Restructuration des filières pommes de terre

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Pommes de terre : les filières engagent leur restructuration

Notre dernière veille économique porte sur la restructuration engagée par les filières pommes de terre.

La campagne 2022-2023 est pleine de contrastes. Baisse des rendements et hausse des charges ont fait peur. Les bons prix rassurent. La hausse des prix de revient doit s’accompagner d’une hausse des prix de vente aux consommateurs. A défaut de rentabilité, une filière peut disparaitre, comme en fécule …

Dans l’UE, la sécheresse extrême pénalise rendements et production 2022

La production mondiale de pommes de terre est quasi stable, autour de 380 Mt par an. La consommation moyenne par habitant est en réduction lente (50 kg par habitant et par an). Les pommes de terre sont consommées à 80 % en frais. Mais la part des produits transformés augmente. Les échanges de ce produit pondéreux se font surtout à une échelle « régionale ». 

L’UE est le leader mondial des exportations. Le commerce européen est assuré par quatre grands pays producteurs regroupés au sein du NEPG (North – western European Potato Growers : Allemagne, France, Belgique, Pays-Bas). La France est le second pays producteur de l’UE, derrière l’Allemagne.

Production surface et rendement de la pomme de terre de conservation depuis 2017

Entre 2016 et 2020, les surfaces cultivées en pommes de terre de conservationpar les quatre pays du NEPG ont connu une hausse régulière de +3,5 % par an, avec 522 000 ha en 2020.  La France est le pays qui a le plus augmenté ses surfaces (+ 34 000 ha). L’Allemagne suit de près (+ 25 000 ha).

Dans le contexte incertain de la Covid, la récolte 2021 a marqué une rupture ponctuelle de la dynamique par une baisse des surfaces, à 498 000 ha (- 5 %).

La récolte 2022 signe le retour partiel des pommes de terre dans les assolements avec 512 000 ha (+ 3 %).  Pays-Bas et Allemagne retrouvent leur niveau de 2020. La Belgique est en bonne voie, tandis que la France ne fait que stabiliser ses surfaces à 154 000 ha. 

La fragilité de la filière pommes de terre tient à la forte variabilité des rendements. Cela représente +/- 10 % autour de la moyenne cinq ans, qui est de 45 t/ha (de 41 à 50 t/ha). En conséquence, la production de la zone NEPG fluctue entre 20 et 25 Mt par an selon les conditions climatiques. L’année 2022 confirme cette forte variabilité.

UE : Zoom sur les dernières récoltes (zone NEPG)

Evolution des rendements en pomme de terre de consommation

Récolte 2020 :

Production NEPG : 23,5 Mt. (+ 0,9 Mt, + 4 % / 2019). Surfaces stables sur un an (+ 1 %). Rendements en hausse (45,0 t/ha, + 3 %). Covid : moindres besoins des industriels de la transformation.

Récolte 2021 :

Production NEPG : 22,9 Mt. (- 0,6 Mt, – 3 % / 2020). La baisse de production s’explique par le recul des surfaces (- 5 %). Eté humide. Les rendements sont en légère hausse (46,0 t/ha, + 2 %).

Récolte 2022 :

Production NEPG : 21,7 Mt. (- 1,2 Mt, – 5 % / 2021). La réduction de la production s’explique par la chute des rendements (43,1 t/ha, – 6 %) malgré la reprise des surfaces (+ 3 %). Eté caniculaire et sec en France, sud Allemagne, Belgique et sud de l’Europe. Seuls les Pays-Bas ont une production en hausse.

France : zoom sur les récoltes récentes

La production nationale de pommes de terre de conservation s’est fortement développée entre 2016 et 2020. En cinq ans, les surfaces ont augmenté de 27 %, et la production est passée de 5 Mt à 7 Mt, pour des rendements équivalents. La pandémie de Covid a stoppé cette dynamique et les surfaces se stabilisent en 2022 autour de 154 000 ha. 

Les rendements subissent en France la même variabilité interannuelle que dans l’UE.  Moyenne sept ans : 42,5 t/ha +/- 10% (entre 39 et 47 t/ha). Sécheresse et canicules ont amputé les rendements 2016, 2018, et surtout 2022.

La région des Hauts-de-France pèse pour 60 à 65 % dans la récolte nationale. Champagne-Ardenne et ex-Haute-Normandie contribuent respectivement pour 10 % et 7 % à la récolte française.

Récolte 2021 : un bon cru en volume

La récolte française 2021 se stabilise au niveau élevé de 6,9 Mt de pommes de terre de conservation (hors plants et fécule). Pour la première fois depuis 2015, les surfaces baissent (- 3 %) à 154 000 ha. La hausse du rendement moyen (44,8 t/ha, + 3 %) permet de stabiliser la production. 

Campagne 2021/22 :  la transformation retrouve sa place. L’export est stable

La consommation des ménages de pommes de terre achetées « à l’état frais » baisse à un niveau historiquement bas : 0,7 Mt (- 13 % / campagne 2020/21 et – 6 % / 2018/19 avant Covid). La vente des pommes de terre en petits formats (filets de 1 à 2 Kg) progresse au détriment des filets familiaux de 2,5 Kg.

Les exportations de pommes de terre en l’état sont stables autour de 3,1 Mt. Les industriels belges de la transformation sont toujours les premiers acheteurs (48 % des exportations), suivis du marché du frais espagnol (18 %). L’offre française s’étend dans la zone Europe centrale et de l’est (11 %).  

Après deux années marquées par la pandémie de Covid et le ralentissement de la consommation hors domicile, l’activité de transformation industrielle reprend des couleurs, avec un record d’approvisionnement de 1,3 Mt (+ 12 %). La consommation de produits transformés augmente globalement de + 4,5 % pour s’établir à 2,1 Mt d’équivalent pommes de terre. Avec d’un côté, la consommation hors domicile qui retrouve un niveau équivalent à l’avant Covid. Et de l’autre la consommation à domicile qui baisse légèrement (- 1,5 %). 

La demande des industriels est couverte à 77 % par des contrats dont les prix augmentent un peu (110 à 160 €/t). Les prix des pommes de terre vendues sur le marché libresont supérieurs à la mauvaise année 2020.

Récolte 2022 : choc climatique estival, hausse des charges et des produits !

De nombreux évènements extrêmes et déstabilisants marquent la récolte française 2022, sur le plan :

  • du climat,
  • des rendements,
  • des charges. 

La production de pommes de terre de conservation chute de – 12 % à 6,0 Mt. Les surfaces sont maintenues à 154 000 ha. Mais le choc climatique estival sans précédent, sécheresse et chaleur extrême, fait s’effondrer les rendements à 39,2 t/ha (- 13 % / 2021), un niveau record depuis 27 ans. Les rendements sont hétérogènes selon les secteurs géographiques, le contexte pédoclimatique et l’accès ou non à l’irrigation.

Campagne 2022/23 :  forte demande et offre faible font monter les prix

Le marché du frais :

Sur ce marché, 90% environ de la production est vendue en libre, sans contrat fixant un prix à l’avance. Celui-ci est donc très sensible à l’équilibre Offre – Demande du marché.  

La consommation des ménages de pommes de terre achetées à l’état frais remonte après le creux de 2021/22 (+ 4,5 % sur neuf mois de campagne). Mais elle reste inférieure à la consommation d’avant Covid (- 2,5 %). En période d’inflation, la pomme de terre, au prix qui demeure accessible, semble être une valeur refuge. Côté prix, le marché national du frais semble peu attractif du fait de la volonté de la grande distribution de contenir les prix.

Le marché à l’export est l’acteur principal de la dynamique commerciale sur le secteur du « libre ». Fin avril 2023, les exportations de pommes de terre à l’état frais sont en hausse de 4 % par rapport à la campagne 2021/22. Les prix sont rémunérateurs (320 à 380 €/t).

Les marchés à terme EEX

Le marché de la transformation :

Les industriels de la transformation répondent à une forte demande en frites surgelées et en chips. Cette demande est poussée par une consommation européenne et mondiale dynamique. Fin mai 2023, les volumes transformés en France sont en hausse de 5%.

Sur ce marché où la France est structurellement déficitaire (environ 0,7 Mt importées pour une consommation de 2,1 Mt), le manque de marchandise au niveau français et européen consécutif à la sécheresse crée une tension sur les prix très tôt en saison. Les contrats des industriels liés à la récolte 2022 sont revalorisés dès l’automne 2022 avec des prix d’achat autour de 180 à 220 €/t.  Puis, suite au retard de plantation des pommes de terre hâtives, les cotations sur le marché à terme s’emballent à partir de mi-avril avec la crainte d’une soudure difficile avant l’arrivée de la récolte 2023 (350 €/t mi-avril, puis 500 €/t début juin). Si les volumes concernés sont très faibles, la tension sur les marchés est réelle.

A fin mai 2023, les contrats ne couvrent que 74 % de la demande des industriels. Ces dernières augmentent la part des importations dans leur approvisionnement.

Du côté des consommateurs, les prix des produits transformés sont en forte hausse, environ + 20 %. Sur les neuf mois de la campagne en cours, la consommation a du mal à se tenir en volume : – 3 % en surgelés et + 5 % en chips. Par contre, les chiffres d’affaires s’envolent.

Les autres surprises de l’année : la hausse des engrais et de l’énergie !

La guerre en Ukraine a entrainé des effets indirects majeurs sur les marchés des intrants.

La hausse des engrais

La récolte 2022 supporte une hausse moyenne de + 60 %, variable selon les stratégies d’approvisionnement (+ 45 à + 75 %).  Cette hausse se poursuit sur la récolte 2023 et devrait se situer entre + 30 et + 70 %. Ainsi, sur 2 ans, l’ordre de grandeur de la hausse des engrais est de + 350 €/ha.

La hausse de l’électricité

Les tarifs de l’électricité flambent à l’automne 2022. Les producteurs en renouvellement de contrat reçoivent des propositions multipliant les tarifs par cinq. Tandis que d’autres maintiennent les prix sur les contrats en cours. Les conséquences de ces hausses sont majeures pour des entreprises qui stockent les pommes de terre en frigo impliquant de fortes consommations électriques.

Des plans d’aides gouvernementaux sont obtenus, qui limitent significativement l’impact des hausses.

Pour les puissances < 36 KVA : application du « bouclier tarifaire » comme pour les particuliers. La hausse de 2023 est limitée à +15%.

Pour les puissances > 36 KVA :  Un « amortisseur électricité » cible les exploitations de moins de dix salariés et de moins de 2 M € de chiffre d’affaires. Il consiste en la prise en charge de 50 % des factures 2022 et 2023 entre 180 et 500 € / MWh.

Un « guichet d’aide » le complète pour les grands consommateurs d’énergie (dépenses > 3% de leur chiffre d’affaires 2021). Il permet une prise en charge de 50 % à 80 % du surcoût dès que l’augmentation des tarifs 2022 et / ou 2023 dépasse + 50 % par rapport à 2021. Ces différentes mesures de soutien vont limiter la hausse du coût d’électricité. Mais il peut néanmoins doubler en deux ans, avec une hausse de l’ordre de + 500 €/ha.   

Ainsi, en pommes de terre, la hausse des charges des récoltes 2022 et 2023 pourrait se situer entre + 700 et + 1 000 € /ha, soit + 15 à 25 €/t.

La Fécule : première victime du réchauffement climatique ?

La production française de pommes de terre de fécule porte sur un volume historique voisin de 1 Mt par an. L’amidon extrait des pommes de terre est utilisé dans l’agroalimentaire, les cosmétiques, la pharmacie et l’industrie papetière. La production est localisée autour de deux féculeries : Roquette à Vecquemont (Somme) et Téréos à Haussimont (Marne).

Depuis quelques années, les rendements sont sur une tendance baissière (< 45 t/ha), souffrant d’une succession de saisons sèches, qui limite la rentabilité de cette culture.

La faiblesse des prix 2021 (70 €/t) a fait reculer les surfaces 2022. Les rendements catastrophiques 2022 (39 t/ha) ont fait chuter la production française à 0,8 Mt, niveau historiquement bas (- 20 % / moyenne cinq ans). Les surfaces 2023 chutent encore à 18 000 ha (- 22 % / moyenne 5 ans).

La réduction de la production est engagée

Dans ce contexte du désengagement progressif des producteurs et dans le cadre d’une réorganisation de son activité industrielle, le groupe coopératif Téréos a annoncé :

  • en mars 2023 la vente de la féculerie d’Haussimont ;
  • puis en juin la fermeture du site, faute de repreneur.

L’UNPT souhaite que les producteurs puissent continuer à produire des pommes de terre pour d’autres débouchés, notamment la transformation.

La réduction forte dès 2024 de la production de fécule en France est un exemple d’adaptation « brutale » d’une filière aux contraintes climatiques qui se renforcent.  Cette situation encourage à anticiper partout les évolutions des systèmes et des filières plutôt qu’à les subir.

Récolte 2023 : une année de perturbation pour la filière ?

La contractualisation se renforce

Sur le marché des pommes de terre destinées à la transformation industrielle, les usines « ont faim » et ont besoin, selon le NEPG, d’au moins 500 000 t supplémentaires en 2023/24. Les tarifs des contrats sont en hausse pour couvrir les coûts de production ainsi que persuader les producteurs de produire des pommes de terre en 2023. En France, des hausses de contrats sont annoncées : Ex : 250 €/t en chips. Le marché à terme cote 235 €/t à l’échéance novembre 2023 et 312 €/t pour avril 2024.

Une conséquence indirecte de la hausse des surfaces destinées à la transformation pourrait être d’inciter certains producteurs à réduire les surfaces engagées en pomme de terre féculière déjà en grande difficulté. Mais aussi à réduire les surfaces de plants (- 10 % possible) dont la revalorisation des prix d’achat se fait attendre. 

Le marché du frais s’engage dans une structuration de l’offre de production, suite à la loi Egalim 2, en incitant à signer une contractualisation écrite. Un accord interprofessionnel est ainsi entré en vigueur au 1er janvier 2023. Il prévoit que les producteurs sont en droit de demander un contrat écrit à leur premier acheteur. Cet accord pose aussi le principe d’une dérogation possible à la contractualisation de trois ans et intègre des clauses comme :

  • les modalités de réception et d’agréage des pommes de terre ;
  • les modalités relatives à la résolution des litiges.

Les perspectives pour la récolte 2023 vont bien sûr dépendre de l’évolution climatique et de la récolte réelle, après un démarrage tardif des plantations.

Récoltes suivantes : regarder l’avenir en face !

Selon l’UNPT, la pomme de terre reste un secteur dynamique et hautement stratégique pour la ferme France et sa souveraineté alimentaire.

Dans ce cadre, l’enjeu d’une meilleure structuration économique de la production est majeur. Face au constat d’une balance commerciale déficitaire sur le marché de la transformation, l’objectif est d’assurer la capacité à transformer les pommes de terre en France pour capter la valeur ajoutée liée à ce processus de transformation.

Les autres enjeux pour les années à venir sont multiples :

  • accès à l’eau et adaptation au réchauffement climatique,
  • recherche variétale,
  • défense des produits de protection des cultures et limitation des contraintes environnementales,
  • disponibilité du foncier,
  • défense du revenu,
  • et aussi faire face aux imprévus, comme par exemple les perturbations géopolitiques.

Retrouvez la veille économique sur la restructuration des filières pommes de terre en lecture et téléchargement ci-dessous :

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