sur les derniers mois de la campagne, les très bonnes récoltes australienne et argentine devraient permettre de remplacer l’origine russe.

Conjuguée à l’effet de la guerre en Ukraine, la forte demande et la baisse de la production mondiale ont entrainé une hausse importante des cours.

Oléagineux : une campagne sous tension, exacerbée par le conflit ukrainien

Le contexte déjà très tendu sur le marché des oléagineux avant le déclenchement du conflit n’a fait que se tendre davantage depuis. En soja, les prévisions de production sur la campagne en cours sont révisées à la baisse, en raison de la sécheresse en Amérique du Sud. Tandis que les disponibilités en colza sont réduites suite à la récolte catastrophique de canola en 2021. Par ailleurs, la hausse du prix du pétrole et la forte demande en biodiesel qui en découle sont un facteur de tension supplémentaire sur ce marché.

Enfin, l’inquiétude grandissante sur la situation en Ukraine déstabilise le marché du tournesol. Ce marché est fortement dépendant des exportations ukrainiennes et russes. Elles représentent près de 80 % des échanges mondiaux.

Les interrogations sur la réalisation des semis de tournesol qui doivent donc débuter fin mars en Ukraine. Elles ne devraient pas apaiser les tensions sur le complexe oléagineux pour la prochaine campagne.

Sources pour la veille économique du mois de février 2022 sur les marchés des céréales et oléagineux

  • Rapport CIC du 17/02/2022
  • Rapport USDA du 09/03/2022
  • Conseil spécialisé grandes cultures du 09/03/2022 FranceAgriMer
  • Notes de conjoncture mensuelles FranceAgriMer
  • Analyses des marchés d’Agritel

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